Une analyse de classe des étudiantes
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Il n’y a eu jusqu’à présent aucune analyse des différences sociales existant entre les étudiants, or cela est fondamental.
Comment comprendre sinon qu’il y en ait qui cherche immédiatement l’affrontement avec les « forces de l’ordre », alors que d’autres se cantonnent dans des revendications syndicales?
Et quelle attention faut-il donner aux étudiants issus des classes populaires, qui ne peuvent pas se permettre de plaquer du jour au lendemain leurs cours pour un mouvement, aussi juste soit-il?
Sans une juste compréhension de cela, on laisse le champ libre à la réaction pour diviser le mouvement, comme le fait actuellement l’UNI et les « apolitiques » qui se sont mis à la tête du mouvement anti-blocage des facultés, blocage utilisé à tort et à travers pour « forcer » la mobilisation.
Nous pensons qu’une analyse de classe est d’autant plus importante que nous n’avons pas affaire aujourd’hui à une crise de l’Université, comme celle de mai 68.
La première différence est que les étudiants sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux qu’en mai 68, où il s’agissait d’une couche de privilégiés (280.000 en 1962-63, 500.000 en 1967-68, plus de 2 millions aujourd’hui).
Ensuite, en mai 68, la masse étudiante sympathisait avec les organisations révolutionnaires et revendiquait une critique du régime politique; aujourd’hui nous n’avons ni le premier, ni le second aspect.
Là où en mai 68 les étudiants avaient connu et participé au soutien au mouvement de libération nationale de l’Algérie et du Vietnam, il n’y a en 2006 aucun mouvement d’ampleur de soutien à une « cause révolutionnaire », ne serait-ce que l’opposition à l’occupation de l’Irak.
Là où en 68 il y avait des étudiants allant s’établir dans les usines pour vivre au plus près la condition ouvrière et participer aux luttes de classe, il y a aujourd’hui des « surdiplÃ’més » totalement prolétarisés.
Là où en mai 68 il y avait un effondrement des structures institutionnelles, du syndicat étudiant à l’Université elle-même, du statut des professeurs aux droits de la jeunesse, il n’y a en 2006 qu’un refus clair et net d’une mesure gouvernementale.
Là où mai 68 était un mouvement offensif, porteur de thèmes sociaux, le mouvement anti-CPE est une « simple » défense d’acquis sociaux.
Mais comment défendre les acquis sociaux si l’on met sur le même plan l’étudiant de gestion et celui d’arts plastiques?
Nous devons en effet considérer qu’il existe une couche sociale étudiante qui fait objectivement partie de la bourgeoisie.
Les étudiants des grandes écoles de commerce comme HEC, ESSEC, etc., ceux des facultés « d’élite » comme Paris-Dauphine, globalement tous ceux qui étudient la gestion, sont des futurs cadres d’entreprises.
Ce n’est pas pour rien si France 2 a montré précisément des étudiants de grandes écoles manifester contre le CPE et expliquer « nous aussi on nous met la pression » : il s’agit de mettre en avant une unité sociale estudiantine qui n’existe pas.
A ces étudiants cadres des entreprises s’ajoutent ceux qui vont rejoindre l’appareil d’Etat. Il s’agit des étudiants d’écoles comme « Sciences-Po » ou Normale Sup.
A ces futurs hauts cadres, on doit ajouter les étudiants en droit, qui rejoignent sous l’appareil d’Etat (juges, procureurs, commissaires, etc.) soit le monde des affaires (droit des entreprises, avocats privés, etc.).
Naturellement, il faut également voir qu’à ces étudiants s’en ajoutent d’autres, sciemment carriéristes et dans la très grande majorité des cas d’origine bourgeoise : médecine, pharmacie, etc.
Une autre partie des étudiants rejoint objectivement cette couche sociale : il s’agit des étudiants qui considèrent comme « naturels » d’être professeurs de collège ou de lycées, en raison de leur origine sociale et culturelle (les parents l’ont été, environnement intellectuel, etc.)
