Pour en finir avec le véganisme politique

Choix éthique, le véganisme s’exprime à travers un mode de consommation refusant l’exploitation animale. De plus en plus de personnes publiques s’en revendiquent et beaucoup d’entre elles s’associent pour « faire entendre la voix des animaux » et l’institutionnaliser. Le véganisme devient donc un mouvement politique au sens politicien du terme. Cela se traduit par des manifestations et des projets de lois qui aboutissent à la reproduction des rapports de forces entre groupes sociaux aux intérêts antagonistes. La « Loi sur le statut juridique de l’animal » alimente la Justice qui n’est autre qu’une institution de contrôle social protégeant la propriété privée et justifiant l’exploitation des animaux humains et animaux non humains.

L’« identité végane » ne décrivant que partiellement ses adeptes, elle fait généralement peu état de leurs motivations et de leurs aspirations en matière d’émancipation. Lorsque certains de ses thuriféraires s’expriment, il est assez fréquent de s’apercevoir que leur discours est empreint de confusionnisme. En effet, l’idéologie végane n’étant pas en elle-même anarchiste, bon nombre de ses agents se revendiquent misanthropes et/ou sont proches de groupes identitaires d’extrême droite. D’autres défendent le système électoral et ses partis ainsi que l’héroïsme de quelques activistes pour la « libération animale ». Les pseudosciences les plus dangereuses et les bondieuseries vectrices de soumission au même titre que les idéologies essentialistes basées sur le genre ou la « race sociale » font aussi partie de leur prêt-à-penser.

Faire d’un mode de consommation LA solution au spécisme – non réductible à une façon particulière de consommer – comme le préconise ces « véganes politiques », revient donc à perpétuer les structures d’oppression qui leur sont nécessaires. Entre autres cette machine bureaucratique, policière et militaire qu’est l’État. Voilà pourquoi le véganisme politique est un mouvement au service du pouvoir et du spécisme que ces soi-disant ennemis prétendent à tort combattre.

Une tendance non isolée

Cette politique du « changement par la consommation » propose des « solutions alternatives et morales » pour mettre fin au système d’exploitation spéciste et à l’idéologie qui l’accompagne. Mais cette tendance est par nature illusoire. Le véganisme politique n’ayant pas le monopole de celle-ci, on la retrouve dans d’autres « mouvements contestataires » :

• Dans l’ « antisionisme » qui appelle au boycott et à la sanction de l’État d’Israël, des produits culturels et des marchandises fabriquées sous son gouvernement [1]. Le boycott étant un facteur concurrentiel de l’économie marchande, il a pour conséquence première la dégradation des conditions de travail et de vie des salariés. Le licenciement de ces derniers marquant le point final de cette dégradation.

À ce propos, en quoi boycotter quelques entreprises mettrait fin à la puissance militaire de cet État ? Pourquoi boycotter exclusivement celui-ci alors qu’aucun État n’applique de mesures antiracistes et anti-xénophobes efficaces ? Faire d’Israël « le champion du monde des États racistes » ne révélerait pas le caractère antisémite de ces appels au boycott ?

• Dans le mouvement anthroposophe. Initié par Rudolph Steiner, raciste notoire lié à l’extrême droite pangermaniste, ce mouvement promeut un projet de société totalitaire sur fond d’occultisme, d’écologie et de végétarisme. S’étendant via les écoles alternatives Montessori et Waldorf, l’industrie homéopathique, l’agriculture biodynamique et les arts, il s’immisce jusque dans des gammes de produits « vegan » (cf. notamment les marques Weleda ou Léa Nature). Comme toute entreprise marchande, son but est de se faire le plus d’argent possible mais son idéologie est d’inspiration ésotérique. L’avatar « vegan » de l’anthroposophie n’est qu’un moyen pour mettre en avant ses thèses sur la Nature et le Cosmos avec lesquels l’Homme devrait être en Harmonie, sur l’agriculture biodynamique qui serait « plus saine », « naturelle » et donc préférable à l’« agriculture conventionnelle », etc.

