Ecrits le 24 et le 29 novembre 2022 par le collectif Passa Palavra (Brésil), ces deux articles tentent de récapituler les différentes caractéristiques du « bolsonarisme » et de tracer les lignes générales des tendances qui se manifesteront dans les années à venir.

 

http://mondialisme.org/spip.php?article3153

 

Nous ignorons pour le moment si les grands groupes dintérêts politicoéconomiques vont réussir à anesthésier les mécontentements. Le fait quils représentent le seul obstacle actuel au fascisme montre à quelle situation nous sommes arrivés.
24/11/2022


Des articles de presse ont laissé entendre que Bolsonaro, après sa défaite face à Lula au second tour des élections doctobre 2022, était déprimé, reclus et malade. La demande de son parti au Tribunal supérieur électoral (TSE) dannuler les votes enregistrés dans 59% des urnes électroniques utilisées au second tour (soit 279 000 urnes) nous montre que Bolsonaro est toujours actif et a trouvé un moyen moins bruyant, mais non moins efficace, de mobiliser sa base radicale. En fait, au
lieu dêtre reclus et dattendre passivement linvestiture de Lula le 1 er janvier 2023, Bolsonaro a travaillé dans les coulisses pour provoquer un coup dÉtat qui le maintiendrait à la présidence.


Pour les manifestants bolsonaristes qui ont bloqué des routes, campé devant des casernes et bloqué à nouveau des routes comptant sur la sympathie, ou au moins la prudence, des généraux qui craignent de contredire le secteur le plus offensif de lextrême droite le silence de Bolsonaro, après son discours laconique du 1 er novembre 2022, a toujours été considéré comme un stimulant à la radicalisation. Les manifestants étaient convaincus quil sagissait, en fait, dun message crypté
du chef de la nation, puisque ce dernier ne pouvait contester ouvertement les résultats des élections sans risquer de faire échouer les négociations en coulisses en vue dun coup dÉtat. Cest comme si Bolsonaro essayait dentretenir la flamme du radicalisme, en attendant le bon moment pour rajouter des bûches sur le feu, en disant en substance : «Non, les urnes électroniques ne sont pas fiables et, non, je nai pas perdu les élections.»


Au début de la présidence de Bolsonaro, les conditions étaient réunies pour la formation dun
fascisme : larmée et les Églises évangéliques dun côté et, de lautre, les milices informelles et la
population dans les rues. Mais lunion entre ces deux axes ne sest pas produite, le fascisme ne sest
pas organisé. Aujourdhui, nous avons la même mise en scène, mais encore plus dangereuse, si
possible ; en effet, avant les élections, la victoire électorale donnait de lespoir aux fascistes et
engourdissait leur agressivité, tandis que maintenant, la défaite ravive leur désespoir. La demande
dannulation des élections apparaît désormais comme un signal explicite du président aux
manifestants «bolsonaristes» ; non seulement, ils ont perdu leurs illusions sur le système électoral
mais ils sont aussi convaincus que la seule solution qui leur reste est un coup dÉtat, car il est évident que la demande d’annulation sera rejetée par le Tribunal supérieur électoral. En effet, le TSE a déjà déclaré la victoire de Lula et il est présidé par Alexandre de Moraes, un membre du Tribunal supérieur électoral qui est aujourdhui lennemi juré de Bolsonaro et de ses partisans.


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Au fil du temps, les actes «bolsonaristes» prennent des caractéristiques insurrectionnelles, notamment dans des États comme le Mato Grosso, où sont implantés une bonne partie de ceux qui financent les putschistes; dans le Rondônia, où les locaux d’un journal de Porto Velho ont subi une attaque par balles pour avoir figuré sur les listes dentreprises accusées dêtre prétendument favorables au Parti des travailleurs ; et à Santa Catarina, le commandant de la Police militaire a
refusé de rencontrer Alexandre de Moraes et les commandants des polices des autres États pour
discuter de la façon de traiter les manifestations putschistes. Soumise à une très forte surveillance suite à son soutien voilé à Bolsonaro lors des élections et aux premiers blocages de routes par les camionneurs, la Police fédérale des autoroutes (PRF), est sortie de sa position ambiguë et participe aujourdhui activement à la répression, assimilant même
les manifestations des camionneurs à des «actions terroristes ou de black blocs». Cela ne signifie pas pour autant que la mentalité des policiers routiers fédéraux ait changé du jour au lendemain, dautant plus quils ont sympathisé avec les organisateurs des barrages routiers dès le premier instant ; cela signifie seulement que la Police routière fédérale est contrainte, en apparence, dagir contre la volonté de ses agents contradiction qui pourrait exploser à lavenir.
Il existe des preuves dun «plan», raisonnablement vaste et articulé, visant à déstabiliser lordre
démocratique. Dans un premier temps ce plan avait prévu un blocage des chauffeurs routiers sur les
routes, même contre leur gré, afin que, dans une deuxième phase, les foules mobilisées par lextrême droite se précipitent dans les casernes de tout le pays à partir du 2 novembre 2022 pour encourager les militaires à se joindre au mouvement en faveur dun coup dÉtat. Cest cette deuxième étape du «plan» qui est en cours, à laquelle succédera une troisième étape : lépuisement des voies institutionnelles de remise en cause du résultat électoral, qui alimentera à la fois une forte
opposition parlementaire au gouvernement Lula et des actions de rue plus agressives, dans la mesure où les manifestants ont désormais perdu toute confiance dans les institutions puisqu’ils ont désormais les «preuves pratiques» que «le système» combat ce quils veulent.