Pour ces étudiants le seul mouvement qui compte c’est l’intégration au professorat; ces étudiants ne rejoignent un mouvement social que si celui-ci assume la revendication de l’augmentation du nombre de postes au CAPES, AGREG, etc.
On les retrouve indifféremment dans tous les types d’études, c’est-à -dire dans toutes les matières qui sont enseignées dans les collèges et les lycées; ces étudiants considèrent comme « naturel » d’avoir un CDI à vie et d’appartenir à l’Etat, ils se considèrent comme faisant partie de la république de manière quasi automatique, etc.
Il va de soi que toutes ces couches estudiantines que nous avons ici défini ne sont pas favorables à un bouleversement social. Pour ces étudiants, la faculté fait partie d’un plan de carrière, l’objectif social est tout tracé. Ces étudiants savent précisément ce qu’ils veulent faire et s’opposent à tout ce qui les empêcherait d’y arriver.
Ces étudiants ne sont plus, comme à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, les intellectuels de la bourgeoisie; ce rÒle est depuis longtemps attribué aux cercles et fondations politiques.
Leur vie intellectuelle au sein de l’université se résume ainsi en l’organisation de fêtes, de soirées et de voyages, gérée par les BDE (bureau des étudiants), associations « apolitiques » et ouvertement corporatistes de plus en plus puissantes dans les universités.
Les entreprises soutiennent ouvertement financièrement ces associations, sans quoi celles-ci ne pourraient louer d’énormes salles, distribuer de l’alcool à volonté ou encore, comme c’est la tradition par exemple pour les étudiants de pharmacie, ravager les hÃ’tels loués lors des semaines de ski (par exemple en brisant les murs des chambres pour faire une grande piscine, etc. etc.)
L’hégémonie culturelle de ces couches sociales est nette dans les universités. Quand on étudie pas, on cherche à trouver unE petitE amiE, le cercle d’amiEs se résume en une poignée de gens rencontrés en première année après avoir perdu de vue, définitivement, les amis du lycée.
Cette hégémonie est inévitable dans la mesure où l’université permet l’élévation sociale ou tout au moins d’asseoir des acquis culturels et sociaux; aller à l’université c’est progresser socialement, d’où l’estime dans les couches populaires pour ceux et celles qui « peuvent aller à la fac ».
Ce prestige est double : d’un cÃ’té il porte sur le respect pour l’acquisition de connaissances, c’est l’aspect positif, humaniste; de l’autre il porte sur le fait que l’étudiant va pouvoir s’extraire de sa condition sociale.
Pour les couches sociales petites-bourgeoises qui considèrent la faculté comme un ascenseur social, le CPE est une provocation, car il remet en cause leur conception qu’à la sortie ils sortent de leur condition sociale amenant un risque de prolétarisation.
C’est la même désillusion qu’ont connu tous ceux qui ont fait des études ne pouvant aboutir qu’au statut de professeur, et qui en raison du nombre de postes toujours plus réduits, se retrouvent sans rien et en porte-à -faux avec le monde économique.
Ce sont ces étudiants d’arts plastiques qui sont prêts de 3.000 à tenter le CAPES pour environ 150 postes, les 1700 étudiants de philosophie pour la quarantaine de postes, les 5.000 étudiants de physique-chimie pour les 600 postes, etc. etc.
Vu que le nombre de postes diminue chaque année et que le nombre d’étudiants, lui, augmente, les chiffres vont toujours de mal en pis, amenant une lente dégradation des conditions d’existence.
Cette fraction des étudiants est pris entre le marteau et l’enclume, elle est coincée entre la fraction populaire des étudiants, celle qui rejoindra la « vie active », et la fraction bourgeoise qui rejoindra des postes de l’appareil d’Etat ou des entreprises.
