Travailleurs de gaza, unissez-vous !
Catégorie : Global
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La semaine dernière une autre revendication a été ajoutée à la liste des revendications des Comités Indépendants de Travailleurs de Gaza, liste qu’ils avaient présenté il y a quelques mois aux institutions de l’Autorité Palestinienne et à sa direction. Cette nouvelle revendication est le jugement de celui qui a donné l’ordre d’ouvrir le feu sur les travailleurs et leurs enfants (des élèves) qui manifestaient à Khan-Younis lundi dernier. La première liste des revendications incluent des demandes principales comme l’exemption des frais scolaires pour les enfants d’ouvriers et de chômeurs, l’établissement d’un fond de solidarité pour payer systématiquement les allocations chômage, l’annulation des dettes des ouvriers et des chômeurs incapables de payer leurs factures d’électricité et d’eau ces cinq dernières années, une supervision sur l’attribution d’emplois temporaires par l’Autorité Palestinienne, une assurance santé gratuite pour les ouvriers et les chômeurs, et des élections libres au sein de l’Union Générale des Travailleurs Palestiniens[i].
La police palestinienne, qui s’évanouit à chaque fois qu’un citoyen étranger (journaliste ou employé d’une organisation internationale) est kidnappé au grand jour dans les rues de Gaza, qui s’est montrée incapable d’éviter l’agression et l’assassinat de Moussa Arafat par un groupe d’inconnus armés, cette police et autres personnels de sécurité, qui disparaissent lorsqu’un gang armé et masqué des Brigades des Martyrs Al-Aqsa prend l’immeuble de l’Autorité Palestinienne, a montré toute sa force (et son agressivité) contre quelques centaines d’ouvriers et de chômeurs qui se rassemblaient pour protester dans les rues de Khan Younis la semaine dernière.
Promesses creuses
Les ouvriers, membres des comités, ont décidé de manifester après avoir appris que les promesses des dirigeants de l’Autorité Palestinienne, dont Mohammed Dahlan, de répondre à leur principale revendication et d’exempter leurs enfants des frais de scolarité, furent une simple annonce médiatique et n’ont pas été notifiées dans les circulaires officielles à destination des écoles. Les parents avaient joyeusement envoyé leurs enfants à l’école avant d’apprendre par les directeurs qu’ils ne pourraient continuer leurs études qu’à condition de payer les frais de scolarité. En conséquence, les comités de travailleurs ont appelé à une première manifestation dimanche devant les locaux du Ministère de l’Education. Ils ont obtenu un accord temporaire sur la mise en place d’un comité afin d’étudier les conditions d’attribution des exemptions de frais de scolarité. Le jour suivant, lorsque des enfants furent renvoyés de l’école avec l’ordre de « ramener un papier du ministère des affaires sociales » démontrant la situation de pauvreté de leurs parents, les travailleurs ont mis en place une tente de protestation devant les locaux du gouverneur de Khan Younis, dont la position au sein du gouvernement fait de lui le représentant du rais Mahmoud Abbas.
Le lundi, les représentants des travailleurs ont demandé la mise en place de négociations à propos de leurs revendications avec le gouverneur Hosni Zourab. Zourab s’est plaint que les travailleurs l’aient interrompu et qu’ils lui aient parlé de façon rude. Abd-as-Samih an-Najjar, élu lors d’élections libres à la tête des Comités Indépendants de Travailleurs de la Bande de Gaza, affirme que Zourab faisait référence à deux ou trois ouvriers enragés qui accusaient le gouverneur de n’avoir pas tenu ses promesses, et que lui, an-Najjar, avait fait taire. Il ajoute que tout le monde voulait des discussions sereines et des négociations, et qu’à la fin, il est entré dans les bureaux du gouverneur. Là, surpris, il a trouvé des responsables des forces de sécurité et des moukhtars, des dignitaires représentants des clans familiaux qui « sont à leur place lors qu’il s’agit de disputes interfamiliales, mais n’ont rien à voir avec nos revendications qui concerne la loi ».
« Nous ne demandons ni des faveurs ni une gesticulation d’un quelconque haut placé, et nous ne cherchons pas une solution temporaire, mais nous demandons que les droits des chômeurs et des ouvriers soient fixés dans la législation » explique an-Najjar. « Nous n’avons rien à part nos enfants. Et nous avons le droit d’avoir l’assurance qu’ils pourront aller jusqu’à l’université, comme c’est le cas pour les enfants des hauts fonctionnaires et des dirigeants du gouvernement. Nous ne demandons pas des sièges ou des avantages, nous demandons d’être traités avec dignité ». Cependant, il semble qu’une atmosphère infecte commence à se rependre dans la pièce, atmosphère infecte qui culmine avec l’ordre de démanteler la tente de protestation.
