«La société, dans sa richesse abstraite, ne peut payer tribut à la pauvreté qu’elle engendre. La pauvreté moderne n’est désormais plus quelque chose que l’on peut assister, mais que l’on doit contrôler : les pauvres ont dépassé toutes les limites de l’assistance possible. Nous campons franchement en ennemis aux portes des grandes villes, et parfois même encore à l’intérieur. Nous savons que ce n’est pas une misère naturelle qui nous rassemble, comme une masse mécaniquement écrasée par la force des choses, mais une misère sociale organisée. »

Les fossoyeurs du vieux monde, Mai 1983

« Comment, tout en s’inscrivant dans le jeu du marché du logement, dont il est admis qu’il favorise une répartition optimale des biens en termes de mobilisation des énergies productives, instaurer le filet de sécurité qui rend acceptable par tous, y compris les perdants, la règle d’airain du libéralisme ? »

André Yché, Directeur de la Société Nationale Immobilière, Mars 2011

Le logement social est aujourd’hui encore, trop souvent présenté comme une « solution » à la question du logement ou quelque chose pour lequel on devrait « lutter », à l’extrême gauche et même dans certaines tendances anti-autoritaires.

C’est une farce. Ou plutôt, « le plat dont vous êtes le farce ». Si les « logements sociaux » existent, c’est bien bel et bien parce que certains logements ne le sont pas, et que cette logique suppose qu’il y ait (pour reprendre une vieille formule) toujours des affamé-e-s qui meurent aux portes de palais où tout regorge. Ou en tout cas : qu’ils et elles vivent en restant là où on leur dit d’être.

Si on crée des « logements pour pauvres », c’est toujours pour protéger la propriété privée, mais encore pour maintenir ces mêmes pauvres dans une situation de contrôle social.

Du philanthropisme à l’urbanisme : contrôle social et répression

« Nous voulons à la fois des gens heureux et de vrais conservateurs, voulons-nous combattre en même temps la misère et les erreurs socialistes, voulons-nous augmenter les garanties d’ordre, de moralité, de modération politique et sociale ? Créons des cités ouvrières ! »

Jules Siegfried, bourgeois philanthrope au Congrès des Habitations à Bon Marché de 1889

Si les logements sociaux existent de manière aussi institutionnalisée et développée dans ce pays (comme dans bien d’autres d’ailleurs), c’est bien parce que l’Etat français et les capitalistes y ont trouvé un intérêt. De fait, tous les principaux artisans théoriques, architectes et autres urbanistes qui ont conçus jusqu’au principe même de la « cité ouvrière » sont des bourgeois, voir pour certains de grand bourgeois propriétaires. Des bourgeois généralement philanthropes, et qui voyaient – à une époque de prospérité économique- par là la nécessité politique de prendre « soin de la main d’oeuvre » de la même manière que les ouvrièr-e-s et autres salarié-e-s sont tenu-e-s de prendre soin de l’outil de travail. Le fait de ne pas abimer ou saboter l’outil de travail en cas de grève est d’ailleurs encore une règle non-négociable dans la plupart des syndicats et notamment à la C.G.T (vieux dogme stalinien hérité du P »c »F grande époque). Bref, du logement au lieu de travail, des moyens de production à la « force de travail » : il s’agit surtout de préserver un certain de type de rapport social.

C’est dans cette optique de gestion et de contrôle social que les cités ouvrières et autres « Hbm » (Habitations bon marchés) vont fleurir à la fin du XIXe siècle. Le prémisse de ce que va devenir le « logement social » connait son essor en plein développement industriel. Et c’est bien logique, puisqu’encore une fois : il faut « loger la main d’oeuvre ». Si la plupart des mécènes des « oeuvres sociales » et autres « maisons ouvrières » étaient des bourgeois philanthropes, c’est tout simplement parce qu’ils avaient compris mieux que personne, en bons progressistes, qu’il vaut mieux s’acquitter d’un argent « bien dépensé » et fidéliser les pauvres plutôt que de laisser l’antagonisme social et les idées révolutionnaires se développer. En gros : il vaut mieux des logement sociaux que la chienlit.

Pour citer celui que ses contemporains appelèrent « Badinguet », alias Napoléon III, dans « L’extinction du paupérisme » à propos de la question du logement : « il faut désarmer pacifiquement l’émeute ». Car déjà à l’époque, les expulsions font des siennes.

