Notre-dame-des-landes : l’assemblée des salamandres
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Catégorie : Local
Thèmes : EcologieResistancesZad
Lieux : Notre-Dame-des-LandesZAD
A gauche, un tracteur démonté, béquillé sur un gros billot de bois. Il manque une roue. À droite, une banderole « Améliorez l’existant, préservez l’avenir », un paquet de pancartes « Non à l’aéroport ». Au milieu, deux vaches en contreplaqué veillent sur l’assemblée du mouvement, 300 personnes bien serrées. Le hangar ne ferme que sur trois côtés, mais au QG de la résistance, nommé La Vacherit en clin d’œil à la bergerie du Larzac, on se tient chaud.
La veille, 25 janvier, un juge a décidé l’expulsion, ou plutôt l’« expulsabilité », des quatre irréductibles paysans et de onze familles qui ont refusé de composer à l’amiable avec Vinci, ainsi que le chèque pour partir de la Zad. Jusqu’ici, la justice les avaient épargnés. « L’État a posé le geste le plus coûteux politiquement : rendre expulsables les paysans historiques », analyse l’assemblée. La lutte contre l’aéroport et son monde entre dans un espace-temps de crispation.
Les contraintes environnementales agacent sérieusement les promoteurs du projet, avec ces dates butoirs, ces périodes légales de protection de la faune et de la flore interdisant de couper les arbres, de toucher aux mares, aux ruisseaux. Le calendrier administratif les rend aussi impatients : il leur faut absolument démarrer les travaux, au moins un peu, mais vite, sous peine de devoir reprendre à zéro les procédures d’expropriation en janvier 2017, et surtout voir la déclaration d’utilité publique du projet d’aéroport devenir caduque en février 2018.
Contraintes sans astreinte
Les partisans du projet claironnent que ces paysans expulsables lèvent le dernier obstacle avant les bulldozers. Cette décision de papier n’a pourtant pas dû être célébrée à la préfecture ou chez Vinci. C’est même une défaite. Vinci n’a pas obtenu l’astreinte financière réclamée ; 200 euros par jour et par dossier. Bâtiments de ferme, hangars, terres : certains cumulaient quatre dossiers. Le juge n’a pas accordé cette sanction financière individualisée qui aurait forcé les paysans à partir d’eux-mêmes, atteints au portefeuille, sans besoin de gendarmes enlisés dans la boue du bocage. C’était pourtant une arme redoutable, les paysans craignant d’avoir à se poser la question : « On en est à combien à payer aujourd’hui ? » Ils l’avaient avoué : ils n’auraient pas tenu longtemps. Désormais, tous les résistants sont pareillement expulsables, sans traitement de défaveur. Les fermes occupées de Bellevue le sont « sans délai » depuis octobre 2013 et avril 2014. Ça soude un peu plus. « On est devenu comme nos voisins occupants », note Marcel Thébault, un des éleveurs laitiers ciblés par le dernier jugement. Même si une fois passé le délai de deux mois avant que l’expulsion ne soit applicable, « pas sûr que nos enfants dorment bien… »
Photo cocktail des anciens
L’assemblée s’interrompt pour lire les déclarations de Valls de l’après-midi. Son baratin sur la nécessité de l’aéroport rase-bocage ne varie pas, mais avec un changement de date : les travaux annoncés début 2016 seraient reportés à l’automne. Pas si sûr. Tout le monde est aux aguets pour défendre la Zad, tout de suite. On parle du risque d’avoir à faire face à un camp fortifié gardé par des gendarmes, stratégie utilisée dans le Val-de-Suze pour démarrer les travaux du train grande vitesse Lyon-Turin. Un septuagénaire fait une démonstration de lance-pierres avec un système de glaçons dans du papier alu, pleins de peinture « pour aveugler les flics », et propose que « les personnes de [sa] génération posent en photo, à visage découvert, avec des cocktails molotov, on s’en fout d’être reconnus ». Un barbu rigolard propose de « faire un black block de 50 000 personnes ». Péages gratuits, forêt plantée en quelques heures dans un bitume sensible, construction de tours de vigie et de défense s’envisagent