L’article en anglais est une traduction de l’original sur l’édition en arabe.

Par Firas Khati

La situation des Palestiniens à l’intérieur de la ligne verte est sombre, en particulier comparée à l’atmosphère d’espoir suscité dans toute le région par le Printemps arabe. Des plans sont en préparation pour transférer de force des dizaines de milliers de Bédouins palestiniens dans des villes désignées.
Le programme de transfert fait partie des recommandations du Rapport Prawer, qui vise à transférer plus de 30.000 Bédouins arabes de la section Siaj du Naqab dans des sortes de lotissement ailleurs dans le région désertique du sud d’Israël

Les Palestiniens du Naqab considèrent ce plan comme une « déclaration de guerre » et refusent les ordres d’évacuation. Il fait partie de la politique de colonisation israélienne, qui consiste à installer le plus grand nombre possible d’Arabes sur la plus petite portion de terre. Le projet de transfert du gouvernement Netanyahu a cependant une portée énorme à cause du nombre considérable de personnes ciblées.

Environ 614.000 personnes vivent dans le Naqab, dont 192.000 Bédouins palestiniens. Plus de 70.000 de ces Bédouins vivent dans ce qu’Israël appelle « des villages non reconnus », alors que les autres résident dans des « villes reconnues ». Ces dernières ne sont guère mieux loties que les villes « non reconnues ». Elles manquent des services les plus basiques et les autorités israéliennes ne leur allouent que des budgets très faibles. Leurs conditions de vie sont similaires, si non pires, que celles d’autres villages et villes palestiniennes à l’intérieur de la ligne verte.

Même si les villages non reconnus ne jouissent d’aucun service de la part de l’Etat, les Bédouins du Naqab sont déterminés à rester sur leur terre. Le gouvernement israélien maintient qu’ils ne sont pas les propriétaires de la terre et y vivent illégalement. Le directeur du service de l’urbanisme au Centre juridique Adalah, l’avocate Suhad Bishara, dit à Al-Akhbar que les prétentions israéliennes à la terre falsifient l’histoire des Bédouins du Naqab. Elle dit que la plupart des villages concernés existaient avant la Nakba, c’est-à-dire avant la création d’Israël. Les autres ont été établis après que des tribus bédouines aient été expulsées du Naqab occidental et aient déménagé dans le secteur Siaj, au nord-est de Beersheba, à la limite de la Cisjordanie .

A la veille de la Nakba, 90.000 personnes vivaient dans le Naqab. La grande majorité a été déracinée, et seuls 10% d’entre elles ont réussi à rester. Elles ont été relocalisées dans un secteur appelé « Siaj » (enclave en arabe) et harcelées sans relâche par les Israéliens dans l’espoir que toutes partiraient. Bishara explique que les tentatives actuelles de transférer les habitants indigènes du Naqab est la continuation de la politique israélienne envers les Palestiniens au cours des 60 dernières années. Elle ajoyte que dans les années 1960 et 1980, sept villes arabes ont été crées dans le Naqab. Plus tard, dix autres ont été reconnues. La superficie totale de ces villes reconnues ne constituent que 1% du district de Beersheba, alors que les Bédouins représentent 31% de la population du Naqab.

Les gouvernements israéliens successifs ont essayé de faire porter sur les Bédouins ce qu’ils appellent « le problème du Naqab » en prétendant qu’ils s’accrochaient à des propriétés qui ne leur appartenaient pas. Cette pratique a débuté dans les années 1970 lorsque le gouvernement israélien a ordonné l’enregistrement de la propriété terrienne dans le Naqab. Bishara explique qu’Israël s’est servi de ces procédures pour affirmer qu’il n’y avait en fait aucune propriété terrienne bédouine dans la région.

Sous le prétexte d’essayer de trouver un compromis pour résoudre l’affaire, Israël a alors nommé la Commission Goldgerg, suivi par la Commission Prawer. Elles ont été chargées de développer un plan gouvernemental avec un calendrier spécifique dont le but est d’expulser les Bédouins des villages non reconnus. Bishara explique qu’Israël projette d’imposer ce « compromis » par la force, c’est-à-dire que soit les Bédouins l’acceptent, soit la terre sera enregistrée comme appartenant à l’Etat.