En 1886, la « Ligue des anti-propriétaires » est crée pour défendre les locataires. Elle tente alors de lancer des grèves de loyers et initie régulièrement des « déménagements à la cloche de bois ». Le principe est simple : à chaque expulsion locative, une maison vide est repérée et occupée de nuit par ceux et celles qui ont besoin d’un toit. Bref, c’est la préhistoire de l’actuel mouvement des squats et occupations.

A l’époque il s’agit donc surtout de discipliner une « force de travail » peu encline à se laisser exploiter à travers l’urbanisme balbutiant, la promesse d’un « logement décent » et le modèle de la famille traditionnelle. En bref, la tenir en place. Et même si les mots ne sont plus toujours aussi explicites dans les documents officiels, et que les méthodes de pacification ont fait du progrès, sur le fond : les objectifs et la fonction ont peu changés.

Par contraste, à l’époque les termes d’Emile Cheysson, autre philanthrope précurseur du logement social, sont sans équivoque. Il écrit dans « La construction d’habitation à bon marché » (1892) :

« On fait de l’ouvrier un chef de famille, vraiment digne de ce nom, c’est-à-dire moral et prévoyant, se sentant des racines et ayant autorité sur les siens. C’est bientôt sa maison qui le possède; elle le moralise, l’assied et le transforme ».

Au moins, ça a le mérite d’être clair.

Mais au delà de cette optique de pur contrôle social, lorsqu’on ne peut domestiquer le prolétariat, il va s’agir de le faire payer. En effet, le logement social s’est surtout développé pour mettre un terme aux mouvements de sans-logiEs et autres vagabondEs, ou au moins les prévenir. Un peu plus tard, au début du XXe siècle dans les années 10, les mouvements tels que celui de la « Fédération nationale des locataires », fondée par Georges Cochon (un autre anarchiste) rencontrent un certain succès. Ses membres tentent alors de renouer avec les pratiques d’action directe de la « Ligue des anti-proprios » des années 1890, et notamment les « déménagements à la cloche ». Et de fait, l’afflux de prolétaires pauvres sur les villes est alors énorme.

Or, si certains bourgeois sont prêt à investir dans les projets de logements sociaux type « Maisons ouvrières » et autres Hbm, déjà à l’époque, évidemment, aucun n’est prêt à renoncer à la propriété ou laisser se développer des « zones de non-droit » comme disent les flics d’aujourd’hui. Conséquemment, il est hors de question qu’une « revendication » telle que la « gratuité du logement » gagne en popularité.

Raison de plus pour les propriétaires donc , pour continuer d’investir dans les maisons ouvrières et autres HBM. Car le but du logement social : c’est de faire payer ses locataires, même si « on les aide », même si il ne payent pas grand chose : pourvu qu’ils payent et se tiennent tranquilles. Et ainsi, que le « niveau de vie » des pauvres du quartier s’élève ou pas, que « le marché » se porte bien ou pas, les prix tendent à continuer de flamber.

Quelques notions d’anti-économie

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Pour comprendre le phénomène, on peut partir ce que les marxistes et d’autres appellent « la baisse tendancielle du taux de profit »(1) et qu’on pourrait tout aussi bien appeler « hausse tendancielle de la profitabilité » (puisque les deux vont de paire) qu’on peut relier directement à un principe de base du capitalisme : à savoir l’accumulation de capital.

A défaut d’être une « loi universelle », on peut considérer que c’est un lieu commun qui s’applique en général très bien au capitalisme foncier (et notamment à la propriété immobilière des grandes villes).

Pour faire simple : ce n’est pas parce que les locataires commencent « à gagner plus » que les loyers augmentent. L’affluence de demande de logements rencontre la spéculation dû à la concurrence entre propriétaires qui ensemble créent une « rareté de l’offre ». Ce qu’on pourrait appeler la pénurie organisée, et qui s’applique aussi bien aux autres domaines de l’économie.

