Pour les moyens de la résistance, je suis idéologiquement contre le recours au terrorisme,
entendu comme atteinte « aveugle » à des individus dont on ignore l’implication personnelle
dans les événements puisqu’ils sont visés au hasard. Certainement pas contre des attaques
contre des cibles militaires, qui sont clairement l’instrument d’oppression, politiques, qui sont
ceux qui décident de cette oppression, ou contre les colons, qui sont une partie intégrante de
l’occupation militaire de la Palestine. Parler de terrorisme lorsque des cibles militaires sont
atteintes entretient une dangereuse confusion qui ne peut au bout du compte que favoriser le
terrorisme. De même que parler d’antisémitisme à propos de l’antisionnisme s’apparente à
jouer dangereusement avec le feu de l’antisémitisme pour des politiques à bien courtes vues.

Cela dit, les Palestiniens résistent à une occupation et à une violence inouïe, un terrorisme
d’Etat vécu au quotidien et dans chacun dses aspects de leur vie, qui touche l’intégralité de la
population civile, je ne parle pas que seulement des nombreux morts, mais aussi des
maisons détruites, des terres confisquées, de l’accès à l’eau supprimé, des camps où la
malnutrition fait des ravages, des écoles fermées, des infrastructures systématiquement
détruites. Par ailleurs, l’armée israélienne est une armée de conscrits, une armée juive (les
Arabes, citoyens de seconde zone, n’y sont pas admis, excepté quelques sous-groupes
marginaux), chaque juif accomplit 3 ans de service très jeune (18-21 ans généralement) puis
plusieurs semaines chaque année toute sa vie. Ceci contribue nécessairement à rendre
moins perceptible la frontière entre l’ennemi en arme, celui qui occupe, et la population civile
(aussi bien, d’ailleurs, du point de vue israélien que palestinien). Mais encore, la confusion
systématique faite en Israël entre des actes « terroristes (visant des populations civiles au
hasard) et des actes « militaires » (visant des objectifs militaires), tout étant amalgamé dans les
discours des médias et des politiciens de gauche et de droite en « terrorisme » contribue
également puissamment, du point de vue de la résistance palestinienne, à légitimer le
terrorisme. D’autant plus que les contacts entre les deux populations sont réduits au néant
absolu: avant la première Intifada, ces contacts, même très inégaux et dans des situations
d’infériorité hiérarchique des Palestiniens, existaient cependant et il était possible, de part et
d’autre, d’envisager l’autre comme une personne civile avec laquelle des rapports « normaux »
peuvent être développés. Depuis 1987, l’Etat israélien a orchestré la séparation totale des
deux populations. La seconde Intifada a vu cette logique poussée à son terme, avec la
constitution de villes-prisons palestiniennes, la construction d’un réseau d’infrastructure, en
Palestine même, uniquement destiné aux colons et interdits aux palestiniens, tandis que ces
derniers, pendant des mois entiers, étaient, en plus de l’enfermement dans les villes, soumis
à des couvre-feux permanents dont certains ont duré plusieurs mois d’affilée. Depuis 1987,
les travailleurs palestiniens en Israël ont été remplacés par des travailleurs immigrés de
divers pays du tiers-monde. Ce n’est pas un hasard si les attentats terroristes ont commencé
15 ans après le début de cette politique de séparation, avec l’arrivée dans les réseaux de la
résistance de jeunes militants qui ne connaissent d’Israël que les soldats qui les humilient au
quotidien, pour lesquels l’Israélien à l’unique figure de ce soldat. En face, de même, tout
Palestinien est assimilé à un terroriste. Les ambulances du croissant rouge bloquées aux
check-points, les journalistes palestiniens abattus (9), les enfants de douze ans torturés et
emprisonnés ont cette même signification: le Palestinien n’existe que comme ennemi,
exactement en miroir.

Et cette ethnicisation constitue certainement l’évolution la plus inquiétante du conflit, dont
Israël (l’Etat d’Israël, les politiciens de gauche et de droite) est entièrement responsable. Qui
marque, de part et d’autre, le renforcement des tendances extrémistes : l’arrivée de Sharon au
pouvoir, orchestrateur de nombreux massacres, était impensable quelques années plus tôt;
le développement d’organisations radicales (bien qu’elles soient très différentes et ne reflètent
pas la même idéologie) comme le Hamas et le Djihad islamique sont également le reflet de
cette ethnicisation. Les fous dangereux qui sont à la tête d’Israël ne se contentent pas de la
favoriser: ils la construisent et favorisent consciemment son développement. La destruction
des infrastructures de l’OLP, l’élimination physique ou l’emprisonnement de tous les militants
d’organisations ouvertes sur Israël, tandis que le développement du Hamas est favorisé tout
en étant sans cesse brandi comme épouvantail, en est une preuve accablante.

Pour revenir à la question du terrorisme, et pour conclure, deux choses:

1) Il ne faut pas confondre terrorisme et lutte armée: l’élimination d’un ministre dans un
contexte d’occupation n’a rien d’un acte terroriste, la cible est clairement choisie et identifiable,
membre du gouvernement d’un Etat occupant.

2) Si l’opposition de principe au terrorisme est selon moi une évidence à rappeler, il n’en reste
pas moins que c’est une arme en l’occurrence choisie par des résistants à l’occupation de
leur pays, contre un terrorisme d’Etat infiniment plus meurtrier et plus efficace. C’est d’ailleurs
au nom de l’efficacité, également, qu’on peut critiquer l’utilisation du terrorisme, je doute fort
qu’il serve beaucoup la cause palestinienne, et par ailleurs il favorise une rupture totale entre
les deux peuples. Cependant, et il me semble que c’est l’aspect primordial, il faut garder à
l’esprit que dans ce conflit, toutes les cartes sont dans les mains de l’Etat israélien, et que
c’est l’Etat israélien et lui seul qui a choisi cette évolution du conflit. Et qu’en accuser d’abord
les Palestiniens serait une singulière inversion de la réalité, exactement ce qu’essaye de faire
passer la puissante propagande sioniste.

Solidairement,

Wilfrid,

SIPM-CNT