Negocier ? …mais negocier quoi ?
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NEGOCIER ? … MAIS NEGOCIER QUOI ?
Les marges de manœuvres, politiques, et surtout économiques dont dispose un système pour se pérenniser et assurer son équilibre en dit long sur son état général et en particulier sur le degré de développement de ses contradictions. L’indicateur est d’autant plus fiable quand le système politique est dit démocratique. Or, aujourd’hui, dans les pays développés, et en France en particulier, c’est bien de cela dont il s’agit, de la volonté mais aussi des possibilités de négociation dont disposent les pouvoirs publics en matière de politique économique et sociale.
Le pouvoir actuel est caractérisé par une double attitude, inquiétante : la tendance à la liquidation des acquis sociaux et économiques (service public, législation du travail, retraites,…) et l’obstination à « ne pas/plus entendre » les protestations. Cette attitude à une conséquence logique : elle limite ce qu’il est convenu d’appeler, le «champ des négociations ». Or, la négociation, dans un système qui se veut démocratique est une pratique de dialogue social, essentielle, c’est d’ailleurs autour d’elle que se structurent les instances et les stratégies de « dialogue social » activées en cas de conflit (essentiellement les syndicats et les associations diverses).
QUE RESTE-T-IL A NEGOCIER ?
Dans le système marchand, la négociation est inévitable. Comme dans chaque système, basé sur un antagonisme économique et social (intérêts économiques et sociaux divergents entre groupes sociaux), la négociation est le premier instrument de régulation pour sortir d’un conflit et pour éviter tout durcissement voire généralisation de celui-ci.
A l’époque de la souveraineté de l’Etat-nation et dans une économie « non ouverte » (par opposition à la mondialisation que nous connaissons aujourd’hui), les pouvoirs publics, l’Etat, avaient une double qualité pour négocier : ils avaient la compétence sur leur territoire et avaient « de quoi » négocier.
La compétence était la conséquence même de l’existence de l’Etat-nation : une autorité qui avait autorité sur le territoire et ce à l’exception de toute autre. Cette autorité, dans un système démocratique représentant le peuple, on en concluait que le peuple avait « autorité » sur les décisions étatiques.
Ce qui se négociait c’était la rémunération de la force de travail, ses conditions d’existence (hygiène, sécurité, temps de travail, protection sociale, retraites,…)… entre autres.
Aujourd’hui :
La compétence a été diluée à la fois dans la mondialisation du capital… le pouvoir économique a largement dépassé le cadre national qui borne la zone d’influence de l’Etat national, mais aussi dans la construction européenne qui a déclaré compétentes des instances supranationales, installées il est vrai avec l’accord des Etats. La situation est aggravée par le choix politique des Etats de fonder le fonctionnement de l’économie, non plus sur un contrôle citoyen, mais en faisant confiance aux stricts mécanismes du marché.
Quant à la « matière » même de la négociation, elle a fondu comme neige au soleil. En effet, la mondialisation marchande, par l’ouverture de nouveaux pays producteurs (à bas coûts) et l’ouverture de marchés à l’échelle planétaire (pratiquant des prix défiant toute concurrence), interdit désormais ce qui hier était possible : augmenter des salaires, garantir l’emploi, assurer la protection sociale,…Toutes ces mesures qui autrefois ont fait les « conquêtes sociales », les « acquis sociaux » et ont évité les conflits majeurs,… toutes ces mesures sont (dans le cadre du système marchand), aujourd’hui impossibles à prendre.
Autrement dit, il faut se rendre à l’évidence : si l’on voit toujours, et encore, « qui » peut négocier, on ne voit plus très bien « quoi » négocier. Le système marchand n’a plus rien à négocier avec les salarié-e-s.
Cette situation fait voler en éclat les conditions d’établissement d’un consensus social qui trouvait ses fondements, en cas de conflit, dans la négociation. Les syndicats sont impuissants à assumer une situation pour laquelle ils n’ont jamais été faits. Quant à l’Etat, qu’il soit de Droite ou de Gauche, qui est garant de ce système, on comprend parfaitement pourquoi il hésite à faire des réformes (Gauche) ou pourquoi, il passe, ou essaye de passer, en force (Droite). On comprend enfin pourquoi les réformes vont toutes dans le sens de la dérèglementation et que la Droite comme le Gauche ne peuvent y échapper.