Nous ne nous étendrons pas ici davantage. Nous reviendrons dans un article ultérieur sur ce mouvement ultra-réactionnaire trouvant des relais dans des sphères gouvernementales.

Contre toutes les formes d’exploitation

Le véganisme se traduit par la consommation de produits labellisés « vegan », mais leur multiplication ne remet pas en cause le spécisme. Elle montre que le véganisme est un secteur de profits juteux et un lobby. Citons entre autres l’ouverture de nouveaux restaurants véganes qui contribue à la gentrification de certains « quartiers populaires » et à la reproduction des dispositifs de contrôle urbains.

Cela étant, ces « véganes politiques » reprochent souvent aux spécistes de ne pas faire le rapprochement entre leurs comportements et leurs répercussions sur les individus non humains, exploités ou non. Mais ceux qui remettent en question l’exploitation salariale se surajoutant à l’exploitation spéciste semblent fort peu nombreux. Les « Pourquoi s’opposer à l’exploitation animale et non à l’exploitation salariale ? » et « Pourquoi ne pas s’opposer à l’impératif socio-économique qu’est le salariat, impératif contraignant les prolétaires à se réveiller chaque matin pour aller au travail (ou pour en chercher un) et pour gagner un salaire (ou toucher des aides) ? », sont des questions auxquelles ils ne répondent jamais publiquement.

Dans la sphère de production les animaux humains et non humains sont exploités en tant que « main d’oeuvre » et « ressource ». Contrairement aux premiers, les seconds ne gagnent pas de salaire pour leur productivité, ni pour leur chair et leurs organes lorsqu’ils sont mis à mort. Si une plus grande diversité de produits véganes offre certains avantages, cela ne doit pas occulter que chaque marchandise nécessite du travail humain. Que des personnes sont obligées de se lever pour les fabriquer, les transporter, les mettre en rayons, les encaisser… pour des salaires souvent peu élevés. C’est toute cette partie de l’exploitation capitaliste qui manque dans le discours des « véganes politiques » pour être radical.

Le problème n’est pas tant de gagner un bas salaire, même si plus important il permet de répondre à davantage de besoins. Le problème est le salariat qui impose aux travailleurs diverses contraintes n’allant pas dans leurs intérêts. Leur vie est soumise au pouvoir des exploiteurs, elle doit se mériter et être à leur service [2].

Le véganisme politique prétend qu’il y a une bonne façon de consommer et que toute personne ne consommant pas végane participe à l’exploitation animale. Morale, cette posture « hors sol » et sans proposition émancipatrice n’est guère intéressante. Il existe bien des situations où un individu est contraint à ne pas consommer végane (troubles des conduites alimentaires, cadre familial oppressif, précarité…). Les produits cosmétiques et d’entretien non testés sont souvent très chers. Pour les fabriquer soi-même il en faut les moyens : outils, « temps libre », volonté, accès aux « recettes de fabrication » que les personnes travaillant huit heures par jour et/ou subissant la « marginalisation socio-spatiale » n’ont pas forcément.

Les remarques du type « Si notre façon de consommer n’anéantit pas l’exploitation spéciste, alors à quoi bon se ruiner à acheter des produits non testés ? » laissent place au fatalisme. Mais dénoncer le spécisme sans tenir compte des conditions matérielles de chacun déclenche souvent des réflexes psychologiques de défense et engendre l’inverse des effets recherchés, c’est-à-dire le rejet de l’antispécisme.

À propos d’« expérimentation animale »

Historiquement l’antispécisme s’inscrit dans la continuité du mouvement « anti-vivisection » qui n’était pas « anti-science » [3]. La reconnaissance du statut de « sujet » pour les animaux fondait l’essentiel de son combat.