La transition de la première à la deuxième phase du «plan» a eu lieu immédiatement après la
diffusion d’une vidéo de Bolsonaro dans laquelle il conseillait aux manifestants de ne pas utiliser
les mêmes «méthodes que la gauche» et cette orientation avait déjà été annoncée dans son
discours laconique du 1 er novembre 2022. Les manifestations commencèrent alors à se concentrer
aux portes des casernes du pays, où, outre la demande d«intervention militaire», ses participants se
livraient à des scènes dignes du théâtre de labsurde. Daprès les vidéos des manifestants devant les
casernes, on a l’impression qu’ils pensent toujours pouvoir empêcher Lula de monter la rampe du
palais présidentiel du Planalto, à Brasilia, le 1 er janvier 2023. Il est probable que beaucoup ont
lintention dorganiser une action inspirée par celle contre le Capitole américain, le 6 janvier 2022,
au moment du transfert de pouvoir. Nous avons également assisté à une dilution progressive des
slogans : de l«intervention militaire» à l’«intervention fédérale», puis à la «résistance civile» le
tout conformément aux directives relatives aux slogans qui circulent ouvertement sur les groupes de
messagerie bolsonaristes. Ces consignes tentent dassurer, par la manipulation des slogans, la
permanence des manifestants devant les casernes, en leur donnant le répertoire nécessaire pour
esquiver les mots d’ordre plus ouvertement putschistes.
Il est de plus en plus évident que les manifestations sont financées par des entrepreneurs liés aux
secteurs de lagroalimentaire et des transports. Un exemple de cette preuve : près du siège de
larmée, à Brasilia, un camp a été installé par des manifestants favorables à un coup dÉtat où «de
grandes tentes offraient cette semaine le déjeuner et dautres repas, ainsi que du café, de leau et
des fruits», le tout «gratuitement». On sait déjà que la plupart des patrons et des entreprises impliqués dans le financement d’un possible coup dÉtat sont situés dans le nord du Mato Grosso,
où le bolsonarisme bénéficie du soutien inconditionnel des patrons de lagrobusiness.
Il faut signaler une deuxième série de faits importants pour la déstabilisation : les tentatives
dannulation du résultat des élections par des moyens institutionnels. Ici, les deux bras du
bolsonarisme pèsent lourd : en même temps que les manifestations de rue poussent à lannulation
du résultat des élections, des mouvements institutionnels poussent dans la même direction (le
bolsonarisme atil appris la «stratégie de létau»?).
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Dans une sorte de monde parallèle, léquipe de transition travaille normalement et la presse
internationale, en général, garde le silence sur les manifestations putschistes, les épisodes violents et
les manœuvres souterraines de Bolsonaro. Le président de la Chambre des députés, Arthur Lira,
leader du Centrão un bloc de partis de droite qui opère sur le marché du soutien politique payant
a reconnu la victoire de Lula et était prêt à travailler avec lui, mais ses déclarations récentes dans la
presse ressemblaient à un avertissement, ou plutôt à un chantage. Alors que le Tribunal supérieur
fédéral sapprête à juger de la constitutionnalité des «amendements du rapporteur» (c’estàdire des
tranches du budget fédéral contrôlées par le rapporteur de la loi budgétaire annuelle, et qui sont la
base du «budget secret», car la destination finale des fonds nest pas transparente1 ), Arthur Lira
qui contrôle en pratique ces amendements a déclaré quils sont une prérogative du Parlement. Il
reste à voir dans quelle mesure les grands intérêts politicoéconomiques du Centrão vont tout faire
sombrer dans le marasme habituel et anesthésier les mécontentements. Le fait que ce soit le seul
obstacle actuel au fascisme montre la situation dans laquelle nous nous trouvons.

 


Passa Palavra, 24 novembre 2022