Retour à nantes : la zad, le 22 février et les suites
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Category: Local
Themes: 22 févrierZad
Places: Nantes
1.
Le 22 février à Nantes, c’est sûr qu’il y a eu du bordel, c’est sûr qu’on était encore plus nombreux qu’aux précédentes manifestations, c’est sûr aussi que remettre le centre-ville en ordre après notre passage a pris un peu de temps. Mais enfin tout de même, est-ce que cela peut justifier que les plus hautes autorités de l’État se laissent aller à qualifier les zadistes de « mouvement armée », comme n’a pas hésité à le faire le préfet de Loire-Atlantique ? Peut-on, dans un État de droit, lancer publiquement des appels à la délation afin d’encourager certains manifestants à envoyer à la police leurs photos & films pour identifier et arrêter d’autres manifestants ? Est-ce pensable que des représentants de la préfecture appellent personnellement des paysans de la ZAD en leur demandant de fournir des listes de noms ? Il faut bien le dire : ces méthodes nous rappellent, avec un certain effroi, les heures les plus sombres de leur histoire. (Tout le monde aura compris qu’il est ici fait référence aux appels à la délation qui suivirent l’assassinat par la Résistance du chef de la Kommandantur de Loire-Atlantique en 1941).
2.
Au sortir de la manif, il n’y a pas que ces vieilles habitudes qui nous ont sidéré : dans les médias, on voit les manifestants de la place Maïdan affronter quotidiennement la police à coups de fusils et de cocktails molotovs ; et c’est partout célébré comme la lutte légitime d’un peuple contre son président – pourtant élu démocratiquement. Alors qu’à Nantes, les mêmes scènes d’affrontements contre la police sont vilipendés, et tous les partis politiques de crier aux « extrémistes infiltrés » et autres « professionnels de la violence » venus uniquement pour la baston. D’un coté on félicite certains de s’être levé face à un système corrompu, de l’autre on fustige des gens en lutte contre le pouvoir métropolitain. La France, c’est ce pays légèrement schizophrène où on aime bien les révoltes, tant qu’elles restent loin de chez soi.
3.
« L’opposition institutionnelle à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes doit cesser d’être la vitrine légale d’un mouvement armé » (préfet de Loire-Atlantique). Suite à la manif, la grosse opération de l’État et de ses relais consiste à sommer les organisations (ACIPA, COPAIN44, etc.) de se dissocier de ce qui s’est passé au cours de la manif. On les presse de condamner « la violence », de reconnaître que ce qui s’est passé, c’était vraiment n’importe quoi, inacceptable, que la politique est une affaire de gens propres sur eux et qui n’utilisent que l’arme de la raison. On les sermonne sur leurs mauvaises fréquentations : « faites bien attention aux gens autour de vous, les jeunes vauriens qui traînent sur la ZAD… »
3.1
Or le moins qu’on puisse dire, c’est que ça marche pas des masses. Dans les jours qui ont suivi, malgré quelques maladresses médiatiques, il n’y a pas eu de vraie dissociation. Sans doute déjà parce que pendant le bordel, ce qui était vraiment frappant, c’était l’assomption de la violence politique : les gens qui restent même pendant les affrontements assez durs, les gens bienveillants qui ne s’écartent pas en laissant d’autres en première ligne. Ces présences qui sont autant d’encouragements tacites. Tel manifestant qui soutient que ça aurait été plus intelligent de préparer l’action des grilles avec des tracteurs pour qu’on puisse tirer plus efficacement, tel autre qui se désole que, faute de massettes disponibles, on ne puisse pas lui en prêter pour dépaver.
3.2
Cette situation rappelle un peu les affrontements du 3 juillet 2011 dans le Val-de-Suse, dans une lutte contre un autre projet d’infrastructure. Il y avait eu de gros affrontements avec la police italienne, suivis d’attaques médiatiques contre le mouvement No-Tav. Et les institutionnels du mouvement avaient immédiatement répondu « nous sommes tous des black block » pour couper court à l’opération de séparation.
4.
Nous sommes à un point de la lutte où l’idée que la résistance physique face aux flics est nécessaire ne fait plus tellement débat. Tout le monde convient, même les plus démocrates, que si le recours à « la violence » avait été laissé de coté, la ZAD aurait déjà été expulsé avec l’opération « César » de 2012 ; elle ne serait plus qu’un lointain souvenir. Notre perspective n’est pas de concurrencer militairement les flics. C’est de faire tomber l’ordre des choses. Mais cet ordre ne tombera pas sans s’affronter aux flics. Du reste, il n’y a plus guère de mouvement conséquent qui puisse se payer le luxe de ne jamais trouver sur son chemin la police. Personne ne vient faire la leçon aux Bonnets rouges alors qu’ils ont clairement adopté comme mode d’action le sabotage et ne rechignent pas à la confrontation avec les forces de l’ordre.
