La revolte sterile
Catégorie : Global
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Quand ce ne sont pas les élections qui permettent au bon peuple de se défouler, on le convie à se dégourdir en faisant grèves et manifestations…Ca ressemble au couvercle de la marmite que l’on soulève pour lâcher un peu de vapeur et faire retomber la pression. Alors, comme après s’être soulagé d’une envie pressante,… ça va mieux, on est soulagé… et puis on en a parlé à la télé alors !…
Les élections ont leurs sondages et leurs pourcentages, les journées d’action, leur taux de grévistes et leurs nombres de manifestants. Ah que les discussions sont passionnantes et essentielles dans la lutte sociale !
UN BALLET BIEN ORCHESTRE
La, lutte sociale n’est désormais plus une lutte mais une tradition… et qui plus est une « tradition démocratique » que le pouvoir proclame haut et fort pour bien montrer qu’il est démocratique (la preuve on peut contester) Le scénario est aujourd’hui bien établi et scrupuleuse respecté par les « partenaires sociaux » : Etat, MEDEF, syndicats et politiciens… le bon peuple n’a qu’à suivre les flèches…. Ce qu’il fait dans la plus grande discipline.
1- La colère monte devant les mesures anti sociales,
2- Les syndicats menacent l’Etat et de Gouvernement,
3- Les partis d’opposition emboîtent le pas et font monter la pression l’œil fixé sur les échéances électorales,
4- On choisit une date que l’on qualifie d’avance d’historique, toujours en comparaison avec les précédentes mobilisations,
5- Tracts, affiches, banderoles se préparent (généralement les mêmes relookées de la précédente action),
6- Grève, manif, défilé de mode des responsables politiques et syndicaux qui tiennent toujours le même discours, et cherchent tous les caméras de télévision,
7- Toutes et tous devant la télé aux 20 heures pour se voir,
8- Bataille de chiffre à propos des grévistes, des manifestants entre syndicats et flics, Gauche et Droite, (la Gauche voyant moins de manifestants quand elle est au pouvoir, idem pour la Droite),…
9- Les syndicats se félicitent de la mobilisation qui a été « exceptionnelle »,
10- Le gouvernement déclare solennellement avoir « entendu le message »,
11- Retour au calme… jusqu’à la prochaine fois.
La chorégraphie est au point quoique des variantes existent, en particulier la mobilisation peut durer plusieurs jours voire des semaines, mais même dans ce cas, le schéma général est respecté… et le résultat est garanti : tout reste comme avant… même dans les situations les plus dures (voir mai 68, décembre 95).
Tout individu, je sais de quoi je parle, qui remet en question cette logique, l’ordre immuable de la cérémonie, est suspecté d’être un utopiste dans le meilleur des cas, un liquidateur et un traître dans le pire
Pourtant, il est aujourd’hui établi que les formes traditionnelles de la contestation sociale n’ont aucun impact sur les politiques gouvernementales, encore moins quant à un éventuel « changement social ».
(voir l’article « LES FORMES DE LUTTES EN PERIODE DE DECADENCE »)
UNE HYGIENE SOCIALE
La lutte sociale est devenue une sorte d’hygiène sociale. Les gestionnaires du système marchand, de Droite comme de Gauche savent qu’il est nécessaire, pour que ce système soit supportable, que le bon peuple s’exprime périodiquement contre lui, se fasse les griffes contre lui… lui fasse mal, mais pas trop. Les syndicats sont là pour encadrer la colère et la maintenir dans les limites du convenable…. Et si ceux-ci sont débordés, les partis politiques prennent le relais pour amener tout le monde aux urnes …(faut-il donner des exemples ?).
Comme il existe les « pompes funèbres » pour aider à faire le deuil d’un être cher, la manifestation sert aujourd’hui de « pompe sociale » pour aider le bon peuple à faire le deuil de ses acquis, de ses espérances en une vie meilleure…. Car de même que l’on sait que les manifestations funéraires ne permettront pas de revoir le disparu, la manifestation sociale laisse peu d’espoir pour la sauvegarde des acquis et un éventuel changement… Et ce ne sont pas les politiciens de la Gauche qui manifestent démagogiquement avec le bon peuple qui changeront quoi que se soit s’ils re-parvenaient au pouvoir… (faut-il rappeler l’Histoire récente ?)