Ainsi, certaines propriétés peuvent être revendues rapidement plus chères que leur prix initial même sans qu’aucune « plus-value » (travaux) n’ai été ajoutée. C’est à dire que la valeur d’échange peut très bien continuer d’augmenter alors que la valeur d’usage d’une propriété, elle, baisse (puisque par exemple, une maison vide et non-entretenue se délabre). Donc il est parfois possible de faire beaucoup de profits même avec des maisons ou bâtiments délabrés : en laissant « fructifier » et en revendant. C’est même le rêve de tout promoteur : un minimum d’effort et d’investissement pour un maximum de profits. C’est donc la concentration de capital engagé (soit pour des travaux, soit pour l’investissement dans des propriétés toujours plus chères, etc) qui fait augmenter le reste des prix de l’immobilier, et donc des loyers. Pour « amortir » (ou plutôt rentabiliser) les « coûts » des dépenses : comme dans n’importe quelle entreprise.

Conséquemment, par ricoché, cette augmentation de la « valeur » (valeur d’échange) de la propriété immobilière fait elle aussi au moins virtuellement baisser le « taux de profit ». Ce qui ne veut pas dire que les propriétaires gagnent moins, mais simplement que la « profitabilité » doit augmenter pour que les investissements ou la spéculation soit rentables. En gros : « il n’y a pas de petit profit ». Les propriétaires, « petits » ou grands, font donc (au minimum) systématiquement augmenter le prix des loyers, des cautions et des charges par rapport aux prix du marché de l’immobilier, avec pour seule limite les plafonds fixés par la loi (et encore, puisqu’ils ne sont souvent pas respectés).

Donc, que les locataires gagnent plus ou non : les loyers auront toujours tendance à augmenter pour la même raison que les salaires baissent. C’est à dire pour que les capitalistes, patrons et propriétaires « maximisent » leurs profits. Et « l’attractivité » d’un quartier (réputation, « sécurité », « cadre », commerces « bobos ») et les moyens engagés pour ce faire (l’argent dépensé dans le flicage pour faire place nette, comme pour les travaux) participent directement à ce même phénomène, et donc à l’augmentation des prix et in fine à la gentrification d’une ville ou d’un quartier. D’où l’intérêt de se pencher sur les projets d’urbanisme (logements sociaux compris) et autres renforcement de dispositifs policiers et sécuritaires pour comprendre comment « enrayer les rouages de la machine » et tenter d’articuler nos luttes.

Parce que dans ce jeu de quilles, les logements sociaux jouent forcément un rôle, à la fois politique et économique. Ce rôle est bien évidemment fonction du contexte, mais pas seulement : en particulier dans les grandes villes, ce ne peut être que celui que les dirigeants (locaux ou autres) et les capitalistes lui font jouer.
Une « solution » pour qui ?

Bien sur, il ne s’agit pas ici de nier le fait que le logement social, qui est devenu une véritable institution, tout comme les foyers de toute sortes, constituent une « solution » de dernier recours, ou un moyen de replis pour beaucoup.

De fait, le logement social (au delà des foyers du type « hébergement d’urgence ») est une soupape de sécurité : il existe pour éviter que des gens ne se retournent contre les propriétaires, ou ne s’interrogent sur le pourquoi du fait de payer un loyer, sur le pourquoi de la propriété foncière et donc de la propriété en général. Il s’agit donc plutôt de comprendre dans cette optique en quoi consiste (au moins sur le plan idéologique) et comment fonctionnent le logement social et l’Aide Au Logement -A.P.L-, ou même les foyers.

La conception dominante consiste à présenter la pauvreté (ou à la penser) comme un accident ou un handicap « naturel ». A partir de là, le logement social et l’A.P.L sont justifiés idéologiquement comme des « béquilles » qu’on accorde aux « petits pauvres ». C’est la conception humanitaire (soit chrétienne, conservatrice, soit social-démocrate) de la question sociale : conception bourgeoise et autoritaire. Mais la culpabilisation et la condescendance pour le fait d’être pauvre sont les deux mêmes facettes de l’idéologie dominante.

Et les changements de gouvernements n’y ont jamais rien changé de fondamental en plus d’un siècle. Les promesses électorales n’impliquent résolument que ceux ou celles qui veulent bien y croire. De ce coté là, aujourd’hui encore : il n’y a donc pas de « trahison socialiste » (pléonasme ?) si on refuse de se laisser illusionner par le jeu de la politique.

La politique social-démocrate en matière de logement précisément, fait honneur à cette tradition du logement social : le but n’est même pas de loger tout le monde, mais que l’essentiel des pauvres avancent en suivant la carotte.