5.
La violence politique a cette vertu de pousser chacun à prendre parti. Certes tout le monde sourit quand Julien, arrêté en fin de manif, un peu au hasard et condamné à 5 mois de prison, dit que l’émeute l’a « sou-la-gé ». Mais quand on lui demande pourquoi il jette des pierres, il n’hésite pas : « c’est pour tous les gens, les petits, contre les capitalistes et toute leur merde ».
6.
C’est quoi un nouvel aéroport au final ? C’est la métropole qui pose une autre de ses infrastructures, un autre de ses nœuds pour opérer une nouvelle jonction entre ses territoires. Donc remettre en culture des pans entiers de la zone d’aménagement différé et saccager Nantes, c’est au fond la même chose, le même geste, ça revient à assumer une certaine cohérence. La métropole n’est pas seulement là où elle crève les yeux, elle est un peu partout, même dans les coins de campagne les plus reculés – la ZAD a bien son réseau wifi. Et les gens les plus conditionnés par l’ambiance métropolitaine sont toujours un peu bizarre, ils ont toujours du mal à vivre pleinement, sans médiations : demander leur ce qu’ils retiennent du 22, et beaucoup seront incapables de vous dire autre chose que : « toute cette violence, ça va en parler dans les médias et ça va desservir le mouvement, c’est bien dommage ». Tous ont cette même absence à la situation, à ce qui s’est passé le 22, à ce que cela ouvre maintenant.
7.
Dès le 22 au soir, la logorrhée conspirationniste a enflé. Discours faible qui veut, dans ses versions les plus franches, que la police ait volontairement laissé les Black Bloc tout casser pour « décrédibiliser » le mouvement. La fausseté de cet argument ne tient pas à l’inaction ou non de la police devant les débordements mais apparaît plutôt dès qu’on cherche à distinguer où veut nous conduire ce genre de discours. Cette position pense, à tort, que la force d’un mouvement lui vient de la sympathie qu’il provoque dans « l’opinion publique ». Or, face à des gens dont le travail est d’aménager (les territoires, la société…), des gens plongés jusqu’au coup dans la pratique, il faut bien voir qu’aucun beau discours ne les fera reculer d’un pouce. C’est donc sur un plan tout aussi pratique qu’il faut se placer pour pouvoir les combattre.
7.1
La ZAD se moque bien d’être crédible et se pose de toutes autres questions : comment s’approvisionner ? Qu’est-ce que veut dire concrètement communiser des terres et les cultiver ? Comment différentes composantes politiques peuvent cohabiter ensemble sur un même territoire ? Dans une même lutte, quels sont les rapports justes à trouver avec les paysans du coin ? Etc. Et c’est ce qui donne sa force à la lutte contre l’aéroport, c’est ce qui fait qu’elle existe encore et qu’elle n’a pas trouvé sa place dans la longue série des mouvements sociaux sympathiques mais enterrés depuis belle lurette. Ce sont les questions vitales qui portent le mouvement. Qui expliquent pourquoi des gens se sont lancés à cœur perdu dans cette lutte, que certains ont fugué, d’autres lâché leur emploi (ce qui n’est pas rien dans la société actuelle) pour venir la rejoindre. Il est plus que jamais nécessaire à notre mouvement de ne pas se laisser enfermer dans la logique du « qu’en dira-t-on ».
7.2
En plus cette rhétorique de l’impuissance est chiante politiquement, parce qu’elle part du principe que ce sont les puissants qui font l’histoire, et que tous les autres sont forcément manipulés. Il faut poser que stratégiquement, dans ce cas-là, ça n’a pas été débile d’attaquer tôt plutôt que d’attendre la fin de la manif. De même que les flics font usage de stratégie, et peuvent décider par exemple de taper des gens à l’aube lors de perquisitions pour les surprendre, de même, là, des gens ont choisi de ne pas attendre la dispersion pour taper. La stratégie n’a pas à être l’apanage des flics.
8.