Malgré cela, l’Etat garant du système marchand se doit de maintenir la « cohésion sociale » ou du moins un semblant, et comme il doit aussi sauver les apparences démocratiques, il ne peut pas agir uniquement sur le plan répressif….
LA « COMMUNICATION » COMME MOYEN DE SAUVEGARDER LES APPARENCES
Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui ont été surpris par la remarque des membres du gouvernement qui, en chœur, ont expliqué doctement qu’il y avait un « déficit de communication »… autrement dit, les réformes passent mal parce qu’elles sont « mal expliquées ». Surprise également quant à l’attitude du gouvernement qui manifestement a l’intention de continuer les « réformes » Certaines et certains en ont conclu que le gouvernement prenait les gens pour des imbéciles et des demeurés… il y a de ça, mais pas uniquement.
Le gouvernement, malgré tous les risques de troubles sociaux, ne peut pas ne pas continuer sa politique : contrainte du marché, contrainte des engagements internationaux (OMC, Europe)… c’est tout le sens de la phrase : « Il faut réformer la France ». Il est donc indispensable de faire « passer ces réformes dans l’opinion publique »… il faut donc faire preuve de persuasion. Tout et bon, et tout sera bon : remaniement ministériel, désavoeu du gouvernement précédent, promesses (encore !), appel à la sagesse, la responsabilité, la volonté, au réalisme, etc… Bref rien de très nouveau mais parfaitement illusoire.
Le temps va être mieux utilisé : au lieu d’injecter massivement on va faire du goutte à goutte, jouer sur les contradictions des bureaucraties syndicales, la lassitude des salariés, des usagers, les périodes de vacances, les grandes campagnes médiatiques qui dilueront l’attention de l’opinion publique : attentats, catastrophes, réunions sportives, évênements poeple, etc….Bref de la C-O-M-M-M-U-N-I-C-A-T-I-O-N !
La Gauche surfe d’ailleurs démagogiquement sur cette situation, faisant croire que si elle était au pouvoir elle ferait différemment ( ???)… ce qui est un pieu mensonge et une manipulation… il suffit de voir comment elle a agit au gouvernement hier… et à fortiori si elle y était aujourd’hui… décidée à gérer ce système elle n’aurait pas le choix. Elle va essayer de se refaire une virginité politique sur les probables échecs du gouvernement et va entraîner l’opinion publique dans des manifestations ridicules qui n’auront qu’un seul et unique objectif : la ramener au pouvoir.
Enfin, si la « communication », c’est-à-dire la persuasion et la manipulation n’arrivent pas à ces fins, il reste la répression, la contrainte… c’est qui explique le recours de plus en plus fréquent aux mesures coercitives et à la juridiciarisation des conflits sociaux (voir l’article : VERS UNE SOCIETE POLICIERE ?).
ET ALORS ?
Le fait que le système marchand n’ai plus rien à négocier ne veut évidemment pas dire que l’alternative, en terme de l’instauration d’un autre système, est prête, encore faut-il que des rapports sociaux nouveaux prennent le relais, et qu’il y ai une volonté politique, quelle que soit sa forme, pour l’assurer. C’est d’ailleurs là que réside l’essentiel du problème de l’alternance, d’autant plus que l’action de la Gauche va être stérilisante et destructrice pour celles et ceux qui veulent le changement.
Il est dés à présent indispensable de procéder à une analyse de la situation qui nous fait sortir de la gangue politicienne et électoraliste et pose les problèmes, non pas en terme de prise du pouvoir (pour quoi faire ?), mais de mise en place de relations sociales alternatives et de formes de luttes nouvelles qui posent le véritable problème de la marchandisation (voir l’article TRANSITION)
Si tout ce qui est écrit dans cet article est juste, c’est la seule voie possible qui s’ouvre à nous.
Patrick MIGNARD
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