très concrètement. Certains veulent cibler les lieux de pouvoir, de consommation de masse, de « flux de transport à fort impact économique », comme diraient des technocrates. Un appel à mobilisation massive le 27 février est lancé, mais où ? Dans Nantes, autour de la ville comme lors du blocus du périphérique le 9 janvier, mené par plus de 400 tracteurs et quelque 20?000 piétons et cyclistes ? Préférer se retrouver dans le périmètre de la Zad ? « Si on est nombreux, ça craint pour les salamandres… Et attention à l’entre-soi. On ne gêne personne sur la zone », dit une zadiste. « Mais si, faut occuper la Zad et se montrer, comme j’ai occupé mon usine quand j’étais ouvrier », objecte un jeune retraité, qui a fait cent bornes pour venir à l’AG de ce soir. Occuper, c’est déjà ce qui se fait depuis plus de six ans… « Ah, mais arrêtez d’applaudir… On n’est pas au spectacle », s’agace une fille sous son bonnet, déclenchant illico une salve d’applaudissements de l’assemblée, hilare. Une équipe de fins limiers cherche l’identité de l’entreprise de débroussaillage, récemment choisie par appel d’offres, mais que la préfecture garde secret « par sécurité ». « C’est vrai, ils ont un peu du souci à se faire », sourit un zadiste.
Concorde et cohésion
Si zadistes, familles et paysans exploitants sont expulsables, personne ne partira de soi-même. Même Alphonse Fresneau, 84 ans, concerné par cette dernière décision de justice, a dit : « Je reste ! » C’est l’un des premiers paysans à s’être élevés dans les années 1970 contre ce projet d’aéroport imaginé par d’éminents technocrates voulant éviter au Concorde de passer le mur du son au-dessus des campagnes françaises en ne déchaînant ses réacteurs qu’après l’escale nantaise.
Quarante-cinq ans après, dans cette agitation d’assemblée générale, une certaine concorde règne pourtant. Toutes les composantes sont là. Malgré les disparités, les sensibilités et les options stratégiques, malgré les tentatives de division orchestrées par le préfet et reprises par les médias, la cohésion tient solidement entre paysans historiques et zadistes, le collectif de paysans Copain, l’association citoyenne Acipa, la coordination qui intègre syndicats et groupes politiques, le groupe d’élus CéDPa, les Naturalistes en lutte, les comités anti-aéroport de toute la France, récemment ravivés après des mois de sommeil.
Cette union solidaire ne fait pas les affaires de l’État, des élus droite-gauche et des patrons du lobby local du BTP. Quand ils parlent de la Zad, on croirait entendre les Versaillais cracher sur la Commune de Paris. Alors ministre de l’Intérieur, Valls avait parlé de « kyste » à éradiquer. L’ex-président PS de région, Jacques Auxiette, voulait « karcheriser » la zone et y rejouer, « comme au Mali », l’opération Serval. Son successeur, Bruno Retailleau, LR, ex-villiériste, exige le retour à « la suprématie de la loi de la République sur la loi de la jungle » pour régler la « situation anarchique qui règne ».
Un bien commun des luttes
Plus qu’un persistant obstacle à un grand projet, c’est ce que représente la Zad qui les gêne, avec ses potagers collectifs, ses tonnes de patates et d’oignons produits, son blé qui nourrit la meunerie et la boulangerie, ses assemblées autogestionnaires. La Zad constitue d’ores et déjà un bien commun des luttes. Un espace précieux, construit sur plusieurs années, qui a su développer la solidarité avec les migrants de Calais, des passerelles vers les quartiers populaires, avec les luttes en Russie, en Italie, en Angleterre. L’insoumission bouillonnante s’y passe allègrement de police, de juges, de conseils municipaux, de chambres d’agriculture. Le partage, l’entraide, d’autres manières de bâtir sans permis de construire, de cultiver sans acte notarié, de se nourrir en marge du capitalisme. Pour les partisans de l’ordre, mater cette résistance est peut-être plus urgent que couler leur béton prometteur de dividendes.
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