« Le plus profond, c’est la peau ». Le conspirationnisme est vraiment la doctrine à la mode en ce moment. La rhétorique du caché est partout, et pas seulement chez Dieudo & co. Les gouvernants sont obsédés par ce qu’il y aurait « derrière » : derrière le visage souriant des gentils opposants pacifiques et écolos, ils croient distinguer l’ultragauche, en marge de la manif, se dissimulent les casseurs, etc. Dans toute cette parano ambiante, ils sont incapables de prendre la mesure de ce qu’il y a réellement, notamment de ce qui s’est passé la journée du 22 février : il n’y a pas la profondeur et la surface, la « vitrine légale du mouvement » et les anarchistes violents tapis dans l’ombre. Tout était là, visible, sous leur yeux. Incapable d’accepter l’idée qu’une colère, doublée d’un désir de revanche, vis-à-vis de la répression policière de ces derniers mois sur la ZAD et contre les promoteurs de l’aéroport puisse se diffuser, se répandre, n’être le privilège d’aucun groupe en particulier, le pouvoir ressasse ses lubies de toujours : les fantasmatiques groupes de black blocs venus de l’étranger et la ZAD comme un camp d’entraînement militaire fournissant des « troupes ». Cette rhétorique du caché est tellement présente que même quand ils arrêtent des gens pendant la manif, le procureur ne peut pas s’empêcher de dire que ce ne sont pas les bons : « Nous n’avons pas les vrais coupables ».
8.1
Les manifs de soutien, la vie à la ZAD, les lieux squattés ou construits, les relations noués avec les habitants plus anciens, les autres forces qui passent des quatre coins de la France et même au-delà (bon ok, y’avait bel et bien des étrangers dans la manif !), tout cela donne corps à la lutte contre le projet d’aéroport de NDDL, la transforme en autre chose qu’une simple question technique : êtes-vous pour ou contre l’aéroport, on engage quelques arguments sur l’écologie et on s’empoigne sur le nombre de voyageurs par an dans le grand Ouest. Car c’est là que le gouvernement aimerait bien nous enfermer. Si la réalisation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pouvait en rester à une simple question d’opinion, quelque chose qui pourrait se régler à coups de sondage (« vous voyez bien qu’un peu plus de la moitié des sondés approuvent ou non cet aéroport ») ou, en dernier recours, l’argument démocratique (« nous avons été élu, donc à la fin des discussions et de la concertation, c’est nous qu’on décide »). Alors que non, la lutte c’est un mouvement de révolte qui engage des vies, ou rien. C’est parce qu’un mouvement est fort qu’il provoque le désir de le rejoindre et de le voir triompher.
8.2
La lutte à Notre-Dame n’est pas une lutte démocratique, c’est bien autre chose. La ZAD se fout bien d’être majoritaire. Aujourd’hui, une lutte démocratique, c’est une lutte qui fait des recours devant les tribunaux et qui manifeste paisiblement pour faire nombre. C’est-à-dire qui utilise le système de la représentation. Pour un vieux roublard de la politique comme Jacques Auxiette, président de la région des Pays de la Loire, c’est déjà un peu osé, mais bon « nous sommes en démocratie ». Et c’est ce qu’il ne cesse de répéter dans les médias au lendemain de la manif : « certes vous avez tout à fait le droit d’être en désaccord, mais sachez que la décision est déjà prise, nous sommes aux commandes, on vous accorde juste le droit de dire que vous n’êtes pas d’accord, mais rien de plus ». Finalement, la démocratie se résume toujours à un « cause toujours tu m’intéresses ». Une lutte qui remet en cause l’ordre des choses ne peut pas être démocratique si elle veut l’emporter.
8.3
Donc l’idée, c’est que la force du mouvement, et ce qui le rend de plus en plus agaçant aux yeux de Valls, Ayrault et toute la bande, c’est son caractère hétéroclite. Pas tant la casse, les vitrines défoncées, l’engin de chantier incendié, les flics blessés, mais la masse de manifestants, en situation, que ça n’avait pas l’air d’offusquer plus que ça. Ce sont les déplacements que la lutte est à même d’opérer qui sont les plus dangereux : que des radicaux se lancent dans l’agriculture, s’ancrent quelque part et sortent de leur entre-soi et que des paysans du coin s’embarquent dans la défense physique de la ZAD. C’est ça l’insupportable pour l’État, et c’est ça la force du mouvement, la possibilité révolutionnaire qu’il recèle. A travers lui, des vies divergent.
9.
La ZAD, et plus généralement les autres luttes dites « locales », posent une toute autre manière d’envisager la politique que celle à l’œuvre dans les démocraties. Habituellement la politique contestataire consiste à prendre la rue pour être en mesure de prendre le pouvoir, ou en tout cas, de peser sur le gouvernement, sur le cours des choses. Or non, la politique est ce qui se joue à même la rue, à même les champs de la ZAD.
