La décadence bourgeoise et la violence
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La décadence bourgeoise et la violence
On éprouve beaucoup de peine à comprendre la violence prolétarienne quand on essaie de raisonner au moyen des idées que la philosophie bourgeoise a répandues dans le monde ; suivant cette philosophie, la violence serait un reste de barbarie et elle serait appelée à disparaître sous l’influence du progrès des lumières. Il est donc tout naturel que Jaurès, nourri d’idéologie bourgeoise, ait un profond mépris pour les gens qui vantent la violence prolétarienne ; il s’étonne de voir les socialistes instruits marcher d’accord avec les syndicalistes ; il se demande par quel prodige de mauvaise foi des hommes qui ont fait leurs preuves comme penseurs peuvent accumuler des sophismes en vue de donner une apparence raisonnable aux rêveries de personnages grossiers qui ne pensent pas . Cette question tourmente fort les amis de Jaurès, qui traitent volontiers de démagogues les représentants de la nouvelle école et les accusent de chercher les applaudissements des masses impulsives.
Les socialistes parlementaires ne peuvent comprendre les fins que poursuit la nouvelle école ; ils se figurent que tout le socialisme se ramène à la recherche des moyens d’arriver au pouvoir. Les gens de la nouvelle école voudraient-ils, par hasard, faire de la surenchère pour capter la confiance de naïfs électeurs et subtiliser les sièges aux socialistes nantis ? L’apologie de la violence pourrait encore avoir un très fâcheux résultat, en dégoûtant les ouvriers de la politique électorale, ce qui tendrait à faire perdre leurs chances aux candidats socialistes, en multipliant les abstentions ! Voudrait-on faire revivre les guerres civiles ? Cela paraît insensé à nos grands hommes d’Etat.
[…] Est-ce à dire qu’ils soient complètement ennemis de la violence ? Il ne serait pas dans leur intérêt que le peuple fût tout à fait calme ; il leur convient qu’il y ait une certaine agitation ; mais il faut qu’elle soit contenue en de justes limites et contrôlée par les politiciens. Jaurès fait, quand il juge cela utile pour ses intérêts, des avances à la Confédération générale du travail ; il recommande parfois à ses pacifiques commis de remplir son journal de phrases révolutionnaires ; il est passé maître dans l’art d’utiliser les colères populaires. Une agitation, savamment canalisée, est extrêmement utile aux socialistes parlementaires, qui se vantent, auprès du gouvernement et de la riche bourgeoisie, de savoir modérer la révolution ; ils peuvent ainsi faire réussir les affaires financières auxquelles ils s’intéressent, faire obtenir de menues faveurs à beaucoup d’électeurs influents, et faire voter des lois sociales pour se donner de l’importance dans l’opinion des nigauds qui s’imaginent que ces socialistes sont de grands réformateurs du droit. Il faut pour que cela réussisse, qu’il y ait toujours un peu de mouvement et qu’on puisse faire peur aux bourgeois.
Georges Sorel
Réflexion sur la violence
1 Il paraît que c’est en ces termes que l’on parle du mouvement prolétarien dans le beau monde du socialisme raffiné.
2 Suivant les besoins, il est pour ou contre la grève générale.
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