Le métier des dirigeants, c’est de faire des promesses qu’ils ne tiendront pas et ne veulent pas tenir parce qu’ils n’y ont aucun intérêt. Et surtout que leurs « solutions » ne sont pas faites pour nous satisfaire. Mais surtout, d’un point de vue plus « large », si les logements sociaux existent (et si l’Etat fait payer des pénalités aux communes qui ne respectent pas leurs « quotas ») c’est aussi pour éviter que le reste des prix d’un quartier ne chute.

Bien évidemment, sauf en cas de d’insurrection (2), ça ne peut pas arriver dans un « ghetto de riches ». C’est pour ça que les propriétaires et les mairies de bourgeois et quartiers riches s’en moquent et préfèrent payer des pénalités. Mais si il y a trop de pauvres sur un territoire donné et que le quartier n’est pas « attractif » pour les bourgeois ou « classes moyennes aisées », et que les logements sont trop chers : la masse des locataires pauvres fait pression à la baisse sur le prix des loyers (puisqu’ils ne s’y installeront pas ou ne payent déjà pas leur loyer, ou avec des retards…). Donc au lieu de prendre le risque de laisser jouer les mécanismes du marché (principe de « l’offre et de la demande »), les capitalistes – dans nombre de cas- ont bien plus intérêt à soutenir le logement social : parce qu’au moins les pauvres payent leur loyer, même si ils et elles le font (au moins en partie) avec l’argent de l’Etat (l’A.P.L).

Du reste, dans beaucoup de villes, c’est un savant dosage de contrôle social des pauvres (via notamment les missions locales, Pôle emploi, « Permanence Social d’Accueil » et autres associations humanitaires reliées au conseil général -qui gèrent les dossiers d’attribution et de radiation du R.S.A-), de logements sociaux et d’hébergement d’urgence qui permettent de faire jouer tranquillement la spéculation : les propriétaires peuvent laisser leurs « biens » sans locataires, et ainsi de nombreuses maisons, logements et autres parcelles vides sans risquer que des squats ou des occupations y fleurissent.

Bref, encore une fois, les allocations et le « logement social », pour les propriétaires comme pour l’Etat : c’est un « investissement à long terme ».

Logement sociaux et urbanisme : la gentrification par le « social ».

C’est le principe du logement dopé. Et l’A.P.L correspond à la même logique. C’est-à-dire que « paradoxalement », les logements dit sociaux sont aussi là (au moins à terme) pour continuer à faire augmenter les prix des autres logements. D’où leur utilité dans les quartiers populaires en pleine « restructuration urbaine ». C’est pour ça qu’au moins sur le principe, la plupart des mairies, ou quelques autorités n’ont jamais rien à reprocher aux « logements sociaux » (même si les mairies de villes de bourgeois grognent parfois pour des histoire de quotas ou parce qu’ils « payent trop d’impôts »).

Mieux : la plupart se vantent même d’en construire, et s’en serviront comme d’un argument contre celles et ceux qui ne peuvent plus et/ou ne veulent pas payer leur loyer, ou squattent. Mais aussi contre les Roms, immigré-e-s avec ou sans-papiers, ou autres pauvres dont le mode de vie ne coïncide pas avec les pré-requis de « l’intégrationisme » social de la « politique du logement ».

Ainsi, avec ces politiques de « mixité sociale », si on arrive pas à caser les plus récalcitrant-e-s, on jugule des populations de pauvres « ingérables » en les remplaçant (physiquement ou politiquement) par des pauvres mieux géré-e-s.

Pour couronner le tout, officiellement, quiconque s’est un minimum renseigné sur les procédures de demande de « logement social » sait que le délais pour obtenir un est au minimum de 3 ou 4 ans dans les grandes villes, à renouveler chaque année. Comptez en réalité 5 ou 7 ans en région parisienne par exemple, voir plus selon la situation et la ville. Une carotte donc…

Florilège du social-capitalisme à « visage humain »

L’essentiel des logements sociaux réservés aux « budgets modestes » sont en général petits et exigus. Ce sont pour beaucoup des préfabriqués ou des cages en béton, des tours malsaines et lugubres ou des bâtiments reconvertis, des appartements mal refaits ou des délires d’architectes inhabitables. Le tout avec une proximité souvent difficile et non-désirée avec les voisin-e-s. Où il y a donc très peu d’espace et souvent peu et parfois pas de véritable intimité.

