Les grévistes paient le prix cher
Le gouvernement ne veut pas d’aménagement des retenues sur salaire.

Par Hervé NATHAN et Cédric MATHIOT et Emmanuel DAVIDENKOFF

mardi 17 juin 2003

La paye du mois de juin pourrait être bien maigre pour de nombreux agents du service public. Le gouvernement a décidé de taper au portefeuille en appliquant le plus rigoureusement possible la réglementation existante. Une réunion interministérielle a eu lieu la semaine dernière autour du cabinet du Premier ministre. Dans la foulée, le ministère de la Fonction publique a adressé à toutes les directions du personnel des ministères une lettre fixant des règles strictes pour les retenues sur salaires. Elle rappelle que toute heure de grève équivaut à la retenue d’une journée et que, lorsqu’on a cessé le travail le vendredi, le week-end est lui aussi décompté. Sans exclure la possibilité d’étaler les retenues sur plusieurs mois, la missive ne l’encourage pas, loin de là. «C’est un rappel des principes», explique-t-on au cabinet de Jean-Paul Delevoye. Principes qui rompent avec les traditions. Bernard Lhubert, secrétaire général des fédérations CGT des fonctionnaires, ne décolère pas : «Le gouvernement affiche sa volonté de faire taire les personnels en les frappant sur leurs revenus le plus durement possible.»

Bercy
Cette intransigeance est déjà appliquée à Bercy où Francis Mer a donné des consignes très strictes. «Les payes dans toute la fonction publique ont été arrêtées vendredi ou lundi dernier, explique Michel Monteil, patron de FO Finances. Certains agents, en grève depuis le 13 mai, vont avoir quinze jours de retenue à la fin du mois, plus le reliquat en juillet.» Selon FO, l’application des directives ministérielles a provoqué des incidents dans les trésoreries (qui effectuent les virements) : des agents ont voulu étaler le paiement, comme d’habitude, et ont été sévèrement rappelés à l’ordre par leur hiérarchie.

Education
Même fermeté à l’Education nationale. Pour l’heure, il n’est pas question de négocier le paiement d’une partie des jours de grève et le ministère envisagerait d’appliquer l’arrêt Aumont, une jurisprudence qui autorise à prélever aussi les jours non travaillés «pris en sandwich» entre deux jours de grève. Ses effets sont ravageurs : un professeur de lycée qui aurait fait grève le jeudi et le lundi verrait son salaire amputé de cinq jours ú deux jours de grève plus le vendredi (même s’il n’a pas cours ce jour-là), plus le week-end. En Seine-Saint-Denis, où des profs du secondaire alignent trente jours de grève, l’application de cet arrêt peut quasiment doubler la facture. Idem à La Réunion où, strictement appliqué, l’arrêt engloberait les quinze jours des vacances de Pâques.Cette fermeté contraste avec l’attitude habituelle à la fin des longs conflits. Jack Lang avait soldé les grèves anti-Allègre de l’hiver 2000 par des prélèvements représentant, au total, de trois à cinq jours de salaire. Allègre s’était montré coulant à l’issue du mouvement de 1998 en Seine-Saint-Denis. Un syndicaliste relève la contradiction «qui consiste à louer les enseignants pour leur sens des responsabilités quand ils ne bloquent pas les examens, et à les matraquer par une application maximaliste de la loi». Le ministère répond par la stricte application de celle-ci, ajoutant que tout «cadeau» «serait inaudible par les non-grévistes». Seul signe de souplesse : les inspecteurs d’académie et les recteurs auraient reçu pour instruction d’étaler les prélèvements à raison de trois jours par mois pour les traitements les moins élevés, et de cinq jours par mois pour les autres.

SNCF
Il y a clairement une stratégie de la direction et du gouvernement d’affaiblir la mobilisation en cours», estime Grégory Roux, responsable fédéral de la CGT. La direction de la SNCF dément. Mais l’entreprise a d’abord décrété qu’aucun jour de grève ne serait converti en jour de congé, rompant avec ce qui se pratiquait parfois au sortir de conflits longs. Cela permettait aux grévistes de limiter partiellement les pertes et à l’entreprise de «compenser» certains jours perdus en terme d’activité. La direction a également décidé que les feuilles de paye des cheminots seraient amputées au minimum de trois à cinq jours de grève par mois, limitant l’étalement des ponctions. «Depuis des lustres, nous envoyons les mêmes directives», se défend la direction. Il suffit pourtant de remonter à 1995 pour trouver des jours de grè ve convertis en jours de congés ainsi qu’un étalement plus indolore des retenues de salaire. Depuis, la nouvelle direction de la SNCF a certes adopté des directives plus «carrées» lors des conflits, mais les exigences en terme d’application au niveau local étaient très lâches… «Tout dépendait des régions, explique-t-on chez Sud-Rail. En 2001, il y a eu des conversions de jours de grève en jours de congés, ce qui d’ail leurs arrangeait parfois les dirigeants locaux en peine d’honorer les jours de congés dus aux cheminots.Idem pour l’étalement des retenues de salaires.» Il semble que, cette fois, les responsables locaux aient reçu la consigne expresse de ne transiger sur rien… Les syndicats décèlent aussi un raidissement au sujet d’un différend juridique : depuis plusieurs années, la direction estime qu’un préavis de grève reconductible ne couvre que les cheminots en grève depuis le premier jour, et met en situation «illégale» ceux qui s’engagent en cours de conflit. Les syndicats, eux, s’appuient sur une jurisprudence de la cour de cassation sociale en 1999 qui affirme : la «grève appartient aux salariés». Lors du conflit des retraites, certains grévistes qui ont débrayé après le premier jour ont été mis en «absence irrégulière» par l’entreprise. Rien de neuf, sauf que, «ces dernières années, les responsables locaux revenaient souvent en arrière à la fin du conflit. Il semble que ce soit beaucoup plus difficile aujourd’hui», témoigne un syndicaliste.