À quoi jouez vous, monsieur l’inspecteur ?

Quelles sont les règles de votre jeu ?

À l’encontre des discours officiels sur la continuité territoriale, les services administratifs de l’Éducation Nationale que vous dirigez organiseraient la disparition du service public d’enseignement en milieu rural qu’ils ne s’y prendraient pas mieux !

La hausse prévue des effectifs maternelle et primaire dans le département des Côtes d’Armor est de 700 élèves supplémentaires à la rentrée de septembre 2006. Car bien sûr, conformément aux directives de la commission européenne, vous refusez de prendre en considération les pré-inscriptions des 2 à 3 ans.

Votre projet de carte scolaire ne prévoit en tout et pour tout que 4 postes supplémentaires pour faire face à cette augmentation des effectifs !

Sur quels textes, quelles circulaires basez- vous cette approche exclusivement comptable qui compromet irrémédiablement l’avenir du service public dans le département des Côtes d’Armor ?

N’est-il pas de vos prérogatives que de défendre le service public , à Rennes ou à Paris, et à ce titre de demander un quota supplémentaire de postes budgétaires , de manière à répercuter les besoins réels du terrain ? Qu’avez-vous fait dans ce sens ?

Comment justifiez vous l’arbitraire le plus total qui semble présider à la répartition que vous avez faite de votre trop maigre quota ?

Pour nous, simples parents de zones rurales défavorisées, le décalage avec les discours officiels semble une fois encore inconvenant, à défaut d’être incompréhensible.

Car il ne faut pas l’oublier, à l’image des dotations générales de fonctionnement des collectivités locales, qui par on ne sait trop quel mystère sont plus importantes par habitant en zones urbaines et péri-urbaines que dans les zones rurales, la répartition que vous envisagez pérennise , et même accentue le déséquilibre entre ville et campagne.

Cela réduit à un illusoire exercice de communication l’annonce faite en septembre par le très médiatique ministre de l’intérieur d’une  » ouverture de consultations entre l’État et les collectivités territoriales sur le maintien des services publics en zones rurales » !

Il est vrai qu’on compte plus d’électeurs en ville … Et que 2007 approche… Avouez qu’on est en droit de se demander quelles tractations obscures, quelles négociations de couloirs peuvent exister en prélude à une décision si éminemment politique comme la définition de la carte scolaire !

En ce qui nous concerne aujourd’hui, force est de constater que le Centre Bretagne, tout particulièrement le canton de Rostrenen, est une nouvelle fois victime de ce mauvais jeu de chaises musicales : un poste supprimé en maternelle à Glomel, un demi-poste en maternelle bilingue à Rostrenen.

Et si ce n’était déjà inacceptable, il faut y ajouter la liquidation pure et simple du service public d’aide aux élèves en difficulté, avec la suppression des postes de soutien scolaire, et leur déménagement vers des zones « plus proches de Saint-Brieuc ». Et vous osez nous traiter de privilégiés !

Vous vous retranchez derrière une « nécessaire rigueur budgétaire » . Admettons, pour la poursuite de la démonstration. Mais encore une fois, sur quels textes, selon quels critères vous autorisez-vous à gérer à vue l’ attribution ou la suppression de postes , sans tolérer la moindre fluctuation annuelle passagère ?

Nous ne pouvons croire qu’il n’y a aucun démographe à l’Éducation Nationale qui ait anticipé et modélisé les fluctuations des tranches d’âges successives ! Si au moins vous nous proposiez de supprimer des postes budgétaires dans des écoles souffrant d’une constante régression d’effectifs au cours des quelques dernières années, on pourrait comprendre, à défaut d’admettre ! Mais c’est loin d’être notre cas, ni à Glomel, ni en bilingue à Rostrenen !

Par ailleurs, ces textes, ces critères existent-ils seulement ? Permettez-nous d’en douter, car si tel était le cas, il ne manquerait pas d’élus ruraux à monter au créneau pour dénoncer un tel état de fait !

Ensuite, vous refusez de prendre en compte les particularités historiques du département.

Les Côtes d’Armor ont la chance et la fierté de posséder depuis toujours un maillage dense de petites écoles communales, dispensant un enseignement de qualité. Mais hélas, vous ne semblez pas adhérer à la devise républicaine : « Une commune, Une école » ?

À coups de fermetures et de regroupements, avez-vous de votre seule initiative décidé de nous imposer  » pas plus d’une école par canton  » comme nouveau leitmotiv ?

Qu’en est-il de la notion de proximité ? Trouvez vous  » normal  » de réveiller des bout’choux à des heures incongrues le matin pour ne les reprendre qu’en fin de journée dans le seul but de faire coïncider des moyennes arithmétiques avec vos projections comptables ?

