Sortir de l’Europe

Le Conseil Constitutionnel a rendu jeudi une décision dont il convient de mesurer toute la portée.

A une requête (de Jacques GABARRO-ARPA) rédigée d’après le modèle que nous avions proposé à l’adresse:


le Conseil, sans toutefois nier ni la réalité du caractère conditionnel de la modification de la Constitution, ni le lien entre le référendum sur un article de loi et la modification automatique de la Constitution, pas plus que l’absence de référence à ce lien conditionnel dans le pli de 12 pages distribué aux électeurs, répond malgré tout:

“8. Considérant, d’autre part, que la loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 a modifié le titre XV de la Constitution afin de tirer les conséquences de la décision du 19 novembre 2004 susvisée par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré que l’autorisation de ratifier le traité ne pouvait intervenir qu’après révision de la Constitution ; que l’article 3 de ladite loi, sur lequel il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de se prononcer, a explicitement prévu qu’à compter de l’entrée en vigueur du traité, laquelle interviendra dans les conditions fixées par celui-ci, l’actuel titre XV de la
Constitution, intitulé : ” Des Communautés européennes et de l’Union européenne “, sera remplacé par un nouveau titre XV intitulé : ” De l’Union européenne ” ; que, si, par la volonté du constituant, l’entrée en vigueur du nouveau titre XV est conditionnée par l’entrée en vigueur du traité lui-même, la condition ainsi posée est précisément énoncée ; que, dès lors, les électeurs ne sont pas tenus dans l’ignorance des conséquences de leur vote…”

En clair, c’est vrai que le pli du gouvernement distribué aux électeurs n’expose pas clairement cet aspect du référendum, mais c’est sans importance car les citoyens n’ont qu’à chercher et lire la loi du 1 mars 2005, et tant pis pour ceux qui croient ce que leur dit le gouvernement dans son pli de 12 pages.

Avec tout le respect dû au Conseil Constitutionnel, on peut difficilement être d’accord avec ce point de vue. Le texte du Traité est déjà en soi assez touffu pour qu’en plus chaque citoyen aille regarder le Journal Officiel pour voir si on lui a tout dit ou si on essaye de le berner. Le Conseil Constitutionnel ajoute d’ailleurs:

“10. Considérant que l’exposé des motifs qui, conformément à la tradition républicaine, accompagne un projet de loi, a pour objet non seulement de présenter les principales caractéristiques de ce projet, mais encore de mettre en valeur l’intérêt qui s’attache à son adoption ; que, par son contenu, le document critiqué n’outrepasse pas cet objet…”

Sauf que la question, en l’occurrence, n’était pas de savoir si le gouvernement en avait trop fait, mais précisément le contraire: s’il ne désinformait pas par défaut.

Jacques GABARRO-ARPA est actuellement candidat de la plateforme “Indépendance des Chercheurs” au Conseil d’Administration du CNRS, voir:

Voir, pour le dossier de cette décision du Conseil Constitutionnel::

[->http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2005/20050519/index.htm

Pour le communiqué de presse:

Décision du 19 mai 2005 sur des requêtes présentées par Monsieur Jacques GABARRO-ARPA et Monsieur Georges HOFFER

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Le 19 mai 2005, le Conseil constitutionnel a rejeté deux nouvelles réclamations dirigées contre le décret du 17 mars 2005 portant organisation du référendum du 29 mai 2005.

Elles mettaient toutes deux en cause le contenu de l’exposé des motifs du projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe, distribué aux électeurs en application de l’article 3 de ce décret.

Selon M. Gabarro Arpa, l’exposé des motifs dissimulait la signification véritable d’une consultation équivalant, selon lui, à une révision constitutionnelle inavouée.

Pour sa part, M. Hoffer critiquait le dernier paragraphe de ce document, qu’il estimait de nature à abuser l’électorat sur la portée de la ratification du traité.

(fin du communiqué)

et pour le texte de la décision:

Décision du 19 mai 2005 sur des requêtes présentées par Monsieur Jacques GABARRO-ARPA et Monsieur Georges HOFFER

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu 1°) la requête, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 16 avril 2005, par laquelle M. René Georges HOFFER, demeurant à Punaauia (Polynésie française), demande l’annulation de l’article 3 du décret n° 2005-237 du 17 mars 2005 portant organisation du référendum ;

Vu 2°) la requête, enregistrée comme ci-dessus le 12 mai 2005, par laquelle M. Jacques GABARRO-ARPA, demeurant à Paris, demande l’annulation du décret n° 2005-218 du 9 mars 2005 décidant de soumettre un projet de loi au référendum, ainsi que de l’article 3 du décret du 17 mars 2005 précité ;

Vu la Constitution, ensemble la loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 modifiant le titre XV de la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 ;

