Un instant je me mis à rêver…

Lundi matin 10 heures, la Cour fait son entrée et je découvre que le Président se nomme Alain Verleene. Il y a vingt-deux ans, c’etait le juge d’instruction de la tristement célèbre affaire des « Irlandais de Vincenne ». Alors, oui, je me suis mis à rêver : voilà un magistrat qui a déjà eu à faire aux structures anti-terroristes d’exception, à l’époque la cellule élyséenne dirigée par le Commandant Prouteau, assisté du capitaine Barril. Un juge qui, pendant neuf mois, verra défiler dans son bureau des gendarmes mentant sous serment pour raison d’Etat, et qui, une fois le pot-aux-roses découvert, fera que la procédure aboutisse à un non lieu et à la libération des trois républicains irlandais… Voilà quelqu’un qui sait de quels coups tordus sont capables les services de l’Etat en matière d’anti-terrorisme, et qui en a été la victime. Espoir…

Le commencement des débats me ramènent à la réalité. Vingt-deux ans plus tard, le contexte a changé, et c’est l’accumulation des législations anti-terroristes adoptées depuis cette époque qui s’applique aux bretons : perquisitions et garde à vue dérogatoires au droit commun, juge d’instruction et parquet spécialisés, cour d’assises « spécialement composée », c’est à dire formée de magistrats professionnels, sans jurés populaires…

Compte-rendu d’audience :

A l’ouverture de celle-ci, Le Président ne peut déclarer que le débats sont ouverts car l’un des prévenus libres, Pascal Scattolin (ils sont cinq, pour six prisonniers en détention provisoire), est bloqué dans un aérodrome breton en raison d’une grève de bagagistes. On commence donc par les conclusions des avocats. Maître Coutant-Peyre, rappelle que son client, Alain Solé, gravement atteint de diabète et ayant subi un triple pontage coronarien, n’a pas l’instrument qu’on devait lui remettre lui permettant de mesurer son taux de glycémie et peut donc à tout instant tomber dans le coma. Alain Solè est en détention provisoire depuis quatre ans et demi ! Elle demande sa mise en liberté. Elle demande également le rejet des parties civiles, dont SOS-Attentat et Mac-Donald France puisque personne n’est accusé à ce procès d’être l’auteur de l’attentat de Quévert. Maître Yann Choucq, habitué des procés de nationalistes bretons, dénoncent la composition de la cour d’assises spéciale au nom de la législation européenne sur les droits de l’homme et réclame que la Cour se déclare incompétente.

La Cour délibère et rejette, sans surprise, l’ensemble de ces demandes. Commence alors la lecture de l’arrêt de renvoi, jusqu’au lendemain après-midi ! Deux greffières se relaieront pour cette « fastidieuse lecture et audition », pour reprendre les termes d’une avocate.

Maître Yann Choucq revient alors à la charge et dénonce un maquillage juridique : Alors que l’ARB est citée dans l’acte d’accusation à maintes reprises, les faits sont qualifiés d’association de malfaiteurs et non d’atteinte à la Sûreté Intérieure de l’Etat. Lors de la création de la cour d’assises spéciale, le législateur lui avait confié le soin de juger les infractions, y compris intérieures à l’Etat français, mettant en cause la sûreté de l’Etat. Mais le Conseil constitutionnel avait ensuite estimé cette décision contraire à la constitution française. Crimes et délits relevant en interne de la sûreté de l’Etat devait à ses yeux relever de la cour d’assises ordinaire. Il y a treize ans, la chambre d’accusation de Montpellier avait requalifié des faits reprochés à des militants indépendantistes basques et refusé que les accusés concernés soient jugés par une cour d’assises spéciale. S’appuyant sur cette jurisprudence, plusieurs avocats de la défense demandent à la Cour de se désister, demande rejetée après délibération.

Commence alors l’examen du curriculum vitae des accusés : sept ont pu être menés à ce jour.