L’« expérimentation animale » n’est évidemment pas défendable et semble en perte de vitesse dans certains pays. Le fait que beaucoup d’études en éthologie sont financées par des organisations qui exploitent les animaux est indéniable. Néanmoins certaines avancées dans cette discipline peuvent servir d’« outils théoriques » contre l’idéologie spéciste régnant jusque dans les milieux libertaires où l’antispécisme a pourtant toute sa place. Au lieu de cela, on assiste dans ces milieux (et au-delà) à des concours de pseudo-radicalité dépourvus d’arguments scientifiques et alimentant l’ identaritarisme humaniste et anthropocentriste.

Ces avancées permettent de mieux comprendre les animaux non humains et leurs besoins, ainsi que les comportements des animaux humains à leur égard. Leurs « mésusages » ne sont imputables qu’à ceux qui s’en servent à des fins dominatrices et de conservation de structures d’oppression.

Un activisme contre-révolutionnaire

Tant que la critique du spécisme sera axée sur un mode de consommation, les réformistes et opportunistes réactionnaires en tireront diverses formes de profit.

Par exemple l’association L214 affirme qu’il est important de filmer dans les abattoirs car elle juge problématiques certaines pratiques d’exploitation et d’abattage. Mais que veut-elle dire exactement ? Que le système spéciste se détruirait à coups de caméras ? En réalité leur fonction est de surveiller la productivité des salariés asservis aux patrons. Aucune d’entre elles ne convaincra de l’existence de méthodes d’exploitation et d’assassinat « plus éthiques ».

D’autres militants montrent du doigt les méthodes d’abattages « casher » et « hallal ». Notamment ceux de Cause Animale Nord, de Sea Shepherd ou des personnalités comme Brigitte Bardot qui ont plus d’une fois montré que leur « défense des animaux » leur permettait d’exprimer des propos haineux [4]. Or il n’y a pas de méthodes d’abattage moins spécistes que d’autres. Cibler celles qui ne sont pas issues de la tradition chrétienne illustre souvent les aspects racistes et nationalistes de leur pensée politique.

Ajoutons que les véganes mettant en équivalence Shoah, esclavage et exploitation animale instrumentalisent des faits pour tenter d’en expliquer d’autres. L’assertion selon laquelle l’exploitation animale « serait comme la Shoah ou l’esclavage » n’est pas seulement abjecte sur le « plan éthique » : elle est non pertinente en termes d’analyses politique et historique puisqu’un régime dictatorial national-socialiste n’est pas identique à un gouvernement démocratique, la résistance des personnes se définissant comme juives ou stigmatisées comme telles par le IIIe Reich n’est pas comparable avec la « résistance » des animaux non humains, etc. En relativisant les spécificités de chaque situation, ces raisonnements par analogie font le lit du racisme, de l’antisémitisme et du négationnisme.

La lutte contre le spécisme…

…commence par la lutte contre toutes les hiérarchies opposant les « formes vivantes ?animales” et ?humaines”». Les animaux humains et non humains ne seront pas libérés du spécisme par la force des portes-monnaies, l’utilitarisme étant indéfendable d’un point de vue anarchiste. L’émancipation ne passera pas par le prêchi-prêcha réformiste du véganisme politique mais par la radicalité de nos discours tenant compte des possibilités individuelles, l’amplitude de nos révoltes et les révolutions sociale et libertaire.

Anarchistes Révolutionnaires Antispécistes

NOTES

1. La sanction qui est une forme de répression serait défendable d’un point de vue anarchiste ?

2. « Contre le Travail et ses apôtres » : https://ravageeditions.noblogs.org/post/2016/04/17/contre-le-travail-et-ses-apotres/

3. « Science et patience. La polémique sur la vivisection au XIXe siècle en France. » https://amades.revues.org/1321

4. « Cause animale nord, racistes et méchants » http://www.lesenrages.antifa-net.fr/cause-animale-nord-racistes-et-mechants/

« Sea Shepherd réactionnaire mon cher Watson » http://www.lesenrages.antifa-net.fr/sea-shepherd-reactionnaire-mon-cher-watson/