La politique israélienne d’installation des Bédouins dans des villes et des villages désignés n’a cependant pas réussi, selon Bishara. Une des raisons est que ces villes ont été construites sur des terres confisquées par Israël aux tribus bédouines. D’autres tribus refusent de vivre sur ces terres parce que ce serait une violation du droit tribal qui interdit à une tribu d’empiéter sur la terre d’une autre.

D’autres raisons de cet échec ont à voir avec les traditions sociales et culturelles bédouines. Bishara dit que la plupart des tentatives israéliennes de « judaïser » le Naqab ont échoué.

Source : Al Akhbar

Traduction : MR pour ISM

http://www.ism-france.org/analyses/Bedouins-du-Naqab-un…16058

______________________________

Citoyens de seconde zone
Israël reloge ses Bédouins

par Pierre Stambul

Compliquée, la guerre du Proche-Orient ? Pierre Stambul en revient et raconte : il y a 5 millions d’Israéliens et 5 millions de Palestiniens entre Méditerranée et Jourdain. Les premiers jouissent de plus de 90 % de l’espace et les autres survivent dans des réserves. Visite chez les Bédouins du Néguev [1].

J’ai commencé mon dernier voyage en Palestine chez les Bédouins du Naqab (Néguev en hébreu). Ils vivent depuis des siècles dans ce désert qui s’étend de la Cisjordanie et Gaza jusqu’à la mer Rouge. Dès 1950, le gouvernement israélien les a chassés de la quasi-totalité des zones où ils menaient leur vie de nomades, pour les regrouper au nord, dans le triangle Beersheba-Arad-Dimona. Dans la foulée, les Israéliens se sont emparés de presque tout le Néguev, où ils ont implanté des kibboutz et des villes nouvelles (essentiellement peuplées de pauvres, c’est-à-dire de Juifs venus du monde arabe). La sédentarisation des Bédouins dans des immeubles ayant échoué, l’État a eu l’idée géniale de créer une entité hybride : le « village planifié ».

Il y a aujourd’hui 180 000 Bédouins dans le Néguev. Un tiers d’entre eux vivent dans un des sept villages planifiés. Les autres habitent des villages ou des hameaux « non reconnus ». Nous avons séjourné dans un village planifié, entre Beersheba et la Cisjordanie. Laqya a le goût et la texture d’un village, mais… c’est autre chose. La maison de notre hôte, un des animateurs du Conseil régional des villages non reconnus [2] a été déclarée illégale.

Les Bédouins forment 28 % de la population de la province de Beersheba, mais occupent moins de 1 % de la superficie. Leurs terres ont été systématiquement confisquées sous divers prétextes. On compte 45 villages non reconnus, comptant de 500 à 5 000 habitants. Non reconnu, cela implique pas d’eau, pas d’électricité, pas de route, pas d’école, pas de ramassage des poubelles. Interdiction formelle de construire en dur : ces villages sont des bidonvilles. Souvent les Bédouins dissimulent des blocs de ciment sous la tôle ondulée pour aménager des espaces de vie plus solides. L’an dernier, les autorités ont démoli 270 maisons « illégales » dans ces villages.

« L’État d’Israël ne reconnaît aucun droit de propriété des Arabes du Néguev sur leurs terres ancestrales, alors qu’à l’époque du mandat, les Britanniques reconnaissaient le droit coutumier. On exige aujourd’hui de nous des actes de propriété qui n’ont jamais existé. » Celui qui parle est un vieux Bédouin qui nous reçoit en grande pompe, avec d’énormes plateaux de fruits, sous la tôle. C’est un spécialiste de renommée mondiale de l’élevage du dromadaire. Il est citoyen israélien et, à ce titre, a participé à plusieurs congrès internationaux au Kénya, au Kazakhstan… Il habite une cabane au milieu d’une casse automobile transformée en pigeonnier.

Il y a 50 ans, à Ramat Huvav, au sud de Beersheba, les autorités ont dit aux Bédouins qu’on avait temporairement besoin de leurs zones de pâtures. Ils n’ont plus jamais été autorisés à revenir. Leur village non reconnu est encerclé. D’un côté la centrale électrique de Beersheba, hyperbruyante : les Bédouins n’ont pas l’électricité, mais ils sont obligés de dormir avec des boules dans les oreilles. De l’autre une mine et une usine très polluantes, à l’origine de nombreuses maladies.