Selon les sources de la sécurité de l’Autorité Palestinienne ce serait les ouvriers qui auraient commencé à jeter des pierres sur les policiers, policiers qui furent ainsi forcés de tirer en l’air et d’utiliser des grenades à gaz lacrymogène pour disperser la manifestation. Les travailleurs rejettent cette version des faits et disent que la police les a violement mis en cause leur droit à manifester de manière pacifique et a commencé à les attaquer alors qu’ils se tenaient dans la tente, si bien qu’ils ont dû quitter la tente et manifester dans les rues.
Les ouvriers expliquent que si des pierres ont été lancés contre des policiers, c’était une « nécessité » après que les policiers de l’Autorité Palestinienne aient commencé à faire des tirs de sommation dans les airs. Les ouvriers ont aussi dû libérer an-Najjar des mains de la police. Il fut en effet arrêté alors qu’il affirmait que la protestation serait pacifique. « Ils ont tiré du gaz lacrymogène sur nous » dit-il, « puis nous leur avons hurlé : « A Neveh Dekahim, l’armée israélienne est restée des jours face aux colons et n’en a pas blessé un seul, et vous, notre force de police nationale, vous nous jetez des gaz lacrymogène au bout de cinq minutes ! » ». Une grenade a ensuite touché un manifestant au pied.
Affrontements avec la police
Les affrontements entre la police et les ouvriers, rejoints par des élèves qui ont retrouvés leurs parents dans la protestation, ont duré plusieurs heures. Les tentatives d’empêcher les élèves de rejoindre les manifestants ont été sans succès. « Tout est devenu hors contrôle » affirme an-Najjar. « L’insulte ressentie par le fait que ce soit « leur » police qui les frappe a mis le feu aux poudres. Dans le même temps, apprenant les affrontements avec la police, les représentants des Comités Indépendants de Travailleurs du Nord de la Bande de Gaza, ont organisé leurs propres protestations à Beit Lahia et à Jabalya.
La semaine précédente, à cause des préparations des Forces de Défense Israélienne pour le désengagement de Gaza, la Bande était toujours coupée en deux et le croisement Abou Holi (l’intersection « Gush Katif ») était fermé aux Palestiniens durant toute la journée et aucune protestation ne pouvait y avoir lieu. Mais les représentants des travailleurs dans le Nord de la Bande de Gaza ont pu avec succès rencontrer le gouverneur de leur district et lui expliquer leurs positions. Le gouverneur a pris contact avec les fonctionnaires de sa juridiction et était d’accord pour organiser rapidement une rencontre avec Hassan Abou Libdeh, le ministre palestinien du travail. Des représentants des comités de toute la Bande de Gaza ont prévu de le rencontrer jeudi prochain (…).
Les Comités Indépendants de Travailleurs ont évolué depuis les premiers campings de protestation organisés il y a environ trois ans à travers la Bande par des travailleurs, en particulier par ceux qui avaient perdu leurs emplois en Israël à cause du bouclage prolongé. Tout avait commencé par une protestation contre ce qu’ils voyaient comme une distribution injuste des fonds versés par l’Autorité Palestinienne et qu’ils n’ont pas reçus, ce qui les a fait tomber dans le groupe plus large des « cas sociaux ».
Ils ont également protesté contre le fait que les critères d’attribution d’emplois pour les chômeurs étaient opaques. La protestation s’est développée dans une critique de plus en plus développée en premier lieu contre la politique de « distribution de la charité » et de « distribution de faveurs » de l’Autorité Palestinienne. (…)
Mais cette protestation s’est aussi directement dirigée contre l’incompétence des syndicats ouvriers officiels dont personne ne se souvient si, quand et comment ont été élus les dirigeants (qui sont payés par la trésorerie de l’Autorité Palestinienne). Les vieux syndicats officiels sont liés au sommet à diverses organisations politiques, et la distribution des postes de direction entre eux se fait selon leur allégeance aux divers groupes de l’OLP. Ils sont dirigés par des membres liés à l’OLP.
Les travailleurs et les chômeurs qui ont commencé à lutter il y a trois ans défendent leur indépendance organisationnelle. Tout d’abord, ils ont reçu le soutien d’organisations pour les droits humains à Gaza, dont les fondateurs sont d’anciens militants des organisations gauchistes palestiniennes, mais qui les ont quittées. Ils ont été en particulier aidés par le Centre pour les Droits des Travailleurs et la Démocratie (DWRC), dont le responsable en Cisjordanie est également membre du Parti Communiste de Palestine, et le responsable de la Bande de Gaza un ancien membre du Front Populaire.