Fréquemment, les habitant-e-s de ces logements sociaux sont aussi fliqué-e-s par des « agents sociaux » où on ne peut pas faire grand-chose à part dormir et se faire discret-e-s. Bien sur, il y a des exceptions, et des « planques » (et tant mieux pour ceux/celles qui les trouvent) : mais elles ne sont là que pour confirmer la règle.

Mais il y a aussi, par opposition, les « logements sociaux » neufs et spacieux des grandes villes dans les quartiers bourgeois tels qu’à Paris (dans le style appartement refait à neuf). On trouve facilement des appartements dits « sociaux » ou « HLM » loués à partir de 1000 ou 1500€ par mois (et parfois plus) : puisque le loyer des logements « sociaux » est notamment calculée à partir de la base au m², elle même calculée en fonction du prix de la pierre, et évidemment pas indexés sur les revenus (ou « non-revenus ») des plus pauvres. C’est, dans un quartier en passe d’être complètement « restructuré » le jeu des « faux-HLM-chers » qui se font jour lorsqu’on a dégagé tous les autres pauvres et qu’on veut à présent faire grande place pour la bourgeoisie locale.

Ceux des ces logements qui restent à des prix plus « abordables » (avec les A.P.L) seront généralement accordés uniquement à une infime minorité de ceux et celles qui sont « en haut de la liste d’attente », ou d’autres en bénéficieront par l’un des nombreux tours de passe-passe de la magie du clientélisme. Pour donner une idée, le « logement social » c’est en moyenne 300 000 logements attribués par an pour 1.7 millions de demandes en france.

Question clientélisme d’ailleurs, de nombreux partis politiques par exemple, de droite comme de gauche, Verts, PCF et « Front De gauche » en tête, gèrent de nombreuses sociétés immobilières (comme la SCI Leninvest) ou d’autres logements via des bailleurs sociaux comme la Semidep (association immobilière municipale gérée par des membres du Front de Gauche) dans les quartiers populaires (à Paris comme dans les 18, 19 et 20e arrondissement), qui ont à leur compte plusieurs expulsions en région parisienne.

On se sert donc à l’occasion de son influence politique pour loger ses ouailles ou ses protégéEs dans ces logements (dont bon nombre restent néanmoins vides) quitte à expulser ceux et celles qui y vivent (locataires en galère ou squatteuses/squatteurs).

C’est dire la réalité du logement social dans les quartiers des villes et banlieues pauvres : la plupart du temps, des années pour obtenir une chambre entre barre d’immeuble pourrie, tours bondées, et appartements format « placard à balais », parfois insalubres ou avec des allures de chambre d’hôpital repeinte, et où tout est pensé pour le contrôle. Ou à l’inverse donc, de nombreux quartiers pauvres « bénéficient » aussi d’un certain nombre de « logements sociaux » plus confortables, mais en nombre réduit, auxquels seul-e-s quelques un-e-s auront accès.

D’autant que les assistants sociaux sont aussi là pour faire signer des « contrats d’insertion » et autres promesses d’être des pauvres bien gentil-le-s, bien domestiqué-e-s, qui ne se rebellent pas et sont assidu-e-s dans les RDVs de suivis qui ne servent à rien (à part à donner l’illusion d’avancer, et à être contrôlé-e-s).

Sinon c’est retour à la case départ : la rue, les hébergements d’urgence ou par des ami-e-s, les suppressions d’aides sociales, le jeu de l’oie dans les associations caritatives de merde et les foyers d’urgence bondés du 115, etc…

En définitive, c’est pour l’immense majorité une solution de dernier recours qui a plus avoir avec des mécanismes de contrôle et pacification sociales qu’avec l’accès une quelconque « autonomie matérielle ».

Surtout, le but des logements sociaux et des politiques de « mixité sociale » dans des quartiers en pleine gentrification est bientôt plutôt d’accompagner le processus d’embourgeoisement du quartier et la restructuration urbaine qu’autre chose.

La preuve : les résident-e-s pauvres de logements sociaux n’ont souvent aucune « perspective d’intégration » (les socio-flics en tout genre sont les premiers à s’en plaindre) après de longues périodes de misère, et d’errance sociale. Comme au CROUS, et en fonction de la situation et de qui gère le bâtiment : il est parfois interdit d’héberger des ami-e-s, son copain, ou sa copine : sous peine d’expulsion. Et si la situation évolue (un copain, une copine, un-e enfant, etc…), il est extrêmement difficile d’obtenir un autre logement adapté aux nouveaux besoins.