– Jérôme Bouthier, 29 ans travailleur social, en détention depuis le 1er octobre 2001. Accusé d’une tentative d’attentat contre un bureau de poste de Rennes. Mis en cause uniquement par une trace d’ADN sur un sac. Son épouse a accouché pendant sa détention. Il déclare, des sanglots dans la voix : « Ma fille va avoir deux ans. Nous ne nous sommes vus que pendant une trentaine d’heures au total. Et elle ne me connaît que dans la prison. »
– Solenn Georgeault, 30 ans, journaliste, fille de Kristian Georgeault et compagne d’Arno Vanier, tous deux également accusés dans ce procès. Accusée d’avoir participer à la rédaction du faux communiqué de l’ARB rejetant toute responsabilité de l’organisation clandestine dans l’attentat de Quévert.
– Alain Solé, 52 ans, imprimeur, en détention depuis le 4 octobre 1999. Accusé de quatre attentats et d’une tentative contre une gendarmerie, un tribunal et trois perceptions. Il lira à l’audience une déclaration politique réaffirmant ses convictions et dénonçant la répression.
– Stéphane Philippe, 35 ans, peintre industriel, en détention depuis le 6 mai 2000. Accusé d’avoir assisté Pascal Laizé lors de plusieurs attentats. Il est devenu père pendant sa détention.
– Gaël Roblin, 31 ans, ex-porte parole d’Emgann, en détention depuis le 6 mai 2000. Lors de l’audience, a rappelé qu’il a été maintenu en détention contre l’avis du Parquet ! Prisonnier d’opinion, accusé pendant l’instruction d’avoir gauchisé Emgann, accusation nié lors de l’audience par un témoin, M Salomon, l’un des fondateurs du mouvement.
– Pascal Scattolin, 44ans, magasinier. Accusé d’un attentat contre une perception.
– Pascal Laizé, 37 ans, électricien, en détention depuis le 6 mai 2000. L' »artificier » présumé. A refusé de répondre à l’audience aux questions concernant ses proches, au nom de la protection de la vie privée.

Tout, dans ce procès, est fait pour éviter de rappeler le contexte politique, notamment la politique de l’état français à l’égard de la culture et de la langue bretonne. Plusieurs témoins, dont le chanteur Gilles Servat, ont ainsi été interrompus par le Président comme étant hors-sujet. Seul un autre témoin, l’historien Michel Denis a réussi à déclarer que lorsque de jeunes militants lui demande à quoi les moyens légaux de lutte ont abouti, il se sent mal à l’aise pour répondre… La criminalisation d’Emgann est à l’oeuvre : l’accusation le désigne comme vitrine légale de l’ARB…

Ce procès est prévu de durer jusqu’au 26 mars. Le fait qu’il soit jugé par la cour d’assises spéciale implique qu’il ait lieu à Paris. Lundi, un car de Breton venu soutenir les accusés à fait l’aller-retour dans la journée. Les familles des accusés, ainsi que les parties civiles d’ailleurs, ne pourront y assister tous les jours. C’est aussi cela la justice d’exception.

Il reste donc de la place dans le public : N’hésitez pas à venir.

Mercredi 3 mars, à 16h45, le Président annonce une suspension d’un quart d’heure. Je sors me dégourdir les jambes et aperçois un essaim de journalistes devant la Cour d’appel. Je les rejoins et entends des applaudissements venant de la salle d’audience. Cesare Battisti est libre. Je reviens aux assises et j’annonce la bonne nouvelle à l’un des avocats de la défense qui me répond : « Il faut croire en la justice ».

Pour quelques secondes, je me remis à rêver…

Liberté pour les prisonniers politiques bretons !

Pour en savoir plus :

http://www.skoazell-vreizh.org

Source/auteur : Denis Marchand
Mis en ligne le jeudi 4 mars 2004, par Barde

lien d’origine : http://www.hns-info.net/article.php3?id_article=3817