L’année dernière, avant l’élection de janvier 2005 du président de l’Autorité Palestinienne, les travailleurs ont commencé à mettre en place une organisation ouvrière indépendante. Ils ont tenu leur congrès constitutif le 18 décembre 2004, où an-Najjar a été élu secrétaire et où a été élu un secrétariat général de 21 représentants dont cinq femmes. Les responsables de l’organisation disent qu’il y a approximativement 8.000 travailleurs adhérents qui payent une cotisation annuelle de 10 shekels.
Assurance gratuite
Avant l’élection présidentielle, les membres de la nouvelle organisation ouvrière ont considéré que le seul candidat qui soutenait toutes leurs revendications était le Docteur Moustafa Barghouti, présenté par l’Initiative Nationale Palestinienne.
Ils ont donc affirmé leur soutien à ce candidat, mais comme le précise aujourd’hui an-Najjar, il s’agissait d’un soutien temporaire.
Le Hamas, qui a récemment constitué sa propre organisation syndicale, lui a proposé de participer à une manifestation qu’il organisait. Lors d’une réunion qui s’est tenue le mois dernier dans le local principal de Khan Younis, ils ont refusé l’offre, réalisant que leur force principale est leur indépendance organisationnelle. Pour la même raison, ils ont demandé aux groupes de défense des droits de l’homme, qui ont un arrière-fond fortement marqué à gauche, de relâcher l’« étreinte » professionnelle qu’ils offraient à l’organisation ouvrière, afin qu’elle ne soit colorée par aucun label. Maintenant, ils organisent eux-mêmes différents cours pour les travailleurs.
Les syndicats traditionnels voient cette organisation indépendante comme une trahison. Lors de plusieurs manifestations, des rapports indiquent que les syndicats officiels y ont envoyé des provocateurs pour pousser à l’affrontement avec la police afin de condamner après le « chaos » et la « trahison » contre le gouvernement national. Même si les médias de l’etablishment palestinien s’abstiennent généralement de parler de leurs revendications et de leurs efforts d’organisation, malgré des rapports mensongers indiquant que la manifestation à Khan Younis incluait des membres du Hamas et du Djihad Islamique, les Comités Indépendants ont obtenu quelques résultats : ils leur a été assuré (par un document signé) que la compagnie d’électricité ne couperait pas l’électricité pour ceux qui n’ont pas payé leur facture à temps (« une dette de 15.000 shekels est un minimum » dit an-Najjar).
Il y a aussi eu un accord comme quoi les chômeurs et les travailleurs recevraient une assurance santé gratuite, même si elle ne devrait pas inclure les frais pour les médicaments. Cette promesse a été donnée par l’ancien ministre de la santé, Jawad al-Tibi, mais les dirigeants de l’organisation ouvrière indépendante ont découvert que, non seulement il faudra payer 150 shekels pour cette assurance santé « gratuite », mais qu’elle est appelée « assurance de l’Intifada Al-Aqsa ». En d’autres termes, dès la fin officielle de l’Intifada, plus d’assurance.
La rencontre prochaine avec le ministre palestinien du travail brisera-t-elle le modèle de ces trois dernières années : mépris de la part de l’etablishment, lobbying pour trouver les faveur d’un fonctionnaire compatissant de l’Autorité Palestinienne, manifestations bruyantes qui amènent à une rencontre avec un fonctionnaire ou un autre, puis des promesses qui se transforment en « faveurs particulières » ? Dans tous les cas, an-Najjar, qui compte sur un ordre présidentiel d’Abbas pour permettre l’inscription gratuite des élèves enfants d’ouvriers et de chômeurs, promet que si 10 jours avant le Ramadan, qui tombera en octobre, leurs principales revendications ne sont pas satisfaites, les travailleurs continueront leurs actions de protestation.
Les appels des dirigeants de l’Autorité Palestinienne à « l’unité nationale » et les célébrations victorieuses marquant le retrait israélien de la Bande de Gaza, ne fera pas dévier l’attention des travailleurs et ne les calmera pas.
Amira Hass, Haaretz, 14 septembre 2005
[i] Union Générale des Travailleurs Palestiniens : Confédération syndicale officielle de Palestine, complètement liée à l’Autorité Palestinienne à tel point que les dirigeants de cette confédération sont, non pas élus par les syndiqués, mais désignés par l’OLP et l’Autorité Palestinienne (NdT).
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