Ou bien les locataires sont souvent balloté-e-s d’un lieu à l’autre indépendamment de leurs besoins immédiats ou de leur situation et ces logements disparaissent comme par magie (cession aux propriétaires, revente), et ne sont pas renouvelés une fois que le quartier est suffisamment « restructuré ». Suffisamment du moins pour que toute protestation concernant la « politique de la ville » ait été réduite à une petite agitation contenue, ou dont la « situation » est gérée par des associations réformistes et caritatives qui viennent mettre des pansements sur des fractures ouvertes : comme le D.A.L d’une part, et Emmaüs, Aurore, l’Abbé Pierre, les « petits frères des pauvres » et consorts… ou toute autre organisation qui poursuit les mêmes buts avec les mêmes moyens.

Pour en finir avec la « politique de la ville ».

En attendant, on se dit que si le « logement social » est une solution de replis pour beaucoup, c’est d’abord une carotte et c’est dans tous les cas une galère comme une autre.

D’autant que si on comprend que la racine du problème du « mal-logement », ou plutôt du logement tout court, c’est la propriété privée, le capitalisme et l’Etat, on peut aussi refuser de tomber dans le piège qui consiste à présenter le « logement social » (même hypothétiquement « autogéré ») comme comme un but pour lequel lutter, ou encore comme la solution à la question du logement : parce qu’en l’état, il n’y a pas de solution « en soi ». Pas même le squat et les occupations dans l’absolu qui restent en général un autre « parcours du combattant » où se mêlent trop souvent négociation, commerce culturel et alternativisme.

Et néanmoins, si le principe de l’abolition du capitalisme et de l’Etat consiste à l’expropriation des propriétaires, des capitalistes et des bourgeois, on voit mal comment on en arrive là en se contentant de demander des logements sociaux, ou pire encore d’en défendre le « principe ». Ou encore en se contentant de prétendre que la pratique des occupations, du squat, ou même de la « grève des loyers »(3) ne sont pas des « pratiques de masses » et de les laisser aux artistes, aux indignés, aux associatifs, aux marchands de culture et autres « alternatifs » qui transforment n’importe quelle lutte en spectacle son et lumière et n’importe quelle manifestation en carnaval citoyenniste .

De manière individuelle, tout le monde ou presque est obligé de se débrouiller, de slalomer entre les diverses institutions et de jongler avec les RDVs et autres contrôles sociaux, à moins d’avoir un gros salaire ou de rentrer dans la clandestinité : et encore. Mais de manière collective, les luttes et les révoltes ne peuvent se faire avec des revendications au détriment de celles et ceux qui choisissent de refuser le chantage à l’intégration, et le fait de devoir payer pour avoir l’autorisation de ne pas dormir à la rue.

C’est seulement au travers des luttes et des révoltes, mais aussi d’actes de prise de possession (tels que le squat ou les occupations) même temporaires qu’une solidarité offensive peut se développer, pour soutenir l’auto-défense des locataires ou d’espaces occupés : mais sur des bases solides d’entre-aide, d’action directe et d’auto-organisation.

C’est à dire sans médiations ni de négociation érigée en « principe de lutte », directement entre locataires pauvres, sans domiciles, squatteurs, squatteuses et autres complices face aux proprios, aux huissiers, aux tribunaux, aux gestionnaires de misères et aux flics, même « sociaux ». Et d’abord, dès que c’est possible (au moins collectivement), en refusant de payer et de se laisser gérer par qui que ce soit.

Mais aussi, ces luttes ne peuvent s’articuler qu’autour d’une critique radicale et explicite de la propriété, auquel aucun sujet ou aucune catégorie politique ne peut se substituer.

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Il ne s’agit donc pas de distiller une « théorie pure » de ce que doivent être les luttes concernant le logement ou le squat, mais de refuser de se fourvoyer quant aux possibilités qui s’offrent à nous. Et aussi se détacher d’une mentalité militante qui tente de faire passer des pis-allers pour des perspectives en prétendant « occuper le terrain » (Lequel ?).