Où est la prise en compte du bien être et de l’épanouissement de l’enfant , qui devraient pourtant demeurer au premier plan des préoccupations de tout pédagogue qui se respecte ?

L’école communale est un signe de vitalité et de dynamisme de nos communes rurales, mais aussi un facteur d’attractivité pour des candidats à l’installation. Population et élus y sont attachés, c’est pourquoi nous ne pouvons accepter cette remise en cause de notre ruralité et de notre développement!

Revenons sur votre refus de prendre en compte la généralisation de la scolarisation précoce et la situation « concurrentielle » de l’enseignement

Il s’agit pourtant bien d’une des sources reconnues et fréquemment citées de l’excellence des résultats scolaires du département , comme de toute l’académie de Rennes d’ailleurs !

Nous serions ainsi des « privilégiés  » ! Niveler vers le bas est-il signe d’une politique éducative ambitieuse pour un des pays les plus riches de la planète ?

Ou s’agit-il de préparer le terrain vers une prise en charge de la petite enfance par des entreprises de crèches privées comme dans les grandes villes ? Business is business… À ceux qui en auront les moyens un départ privilégié dans la vie , dans des crèches éducatives de qualité, et très chères. Quant aux autres…

Est-ce votre vision de la pré-scolarisation des 2-3 ans que de condamner les parents qui travaillent à confier leurs enfants à des réseaux de crèches mises en place par les multinationales de l’alimentation et de la communication. Aujourd’hui déjà Nestlé, Microsoft, ou Hachette, demain Vivendi ,Coca-cola , ou Mac Donald en France ?

L’ultralibéralisme dans l’Angleterre de Margaret Tatcher a suffisamment fait de dégâts aux structures sociales de ce pays pour ne pas en tirer des enseignements. Une importante communauté britannique s’est exilée dans notre région pour entre autre fuir un système scolaire sacrifié de la manière que vous préconisez, et ainsi protéger leurs enfants. Il serait bienvenu d’écouter leurs avertissements !

Nous ne pouvons accepter cette vision élitiste et inégalitaire de l’enseignement ! Ni de confier l’éducation de nos enfants aux seuls intérêts du marché !

Mais ce n’est pas tout !

Nous avons la chance de vivre dans une région où tout le monde se connaît plus ou moins, où tout le monde se côtoie, quelles que soient les convictions religieuses des uns, l’athéisme des autres. De ce fait, la guerre entre enseignement public et enseignement privé est depuis longtemps éteinte , et un consensus a été atteint qu’il nous semble mal venu de remettre en cause par vos initiatives hasardeuses.

En interdisant aux maternelles publiques de prendre en compte les enfants de 2 à 3 ans dans leurs effectifs, vous, cadre du service public, portez la lourde responsabilité de déstabiliser cet équilibre , car les parents qui ne pourront pas inscrire leurs enfants en maternelle à 2 ans dans une école iront le faire dans une autre. Et c’est cette première inscription qui conditionne la poursuite de la scolarité dans un même établissement ou une même filière, vous ne le savez que trop bien !

De plus, vous prenez là, vous et vos semblables, le risque d’ouvrir une boite de pandore redoutable.

En Centre Bretagne, nul ne songerait sérieusement à remettre en cause l’enseignement privé catholique , aussi longtemps que son contenu et ses objectifs restent respectueux des valeurs citoyennes et laïques de la sphère publique dans ce pays.

C’est précisément ces valeurs fondamentales qui risquent fort de pas être respectées si des filières « éducatives  » d’un tout autre ordre se créent en saisissant les opportunités de combler la défaillance du service public que vos décisions auront contribué à faire apparaître.

À même cause, mêmes effets ? Savez-vous que c’est précisément de cette manière que l’enseignement communautariste s’est développé en Angleterre et aux USA , les pays modèles ultra libéraux ? Et que ce prosélytisme opportuniste aboutit à la montée en puissance des écoles sectaires, talmudistes, coraniques, fondamentalistes, où Darwin est conspué, et où se forgent les futurs totalitarismes ?

Il se pourrait que la très libérale commission européenne ne soit pas fondamentalement opposée à une telle évolution. Dans l’exercice de ses fonctions, un inspecteur de l’enseignement public n’ a pas le droit de cautionner cette dérive antidémocratique !

En ce qui concerne vos explications sur la liquidation du service public d’aide aux élèves en difficulté, elle ne peuvent convaincre que celles et ceux que ça arrange d’y croire.

Comment-imaginez vous que ce service puisse fonctionner avec une seule personne pour tout le secteur de Rostrenen à Callac et à Saint-Nicolas, qui plus est sans moyens financiers pour ses déplacements , alors que les sacro-saints textes auxquels vous ne cessez de vous référer prévoient une équipe psychopédagogique de trois intervenants spécialisés ?

