Au cœur de la forêt de Rohanne, le hameau de la Chat-Teigne se réchauffe doucement sous le soleil de février. Dans la cuisine collective, une chèvre barbichue boulotte une affiche annonçant la naissance d’autres Zads. Quelqu’un tente péniblement de sauver ce qu’il reste de l’information, avant que l’animal ne s’attaque au seau destiné au compost.

Soudain des hrulements sauvages retentissent dans la salle de réunion: Tatatatatatatatatataaaaaaa !! A l’intérieur, une vingtaine de clowns chaussés de leurs beaux nez rouges s’effondrent au sol tandis qu’un force-nez hilare continue de mimer une rafale de mitraillette. Tout va bien, c’est juste le Tatata, un jeu bien connu des clowns et des forces de l’ordre. Pause café.

Changer

Le prochain atelier proposé est basé sur l’évocation d’émotions qu’il s’agit de ressentir et faire grandir en soi tout en déambulant dans l’espace. Cela fait partie d’une panoplie de jeux de rôles, d’exercices physiques, de mimes, d’imitations permettant de faire naître et grandir le clown qui peut sommeiller en chacun de nous.

« Pour moi, le clown activisme, c’est un état d’être », résume Marion, 28 ans, pour qui le clown a été vecteur vers l’engagement politique. Une alternative au militantisme traditionnel, et aux partis souvent envisagés comme «  hiérarchisés et trop rigides ». Dans une société où le lien social s’effrite au galop, les connexions tissées par le jeu, la vie ensemble, les discussions et l’activisme politique, peuvent permettre aux clowns d’entrer en résonance avec les personnes et le monde autour.

Pour certain-e-s, le clown activisme est donc d’abord un outil de transformation personnelle, qui utilise le jeu et la créativité de chacun pour faire évoluer l’entité formée par le groupe. Une mue intime qui permettrait de planter les ferments d’une transformation sociale plus globale. « Plus je suis capable d’identifier et de nommer mes émotions, plus j’arrive à les reconnaître chez les autres », affirme Baptiste, clown activiste. Une empathie pas toujours très bien comprise par les « férorces de l’ordre », selon les clowns qui ne se privent pas d’utiliser une nov’langue maison…

Propager le changement

Armé de sa bienveillance et son plumeau, le clown se donne notamment un rôle de médiateur en le faisant interagir avec les gens ou en désamorçant les tensions lors d’actions ou de manifestations. Mais aussi auprès de la police avec tout un arsenal d’armes « de dérision massive » et le refus de toute violence comme préalable. Difficile en effet de gazer devant mamie une nuée de gentils clowns pourtant très énervants qui jouent à 1,2,3 soleil ou qui rampent en agitant toujours ce plumeau devant un cordon de gendarmes mobiles…

Le clown trouve ainsi des moyens détournés et légers pour défendre un point de vue politique qui l’est moins. Comme se faire passer pour le « gang de Vinci » lors de la manifestation du 17 novembre 2012, lancer des faux billets aux quatre vents et décréter, en vers et porte-voix, le déplacement et la compensation instantanée des espèces protégées. Parfois, l’absurde n’a pas besoin de grand-chose pour émerger.

Pour Pétov, Zadiste de partout : « il est n’est pas antinomique de mettre de la dérision et de l’humour au cœur du combat essentiel qu’est ’écologie contre le capitalisme. On ne le renversera pas par la force, mais par l’esprit. »

« Là ou leurs bombes échouent, le rire pourrait bien vaincre », espérait John Jordan alias Colonel Klepto dans son texte « faire la guerre avec amour ». Pas gagné pour autant…

A l’heure où, sous couvert d’humour, des idéologies fétides refont surface, la figure du bouffon ou du Dictateur de Chaplin peut paraître nécessaire, même si vraiment insuffisante.

A un tir de patator de la Chat-Teigne, Marcios, rangé des clowns après d’édifiants faits d’armes à la BAC (Brigade activiste des Clowns) de Paris, souligne : « On peut rejeter la société du spectacle mais on peut aussi décider d’y faire le spectacle. Ne rien attendre, mais vivre. Et se mettre en jeu, et en danger».

Et poser une alternative.

En effet, le clown a une conception du danger toute… relative. Il suffit pour s’en convaincre d’aller faire un tour sur les sites web des différentes armées de clowns. Cette force subversive de désobéissance permet de remettre en question l’autorité de façon convivale et décontractée. Auprès du public, qui assiste parfois médusé à des scènes surréalistes digne des meilleures pages d’Hunter S. Thompson, c’est un des moyen de montrer que l’apathie générale n’est pas une fatalité, qu’il est possible de faire bouger dans l’autre sens les curseurs l’acceptation des normes répressives.

Marcios évoque une des actions emblématiques à laquelle il a participé en 2007 : « On a palmé près de 30 minutes en poussant des sous marins de bric et de broc dans le but d’accoster sur la base nucléaires de l’Ile-Longue  dans le Finistère, avant d’être arrêtés par deux canots et un hélicoptère de la Marine nationale ». Il ne s’agit pas de tourner en ridicule les questions politiques, sociales ou environnementales mais justement de s’en emparer et de les poser différemment, en essayant d’imaginer d’autres façons de le porter le message.

Dehors, la forêt de bouleaux semble respirer doucement sous le passage d’un nuage devant le soleil. Un groupe de 3 part préparer le repas collectif. Plus loin, une grappe de clowns en cercle profite d’une éclaircie pour faire une session de percussions corporelle. Rejoints par d’autres, ils sont une vingtaine à psalmodier des séries de syllabes en se frappant le torse en rythme. De grands éclats de rire fusent à travers les arbres.

CIRCA : http://www.clownarmy.org/

BAC : http://brigadeclowns.wordpress.com/

Devenez vous-même: http://devenezvousmeme.clowns.wf/faire-la-guerre-avec-amour/