Un dernière couche intermédiaire est représentée par les étudiants étrangers, qui ne se sentent pas forcément concernés par la situation sociale en France; quant aux 95.000 étudiants venant chaque année d’Afrique, ils sont en partie liés à l’élite oligarchique de leurs pays d’origine dans lequel ils vont retourner, soit étroitement surveillés jusque dans les facultés françaises, comme c’est le cas pour les étudiants d’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, avec des menaces lourdes sur leurs familles ou sur eux-mêmes quand ils rentrent dans leurs pays.
Seules de rares organisations démocratiques, comme l’UNEM (Union Nationale des Etudiants Marocains), essaient de briser cet étau.
La fraction populaire des étudiants, elle, est aujourd’hui la plus nombreuse. Elle est aisée à reconnaître, dans la mesure où elle n’est pas certaine de l’emploi qui sera obtenu après le cursus ainsi que par la nécessité de travailler pour payer ses études.
Ce dernier aspect est une grande nouveauté liée à la crise du capitalisme. Dans les années 1980, l’ouvrage de Baudelot et Establet intitulé « Les Étudiants, l’Emploi, La Crise » pouvait encore affirmer que « Être étudiant aujourd’hui c’est disposer de plusieurs années où les soucis matériels sont relégués au deuxième voire au dernier rang des priorités. Voilà la différence fondamentale entre la jeunesse étudiante et la jeunesse travailleuse ».
Rien de tel aujourd’hui, où d’ailleurs la faculté est dévaluée par rapport aux BTS, IUT, etc. qui permettent d’acquérir une formation plus directement liée aux entreprises et, l’espère-t-on, de déboucher sur un emploi.
Pour la fraction estudiantine populaire, le cursus est déterminé par la question de l’espace et du temps : c’est le coût du transport, du loyer éventuel et du déménagement éventuel, du temps laissé pour travailler à cÃ’té, du coût des études en elles-mêmes, etc. etc.
Un tel questionnement n’existe pas pour la fraction estudiantine issu des couches supérieures de la société capitaliste.
Les années 1990 ont ainsi mis fin au caractère de masse de l’étudiant ayant du temps pour vivre, fréquentant des endroits densément peuplé d’étudiants comme lui, bref ayant une « vie étudiante. »
Les études de masse ne sont donc pas les études des masses, mais au contraire l’effet d’une division du travail encore plus accentué.
Voilà ce qui explique aussi l’effondrement du syndicalisme étudiant durant les années 1990, avec l’UNEF (proche du « PCF ») et l’UNEF-ID (proche du PS) moribondes qui ont été obligées de s’unir pour maintenir une existence nationale.
Voilà ce qui explique aussi le nombre toujours plus faible de militants d’extrême-gauche, celle-ci puisant traditionnellement dans les étudiants et les fonctionnaires de l’Etat (Poste, professeurs, etc.).
Voilà ce qui explique aussi le caractère national d’une lutte comme celle contre le CPE, alors qu’auparavant le poids de Paris était très important.
Si mai 68 était un phénomène parisien et si la lutte contre le CPE a immédiatement pris un caractère national, c’est parce que sur 633 sites d’enseignement supérieur en France, 581 sont en province, avec une concentration importante : 7,4 % des sites accueillent 84,5 % des étudiants, ce qui permet à la lutte d’avoir un caractère de masse rapidement le cas échéant.
La fraction estudiantine populaire est-elle alors une classe sociale favorable à la révolution, tout comme la fraction estudiantine bourgeoise est très clairement conservatrice?
Non, les étudiants de cette fraction estudiantine populaire ont un caractère de classe petit-bourgeois, sauf lorsque l’aspect principal est le travail salarié, les études présentant un caractère secondaire.
Pourquoi? Parce que les étudiants sont des travailleurs intellectuels, s’opposant de fait aux travailleurs manuels dans le cadre de la division capitaliste du travail.