N’allez surtout pas nous répondre que personne n’a voulu de ces postes pour  » venir se perdre dans les terres « , puisqu’on a appris depuis que les demandes de formation déposées par des enseignants « indigènes  » ont été refusées par vos services , les budgets de formation n’étant pas rendus disponibles !

En quelque sorte, c’est vous qui avez créé le vide que vous utilisez maintenant à posteriori et de manière cynique pour justifier la suppression des postes budgétaires !

Quelles alternatives nous proposez vous ? Envoyer les gamins en rupture de scolarité chez des psychologues, psychiatres et orthophonistes exerçant en libéral ?

Un service public, lui ,n’est pas financièrement tributaire du nombre d’interventions ni de la longueur de la prise en charge pour assurer sa rentabilité. Seul le résultat sur l’enfant compte.
Qu’en serait-il de ces officines, moitié paramédicales moitié para-scolaires?
Qui prescrira qualitativement et quantitativement les interventions ?
Qui contrôlera effectivement la nature et la qualité de ces interventions?
N’est-ce pas livrer des parents en détresse et prêts à tous les sacrifices pour le mieux être de leur enfant aux mains de professionnels dont l’intérêt s’oppose à l’éthique ?

Qui payera les honoraires ? La sécu ? Les collectivités locales ?

Oserez-vous suggérer aux parents de prendre une complémentaire scolaire, en sus de l’assurance obligatoire de base , dans la logique de l’économie de marché ?

Jusque ce point, nous pouvions encore avoir quelques doutes quant aux motivations de votre attitude néfaste à notre encontre. Après tout, vous ne seriez pas le seul à vous couler complaisamment dans le lit de la pensée unique et de l’ultralibéralisme ambiant.

Mais quand on analyse votre attaque contre la filière bilingue publique à Rostrenen, et aussi dans tout le département, ça ressemble à de l’acharnement !

Dans le Finistère, 8 ouvertures de classes sont prévues. Ici, non seulement vous refusez l’ouverture de deux classes pourtant amplement justifiée, mais vous supprimez un demi-poste à Rostrenen !

À se demander si les textes et circulaires sont les mêmes dans nos deux départements !

Vous refusez de prendre en compte les particularités pédagogiques des classes bilingues .

Une classe bilingue, c’est la prise en charge par un même et seul enseignant d’une classe tout au long de la journée, dans des activités complémentaires, d’éveil et d’apprentissage, à parité entre le breton et le français.

C’est un aspect d’autant plus sensible en maternelle, où les enfants sont bien plus dans un processus d’éveil que d’acquisition de connaissances. Les deux langues sont utilisées tout au long de la journée comme vecteur d’enseignement, et en aucun cas le breton ne doit rester qu’une matière enseignée.

Pour un jeune enfant , se sentir accueilli de manière bienveillante dans sa langue , quand il recherche son doudou , dans la cour de récréation, lorsqu’il se réveille de sa sieste … est aussi important pour le développement de ses structures mentales bilingues qu’un apprentissage limité à des activités dirigées en classe.

C’est cette approche pédagogique qui apporte sa supériorité à la filière bilingue publique par rapport à d’autres formes de « bilinguisme » se limitant à des créneaux horaires d’intervention en breton dans des classes monolingues.

C’est pourtant l’orientation que vous vous proposez de nous imposer !
En comptabilisant les effectifs des sections bilingues et monolingues de manière globale, vous suggérez implicitement que des élèves de section bilingue pourraient être accueillis dans une section monolingue pour une partie de la journée.

Il ne s’agit plus de classe bilingue, mais d’intervention en breton dans un cadre monolingue.

Nous ne pouvons accepter ce bilinguisme au rabais , ni à Rostrenen, ni ailleurs !

Il est reconnu par les linguistes et les pédagogues qu’un enseignement bilingue demande énormément plus d’attention et de gymnastique intellectuelle de la part de l’enseignant qu’en section monolingue, ce qui en soit même justifie la nécessité de classes moins chargées. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les ouvertures de classes bilingues ont pu jusque maintenant se faire avec des effectifs inférieurs à la normale.

Il se trouve que les effectifs de maternelle bilingue de Rostrenen ne sont pas en diminution. Ils sont en fait restés stables depuis la création de la première classe il y a maintenant treize ans !

Encore une fois, quelles sont les circulaires , quels sont les textes auxquels vous vous référez pour justifier un tel changement de cap par rapport à ce qui a existé jusqu’à présent ?

Et comment osez-vous parler de privilèges quand il ne s’agit que d’un bien maigre dû , en regard de l’histoire de l’anéantissement de la langue bretonne par des successions de fonctionnaires de l’Éducation Nationale !