Vu les décrets attaqués ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que MM. HOFFER et GABARRO-ARPA demandent au Conseil constitutionnel d’annuler l’article 3 du décret du 17 mars 2005 susvisé, aux termes duquel : ” Le texte du projet de loi soumis au référendum et celui du traité qui lui est annexé sont imprimés et diffusés aux électeurs par les soins de l’administration… ” ; que M. GABARRO-ARPA demande en outre au Conseil constitutionnel, sauf à réformer la question posée aux électeurs et à ordonner le report du scrutin, d’annuler le décret du 9 mars 2005 susvisé ; que ces requêtes mettent en cause des dispositions identiques ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

SUR LA COMPÉTENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :

2. Considérant qu’en vertu de la mission générale de contrôle de la régularité des opérations référendaires qui lui est conférée par l’article 60 de la Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de statuer sur les requêtes mettant en cause la régularité d’opérations à venir dans les cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait le déroulement général du vote ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics ;

3. Considérant que ces conditions sont réunies eu égard aux dispositions dont l’annulation est demandée, qui figurent dans des décrets propres au référendum ;

4. Considérant, en revanche, que le Conseil constitutionnel n’est compétent ni pour réformer le décret du Président de la République décidant de soumettre un projet de loi au référendum, ni pour ordonner le report du scrutin ;

SUR LE FOND :

En ce qui concerne la portée du référendum :

5. Considérant que M. GABARRO-ARPA soutient que la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe, dont l’autorisation est demandée par référendum, aura pour conséquence, sans que le corps électoral en ait conscience, de réviser la Constitution ; qu’il fait valoir à cet égard que l’exposé des motifs du projet de loi, communiqué aux électeurs en application de l’article 3 du décret du 17 mars 2005 susvisé, ne rend pas compte de tous les effets d’une ratification dont la portée est aussi de substituer de nouvelles dispositions à celles de l’actuel titre XV de la Constitution ; que la sincérité du scrutin en serait dès lors faussée ;

6. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 11 de la Constitution : ” Le Président de la République… peut soumettre au référendum tout projet de loi… tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ” ;

7. Considérant, d’une part, que le projet de loi soumis au peuple français a pour objet d’autoriser la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe et non de modifier la Constitution française ;

8. Considérant, d’autre part, que la loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 a modifié le titre XV de la Constitution afin de tirer les conséquences de la décision du 19 novembre 2004 susvisée par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré que l’autorisation de ratifier le traité ne pouvait intervenir qu’après révision de la Constitution ; que l’article 3 de ladite loi, sur lequel il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de se prononcer, a explicitement prévu qu’à compter de l’entrée en vigueur du traité, laquelle interviendra dans les conditions fixées par celui-ci, l’actuel titre XV de la Constitution, intitulé : ” Des Communautés européennes et de l’Union européenne “, sera remplacé par un nouveau titre XV intitulé : ” De l’Union européenne ” ; que, si, par la volonté du constituant, l’entrée en vigueur du nouveau titre XV est conditionnée par l’entrée en vigueur du traité lui-même, la condition ainsi posée est précisément énoncée ; que, dès lors, les électeurs ne sont pas tenus dans l’ignorance des conséquences de leur vote ;

En ce qui concerne la teneur générale de l’exposé des motifs :

9. Considérant que M. GABARRO-ARPA soutient que la teneur générale de l’exposé des motifs altérerait la sincérité du scrutin ;

10. Considérant que l’exposé des motifs qui, conformément à la tradition républicaine, accompagne un projet de loi, a pour objet non seulement de présenter les principales caractéristiques de ce projet, mais encore de mettre en valeur l’intérêt qui s’attache à son adoption ; que, par son contenu, le document critiqué n’outrepasse pas cet objet ;

En ce qui concerne le dernier paragraphe de l’exposé des motifs :

11. Considérant que, selon M. HOFFER, le dernier paragraphe de l’exposé des motifs serait contraire à la Constitution ” puisque la rédaction de son nouvel article 88-1 ouvre la voie à une ratification sans réserve “; que les exigences de clarté et de loyauté de la consultation seraient ainsi méconnues ;

12. Considérant que, selon le dernier paragraphe de l’exposé des motifs : ” Le traité établissant une Constitution pour l’Europe a été examiné par le Conseil constitutionnel. Il a fait l’objet de sa décision du 19 novembre 2004. La lecture qu’il en a faite montre que ce traité respecte les éléments inhérents à notre tradition constitutionnelle nationale, s’agissant notamment de la laïcité et de l’égalité des droits et des devoirs de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de sexe, de
race ou de religion. C’est compte tenu de cette lecture que la Constitution française a été révisée par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 et que le Peuple français est appelé à se prononcer sur le traité par référendum ” ;

13. Considérant que cette formulation, qui a pour objet d’expliciter la portée de la référence faite à la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004 dans les visas du décret du 9 mars 2005 susvisé, ne comporte aucune information erronée ou de nature à induire en erreur les électeurs ;

14. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les requêtes susvisées doivent être rejetées,

D É C I D E :

Article premier.- Les requêtes de M. René Georges HOFFER et de M. Jacques GABARRO-ARPA sont rejetées.

Art. 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 mai 2005 où siégeaient M. Pierre MAZEAUD, Président, M. Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE, Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER et M. Pierre STEINMETZ.