Voilà pourquoi rien n’est plus absurde que les thèses favorables aux « blocages des facultés », les « facultés en grève » et autres verbiages : les étudiants, par définition, ne peuvent pas bloquer le système capitaliste, même s’ils s’imaginent avoir l’importance de la classe ouvrière dans la production, sous prétexte qu’ils sont les gestionnaires de demain.
L’idéologie fantasmatique du mouvement étudiant, qui va du syndicalisme étudiant à la revendication de l’autogestion et du « pouvoir étudiant », n’est rien d’autre que le produit de la nature petite-bourgeoise de cette couche sociale impuissante et qui ne peut qu’aller mendier auprès de l’Etat la continuation de son existence.
Car l’idéologie de la petite-bourgeoisie considère que l’Etat est neutre, d’où ses appels incantatoires à la république, la fraternité, l’égalité, etc.
Lénine a défini ainsi la psychologie de cette formation sociale qu’est la petite-bourgeoisie, classe intermédiaire :
« Hostiles au capitalisme, les petits producteurs représentent une classe de transition, confinant à la bourgeoisie; ils sont donc hors d’état de comprendre que le grand capitalisme qui les rebute n’est pas une chose accidentelle, mais un produit direct de l’ensemble du régime économique actuel (et social, et politique, et juridique), issu de la lutte de forces sociales opposées.
Seule la méconnaissance de ce fait a pu conduire à cette absurdité absolue qu’est l’appel adressé à l’« Etat », comme si l’ordre politique n’avait pas ses racines dans l’ordre économique, comme s’il n’expliquait pas ce dernier et ne le servait pas.
L’Etat serait-il vraiment quelque chose d’inerte? interroge le petit producteur désolé de voir que, par rapport à ses intérêts à lui, l’Etat est en effet singulièrement inerte.
Non, pourrions-nous lui répondre, l’Etat n’est en aucune façon une chose inerte, toujours actif et jamais passif. » (Lénine, Socialisme romantique et grand capitalisme, dans : Le contenu économique du populisme et la critique qu’en fait dans son livre M. Strouvé).
Le mouvement étudiant n’existe donc en pas tant que tel, il servira nécessairement telle ou telle classe, tout comme mai 68 a servi en fin de compte à la modernisation des structures capitalistes, permettant au libéralisme libertaire de s’imposer.
L’industrie de la pornographie n’aurait pas pu s’imposer sans la transformation bourgeoise des justes revendications de liberté sexuelle des années 1960-1970.
En ce sens, les intellectuels déclassés, c’est-à -dire ceux qui ayant étudié dur n’obtiennent en retour aucune reconnaissance sociale, redécouvrent l’inhumanité du système capitaliste qu’ils ont prétendu nier; ces anciens étudiants engloutis dans la classe ouvrière ne peuvent qu’avoir une conscience aiguisée de leur condition et de la lutte des classes et même s’ils ont suivi un mouvement inverse, ces diplÃ’més prolétarisés peuvent parvenir au même type de conclusions révolutionnaires que les établis des années 1960-70.
Cette fraction compose une partie importante de l’extrême-gauche radicale d’aujourd’hui; elle peut servir correctement les masses si elle accepte sa prolétarisation et assume le drapeau rouge, ou au contraire rejoindre les rangs des partis petits-bourgeois par simple désir de se vendre au capitalisme.
La tâche des communistes dans le mouvement estudiantin est donc de faire en sorte que la direction appartienne à la fraction estudiantine populaire et de lutter pour que celle-ci se considère comme une composante des classes populaires, dans le processus général de la lutte des classes, et dans la défense des intérêts particuliers de la jeunesse dans son existence difficile dans et contre le vieux monde.
Pour le Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste, mars 2006
Texte mis en débat car la présence de coquilles dues à une incompatibilité de machines le rend illisible.
_ Avis aux amateur-ice-s de “traduction” !
_ Merci !