Développer l’enseignement de la langue bretonne dans un service public véritablement bilingue et de qualité , sans contingence d’effectif ni de prétextes budgétaires, c’est au minimum un dû auquel nous avons le droit moral, ne serait-ce qu’à titre de réparation historique !

C’est d’ailleurs cet aspect qui motive les orientations politiques concernant le soutien à la langue bretonne et au bilinguisme définies par les élus des collectivités publiques territoriales , dans les cadres de la commune, l’intercommunalité, du département et de la région.

Votre attitude vis à vis de l’enseignement bilingue va à l’encontre des engagements pris par l’État lors de la signature de la convention additionnelle au contrat de plan État-région sur le bilinguisme français-breton (2002-2006).

Nous sommes en droit de savoir si vous avez reçu des instructions précises allant dans ce sens , auquel cas c’est au niveau de l’État qu’il faut rechercher le non respect des accords signés. Ou n’est-ce là que de votre interprétation personnelle ?

La commune de Rostrenen s’est beaucoup impliquée dans la défense le la langue bretonne : signalisation et communication bilingue, recrutement d’assistantes maternelles bretonnantes, investissement lourd en concertation avec enseignants et parents pour la construction d’une école maternelle neuve . Car tous les indicateurs démographiques locaux suggèrent des effectifs à la hausse pour les prochaines années !

Une école neuve, construite selon des normes environnementales HQE, de manière à accueillir enfants et enseignants dans de bonnes conditions : celle la même où vous voulez supprimer un demi poste !

Le Conseil Général a de son côté défini une politique ambitieuse de développement du bilinguisme.

De quel droit vous permettez vous de contrer par vos actes les actions mises en place par nos élus ?

Déjà, il y a 3 ans, après que la Région ait subventionné à hauteur de près d’un million d’euro la construction d’ateliers de mécanique & carrosserie au LEP de Rostrenen , votre ministère n’avait pas hésité à saboter la volonté de développement rural du conseil régional en liquidant la filière d’apprentissage concernée : les contribuables savent-ils que ce million d’euro a été investi en pure perte et que les installations n’ont jamais été utilisées ?

L’histoire se répétera-t-elle ?

Si la pérennité de la filière bilingue publique de Rostrenen venait a être menacée pour cause des entraves au recrutement que vous organisez, ce serait bien le cas : les contribuables savent-ils que la rallonge budgétaire importante accordée par la région pour la construction de l’école maternelle a été acquise grâce à l’existence de la filière bilingue , parce qu’avec des enfants inscrits venant de communes extérieures à Rostrenen, la dimension d’intercommunalité nécessaire à cette rallonge budgétaire était justifiée ?

Mais quels peuvent bien donc être vos objectifs et vos motivations profondes pour ainsi, à l’encontre de l’esprit des lois et au mépris des orientations décidées par les élus locaux, vous permettre, juge et partie, de saboter le service public de l’éducation en Centre Bretagne ?

En football, on appelle ça un but contre son camp. En termes plus graves, il s’agit ni plus ni moins que de trahison du service public que vous êtes sensé défendre.

Nous ne pouvons pas accepter que les décisions prises par les élus que nous avons mandatés à cet effet soient ainsi bafouées !

Soutenons nos élus dans leur combat pour faire respecter la démocratie locale et participative face aux lacunes des services publics et l’hostilité d’un serviteur de l’État .

Après avoir été perçue comme une menace imaginaire par l’État jacobin et sa République une et indivisible, la diversité culturelle et linguistique est-elle en passe de devenir une des bêtes noires du libéralisme et sa  » concurrence libre et non faussée » que nous , ploucs du Centre Bretagne, avons pourtant rejetée en masse le 29 avril dernier ?

Auquel cas, nous revendiquons d’autant plus fort ce droit à la différence s’il peut constituer une résistance contre l’envahissement de l’économie de marché et de la pensée unique dans notre vie quotidienne, à l’encontre de la démocratie participative locale à laquelle nous aspirons.

Exigeons un véritable plan de transfert de compétences et de budgets à la Région Bretagne, dans le cadre du droit à l’expérimentation, en matière de politique linguistique et d’enseignement du breton.

Vous nous arrivez de Corse, avec une réputation de dur, de fossoyeur de l’enseignement public , d’ennemi acharné du bilinguisme …

Nous aimerions ne pas avoir à vous juger sur votre réputation, mais sur vos actes.

En tout état de cause, acculés à un état de légitime défense, nous nous réservons le droit de répliquer, par tous les moyens non violents qui nous sembleront efficaces.

La légitimité doit toujours primer sur l’arbitraire.

Et nos revendications sont plus que légitimes !

Les parents d’élèves de la filière bilingue publique de Rostrenen.