La lutte sociale est devenue aujourd’hui une cure psychologique qui permet au malade, pardon au salarié, de verbaliser son « mal être », d’exprimer ses rancoeurs, ses angoisses. Le thérapeute, pardon le politique, l’écoute respectueusement, le laisse parler. Parler est apaisant, s’exprimer redonne l’illusion de l’utilité, permet de reconstruire une identité sociale que le système nie de plus en plus, permet de se donner l’illusion de l’importance… On est ensemble, on est fort, on crie fort, on tient la rue… Parler donne l’illusion de la liberté. Après avoir parlé ça va mieux, on a évacué toute l’agressivité… « Merci docteur, le prochain rendez vous c’est pour quand ? »
Le salarié, n’ayant de toute manière pas d’autre moyen d’expression et d’action, (c’est du moins ce qu’on lui rabâche sur tous les tons) hormis l’élection dont il sait ne rien attendre, (voir l’article « ELECTIONS : PARTICIPER OU PAS ? ), arrive à se convaincre qu’il faut bien en passer par là « pour se faire entendre ». Il en est d’autant plus convaincu que les gestionnaires du système lui disent sans rire qu’ils l’ont parfaitement entendu et compris, la preuve, ils accélèrent la « modernisation »… autrement dit les privatisations, l’exclusion…. Les syndicats en rajoutent en proclamant une « grande victoire de la mobilisation unitaire ». Le Parlement frétille à l’idée d’être interpellé par la mâle rumeur.
Le psy ne contredit jamais son patient, c’est bien connu.
Quelle comédie affligeante !
Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que ce scénario ubuesque marche encore. Ca marche à tous les coups… comme pour les élections. On aurait pu imaginer que l’on puisse piéger les citoyens deux ou trois fois, pas plus. Pas du tout. Mieux, ça se transmet même de générations en générations…. De quoi donner un sacré espoir au système marchand.
AD VITAE ETERNAM ?
Peut-être pas. Pourquoi ?
Parce que les marges de manœuvres de cette manipulation se réduisent de plus en plus. La mondialisation marchande a réduit, et réduit, comme une peau de chagrin les moyens dont disposent les Etats de pouvoir se payer la « paix sociale ».(voir l’article : « NEGOCIER, MAIS NEGOCIER QUOI ? »)
Parce que les choix politiques faits nationalement et internationalement deviennent socialement insupportables.
Parce que le système marchand ne peut plus honorer les promesses qu’il fait et que la grande majorité des citoyens est de moins en moins dupe.(voir l’article : « AUX LIMITES DU SYSTEME MARCHAND »)
Parce que ce système nous conduit socialement et écologiquement à la catastrophe.
Pourtant nous ne sommes, apparemment pas à la veille du grand changement. La démarche intellectuelle de tout un chacun qui l’amène à conclure que « ça ne peut plus durer ainsi » n’est pas suffisante pour que cette conscience se transforme en volonté de changement. L’esprit de révolte qui gronde trouve encore son exutoire, fortement soutenus en cela par les politiques et les bureaucraties syndicales, dans les formes débiles de la contestation sociale qui ne mènent qu’à des impasses.(voir l’article : « FORMES DE LUTTE EN PERIODE DE DECADENCE »)
L’incapacité du système marchand à garantir une existence sociale décente à tout individu est de plus en plus mise en évidence. La dégradation, voire la destruction du lien social appelle et induit des pratiques sociales de substitution qui auront de plus en plus tendance à échapper aux règles imposées par le marché… Nous n’en sommes encore qu’aux prémisses de cette dynamique sociale, la seule qui puisse nous sortir de l’ornière sociale et politique dans laquelle nous sommes.
Patrick MIGNARD
Voir aussi l’article : « DE LA CONTESTATION ».
Dans la société du Spectacle, tout est susceptible de devenir marchandise, et de devenir réalité en lieu et place de la réalité, dans une économie du signe. Comme le premier sinistre qui, cet après-midi à l’assemblée, parlait de fin du temps du dialogue à propos de la SNCM.
Il suffirait d’interdire la grève pour qu’elle redevienne révolutionnaire, comme quoi Chirac, à travers ce qui pourrait être des actes manqués, peut sembler un révolutionnaire. C’est hélas beaucoup moins évident pour des Mailly et des Thibaud, dont il faut se demander si leur place au sein du Conseil Economique et Social sur les mêmes bancs feutrés rouges, que Chérèque, Vuaillat, Slama, etc. ne finit pas par leur donner des « culottes de plomb » côté mobilisation.
La dimension indubitablement répressive de la reconnaissance patronale et gouvernementale des syndicalistes de haute volée, c’est d’assigner ces derniers à une responsabilité de recherche de compromis avec les pouvoirs établis les plus iniques et illégitimes, en lieu et place de l’organisation d’une résistance efficace dont il faut déplorer sa réduction effective à ce qu’il convient d’appeler désormais la symbolique de la lutte, en lieu et place de la lutte.