Par exemple, si tenter d’imposer des relogements peut être vital en dernier recours (quoi que peu pertinent si on a pas établit au préalable un réel rapport de force), on ne porte par là rien de qualitatif, tant ces revendications de « fin de luttes » ne sont pas des fins en soi. Et donc si obtenir un ou des logements sociaux peut être un soulagement lorsqu’on a plus d’autre solution, force est de constater qu’il faut se méfier des cris de « victoire » prématurés qui brisent les occasions de perpétuer et même d’approfondir la conflictualité d’une lutte.

Parce que de la même manière que le jeu de la négociation et de l’intégration, les discours orientés sur la « nécessité » du logement social participent à l’individualisation et à l’atomisation de problèmes sociaux : ce qui va à l’encontre de toute possibilité de révolte et du principe même de luttes sociales offensives.

Et donc, si il s’agit d’arracher du temps et de l’espace pour vivre et non seulement survivre, pour se défendre, mais aussi pour s’attaquer au Capital et à l’Etat en vue de leur disparition (sans toujours la remettre aux calendes), alors il faut prendre et se servir partout où c’est possible : en ne comptant que sur nos capacités, notre autonomie et notamment à la force que nous tirons de notre propre pratique.

Le Cri Du Dodo

1. Soyons clairs, si nous reprenons ici cette idée, c’est parce qu’elle nous semble pertinente pour apporter un angle de vue supplémentaire à la question de la gentrification et de la restructuration urbaine qui ne se limitent évidemment pas à la spéculation mais fonctionnent très globalement comme le reste de l’économie. Ce principe économique n’explique pas tout, et notamment comment la vapeur peut s’inverser sur un quartier, ou encore les disparités sociales d’une ville à l’autre dans des conditions relativement similaires, les explosions spontanées de révoltes, etc. Il ne s’agit donc pas de ramener sur le tapis l’interminable débat à propos de la théorie de la valeur, que même Oreste Scalzone (qui n’est pourtant pas, loin s’en faut, le dernier des marxistes) qualifiait dans un bon mot de « baleine blanche du marxisme » dans sa préface à la « La diagonale des autonomies ». Ce que Marx appelle la « baisse tendancielle du taux de profit » (à quoi on pourrait aussi trouver bien d’autres noms), n’a donc pas été inventé par lui mais bien entendu par les capitalistes, ou plutôt découle du fonctionnement et du développement même du Capitalisme. Marx s’est contenté de la théoriser, ses conclusions lui appartiennent. Et notamment son hypostase de l’économie comme ensemble régit par ses propres lois, et l’idée surtout que ces lois sont scientifiques (comme celle de la gravité) et conditionnent tout développement historique. Notre affinité avec le concept, qu’il nous semble falloir regarder encore une fois comme un lieu commun des principes d’appropriation et d’accumulation, s’arrête donc là.

2. Pour l’exemple, après avoir été complètement ravagées par les évènements de Mai 1968 (toutes les devantures défoncées et la rue dépavée), plusieurs rues de Paris, et notamment celles du Quartier Latin (en particulier la Rue Gay Lussac, presque entièrement saccagée et démontée) ont vu le prix de l’immobilier chuter pendant une petite période. Aussi, l’histoire regorge de bons exemples sur la manière dont nous pouvons, encore aujourd’hui, « envisager » l’urbanisme et la ville.

3. Piégé dans l’impasse du légalisme, et aux prises avec ses illusions social-démocrates, le D.A.L s’indignait le mois dernier, avec le traditionnel ton larmoyant de circonstances dans le torchon « Politis » à propos de la loi Alur qui vient tout juste d’être votée, et qui instaure des pénalités contre les retards de paiements du loyer : « Elle interdit aux locataires d’observer une grève des loyers. C’est un peu comme si on amendait les salariés lorsqu’ils font grève… Les locataires sans recours réels face aux abus de leurs bailleurs n’ont plus qu’à se taire (…). On se demande si ces messieurs-dames sont locataires et s’ils ont déjà connu ces fins de mois où il faut choisir entre se soigner, payer le chauffage ou payer son loyer… ». Mais si nombre de camarades ne portent pas toujours à la tactique de la grève des loyers toute la considération qui lui est due, ce n’est donc pas le cas des dirigeants qui l’élèvent au rang de préoccupation suffisamment sérieuse pour lui consacrer une nouvelle loi.