Bolivie : calme avant la tempête ?
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« Il y a une paix fragile dont la suite dépendra du traitement de la loi des hydrocarbures au Sénat » a synthétisé Evo Morales en référence au climat politique et social que vit le pays, traversant une pause dans la conflictivité sociale, due à la Semaine Sainte et à l’attente de traitement de la loi par le Sénat. Cependant, ce qui devait constituer seulement une « révision » du projet par la Chambre haute menace de se transformer en changements de fonds par rapport à ce qui a été approuvé par les députés en première lecture. Le président de la république, Carlos Mesa, -malgré avoir signalé dans ses derniers discours qu’il n’interviendrait plus dans le débat sur la loi- a déjà avancé des observations sur 18 points, parmi lesquels le passage obligatoire des compagnies pétrolières à de nouveaux contrats, les fonctions régulatoires de la refondée YPFB (compagnie pétrolière publique), le droit de « veto » des peuples indigènes sur des projets pétroliers sur leurs territoires et la controversée question des impôts.
Le gouvernement continue à défendre l’idée que l’impôt supplémentaire de 32 %, pour parvenir à 50 % des revenus pétroliers pour l’Etat, soit déductible avec d’autres impôts, position refusée par les députés et les mouvements sociaux. Les compagnies pétrolières considèrent également que la loi telle qu’elle a été votée est « confiscatoire » et empêche les investissements. Repsol YPF (Espagne) et Petrobras (Brésil) ont déjà menacé de réduire leurs investissements dans le pays si le projet approuvé par les députés n’était pas modifié et le ministre des Hydrocarbures, Guillermo Torres, a insisté sur la possibilité de procès contre la Bolivie.
La commission de dévelloppement Economique du Sénat -qui reprendra demain la discussion du projet -préalable au traitement par la majorité des sénateurs- a invité tous les secteurs du pays, y compris le pouvoir exécutif et les multinationales pétrolières, à envoyer leurs observations au projet, ce qui menace de réouvrir le débat et de réactiver les conflits sociaux. « Nous sommes en alerte, s’ils retirent de la loi les droits des peuples indigènes, nous débuterons des mesures de pression comme le blocage des puits de pétrole » a averti Fabian Cayo, dirigeant de l’Assemblée du Peuple Guaraní du Itika Guazu et représentant d’une communauté proche du camp Margarita, exploité par Repsol YPF. « Nous donnons deux semaines pour que le gouvernement définisse si il est avec le peuple ou avec les transnationales », a affirmé Román Loayza, dirigeant paysan et sénateur du Mouvement au Socialisme (MAS) de Evo Morales. La trève sera redéfinie aujourd’hui par le nouveau et hétérogène Pacte Anti-Oligarchique lors d’une réunion à Cochabamba a informé Evo Morales.
Beaucoup d’analystes et de dirigeants politiques admettent qu' »il y a une pause mais rien n’a changé » et le doute persiste : Carlos Mesa ira-t’il jusqu’à la fin de son mandat en 2007 ? Les enquêtes lui sourient toujours, le considérant comme le principal facteur de contention face à la crise de fortes dimensions. Selon un récent sondage de la firme Apoyo, 60 % des consultés soutient le président, contre 21 % pour Evo Morales. L’étroite représentativité de ceux qui devraient occuper le fauteuil présidentiel dans le cas d’une succession constitutionelle et la crise des partis pour affronter un procesus d’élections anticipées lui permettent une certaine marge de manoeuvre, bien que très étroite, pour continuer à son poste. Les moins optimistes, comme l’analyste Jorge Lazarte, considèrent que la crise va au-delà de l’administration Mesa, parce qu’un autre gouvernement ne garantirait pas, dans les actuelles circonstances, une meilleure stabilité. L’actuelle fragmentation politique ne facilite pas une recomposition politique par une anticipation des élections. Le sociologue francais Jean-Pierre Lavaud a nommé « embrouillement bolivien » la constellation de forces déstabilisatrices qui ont empêché la consolidation institutionnelle du pays andin. Ces tensions historiquement ont donné lieu à des réponses autoritaires de la part des Forces Armées. Aujourd’hui -bien que possible- elles paraissent très éloignées et le consensus pour maintenir le cadre institutionnel est plus important bien que ces accords minimums ne sont pas suffisants pour garantir la gouvernabilité et sortir le pays du retard de longue date qu’affrontent quotidiennement ses habitants.
Ainsi se maintient l’actuel « match nul hégémonique ». Ceux qui promeuvent une plus forte intégration à l’économie globale -maintenant au travers du Traité de Libre Echange (TLO)- ne parviennent pas à imposer leur projet. Et les mouvements sociaux, y compris le MAS de Evo Morales, sont héréditairement plus efficaces pour mettre leur véto aux politiques opposées à leurs intérêts que pour mettre en pratique des alternatives depuis la sphère d’Etat.
Pablo Stefanoni
Pagina12 (Argentine), 28 mars 2005
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