9.1
Ordinairement, c’est l’État et le Capital qui ont le monopole exclusif de ce qui se passe dans la rue, de ce qui est apparaît ou pas. Le politique est l’interruption, l’irruption de ce qui n’avait pas à apparaître. C’est central sinon, sans cette manière de voir les choses, on tombe dans la logique où le 22 se réduit à des « débordements » traités dans les pages faits divers et les chamailleries entre socialistes et écologistes dans les pages « politiques ». Alors que c’est évidemment le contraire qui est vrai.
10.
La rhétorique du casseur extérieur venu pour en découdre devient de plus en plus absurde, fonctionne de plus en plus mal tant la réalité vient la démentir à chaque nouvelle occasion. Dans l’imaginaire, le casseur est cet être mystérieux qui agit seul ou petit groupe, en fin de manif. Il y a le cortège et en plus quelques casseurs. Faut vraiment que la préfecture ait complètement le nez dans le guidon pour ne pas s’apercevoir du grotesque de ses communiqués, du style « 1000 casseurs s’en sont pris au centre-ville » ; ça rappelle un peu les manifs d’octobre 2010 à Lyon contre la réforme des retraites et la police qui annonçait répertorier alors plus de 1300 casseurs, excusez du peu, venus pour en découdre. La figure du casseur est là pour occulter tout ce qu’il est possible de faire d’autre que déambuler lorsqu’on prend la rue à plein, tous les usages possibles de la rue. En tout état de cause, à Nantes, le 22 février, bien malin qui pourra établir un profil sociologique précis de qui s’affrontait à la police, qui renvoyait les lacrymos, qui surveillait les mouvements des CRS et des BAC, qui recouvrait les locaux commerciaux de peinture, qui accrochait le grappin pour ensuite tirer et ouvrir une brèche dans le dispositif policier, étaient-ce des étudiants, des intérimaires, des squatteurs ou des paysans ? Venaient-ils de la ZAD, de Nantes ou d’ailleurs ? Était-ce un peu tout cela à la fois ?
11.
La messe n’est pas encore dite. Tout n’a pas été rose dans cette manif, toutes les initiatives n’ont pas été forcément accueillies avec bonheur par tout le monde. Mais au moins l’émeute a permis de discuter sur le tas, elle donne matière à discussion, sur ce qui est tactique et ce qui ne l’est pas, sur ce qui a marché et sur ce qui pourrait être amélioré. Par exemple, du point de vue de ce qu’on veut gagner, les gestes du 22 n’ont certainement pas été assez puissants. Vu la détermination et le nombre des gens, on aurait pu penser, en plus du débordement de la manif classique, à ce que la manif déborde et devienne occupation. Occupation d’une place en centre-ville qui puisse alimenter une émeute permanente, comme le faisait alors les collègues ukrainiens.
12.
Quelques jours après la manif, Le Figaro annonçait plein d’espoir « Casseurs de Nantes : l’étau se resserre ». Un mois plus tard, une petite dizaine d’arrestations à Nantes. Mesquinerie policière minable ; basse vengeance de mauvais perdants. Mais encore une fois, en face, ils se plantent complètement : si il y a bien un étau qui se resserre c’est celui du mouvement de la ZAD sur Vinci et les gouvernants.
On est sur le point d’emporter le morceau !
Rendez-vous pour la prochaine tentative d’expulsion !
GROUPE ZAD LYON
P.-S.
À lire aussi, le communiqué du comité Zad Partout
Le monde à l’envers : alors qu’on sait aujourd’hui qu’au cours de la manifestation, plusieurs personnes ont été touché à la tête par des tirs de flash-balls (un éborgné et deux autres qui ne retrouveront probablement jamais l’usage de leur œil), on apprend par le biais de Ouest-France, que des flics blessés et « lassés par la médiatisation dont bénéficient les manifestants blessés » vont porter plainte contre X. Pauvres bichons.
Les flics ont en fait été encouragé dans cette démarche par le directeur départemental de la sécurité publique de Loire-Atlantique. Dans une interview au site Mediapart, datée du 18 avril, il assume les tirs et plaide pour un maintien de l’ordre au flash-ball : « On peut considérer que trois blessés au visage c’est beaucoup, mais il faut rapporter ce chiffre au nombre de manifestants ». Puis plus loin : « L’un des manifestants blessés à l’œil (Quentin Torselli, ndlr) se trouvait au milieu de gens qui affrontaient les forces de l’ordre. Je me demande ce qu’il faisait là » avant d’inviter les gens qui se font tirer dessus à… se laisser tirer dessus : « Si la personne bouge entre le moment où le fonctionnaire appuie sur la queue de détente de l’arme et l’impact, il y a toujours un risque que le point d’impact ne soit pas celui initialement visé ».
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