Les Bédouins ont la nationalité israélienne. Ils ont le droit de manifester, mais se sentent isolés. Le gouvernement a nommé une commission de « spécialistes » à sa botte, qui constate systématiquement que la loi est violée par les protestataires. « Notre conseil des villages non reconnus intente des procès, propose des plans de développement alternatifs, pour une solution juste », explique un de nos hôtes. « En vain : en face de nous, il n’y a que répression. Les habitants de nos villages sont fichés et considérés comme des squatters. » Il paraît qu’Israël est un État démocratique. Démocratie pour les Juifs, et encore… La répression frappe de plus en plus durement les militants anticolonialistes (refuzniks, manifestants contre le Mur…). Mais quand on est « Arabe [3] », on n’est plus rien. « Ils me disent que je viole la loi », tempête le vieux chamelier. « Quelle loi ? Nous avons toujours vécu ici. »

La notion d’État juif est un cauchemar : une disposition raciste qui transforme les non-Juifs israéliens en sous-citoyens. Et les Juifs vivant hors d’Israël ont un choix très réduit : se faire complice de cet apartheid instauré en leur nom ou être un « traître ayant la haine de soi ». J’ai choisi le deuxième terme de l’alternative, sans la haine.

Pierre Stambul

Membre du bureau national de l’Union Juive Française pour la Paix. http://www.ujfp.org/

[1] Cet article a d’abord paru en France dans le journal mensuel CQFD, No 53, février 2008, page 4. Le journal a pignon sur Internet : www.cequilfautdetruire.org.

[2] Ce conseil a été fondé en 1997. Chaque village y envoie ses représentants.

[3] « Arabe » entre guillemets, parce que les appellations abondent :Palestiniens d’Israël, Arabes israéliens, Palestiniens de 48… Les Bédouins disent : « Nous ne sommes pas assez arabes pour les Arabes, pas assez palestiniens pour les Palestiniens, pas assez israéliens pour les Israéliens… » Dans les 5 millions de Palestiniens, on inclut les Bédouins, les Druzes, les Chrétiens, et ils ont des statuts différents (Palestiniens d’Israël, de Jérusalem, des zones A, B ou C…).

_______________________

à lire aussi, de Pierre Stambul, « Sionisme ou lutte des classes ? »

La « révolte des tentes » en Israël peut-elle être comparée aux processus révolutionnaires qui traversent le monde arabe ? Boulevard Rothschild à Tel-Aviv (rebaptisé place Tahrir), on pouvait lire le panneau : « Nétanyahou, Moubarak t’attend » (au tribunal bien sûr).

La justice et l’égalité pour qui ?

Mais Israël n’est pas l’Egypte. Ce n’est pas un pays comme les autres. C’est un morceau d’Occident implanté au Proche-Orient. Cette société est fondée sur la colonisation, l’occupation et l’apartheid. Entre Méditerranée et Jourdain, il y a 5,5 millions de Juifs israéliens et 5,5 millions de Palestiniens. Le niveau de vie d’un Israélien moyen n’a rien à voir avec celui d’un Palestinien (50% de la population sous le seuil de pauvreté pour les Palestiniens ayant la nationalité israélienne, beaucoup plus en Cisjordanie et une misère généralisée dans les camps de réfugiés et à Gaza). La révolte de la classe moyenne israélienne ne remet pas en cause le sionisme qui est à la fois une théorie de la séparation (Les Juifs ne pourraient pas vivre avec les autres) et un colonialisme visant à expulser le peuple autochtone. Un opprimé ne peut pas se libérer s’il reste oppresseur. Même le syndicalisme israélien est perverti : la Histadrouth est un syndicat patron qui défend statutairement le « travail juif » et elle est intégrée à l’appareil d’un Etat qu’elle a contribué à fonder.

Omar Barghouti qui est un des porte-parole de l’appel palestinien au BDS (boycott, désinvestissement, sanctions contre l’Etat d’Israël) a donné une interview dans laquelle il est très sévère sur ce mouvement « des tentes » (de la classe moyenne) qu’il qualifie de lutte pour le maintien des privilèges coloniaux de la population juive d’Israël. Il rappelle d’ailleurs un précédent qui s’était déroulé dans l’Afrique du Sud de l’apartheid dans les années 80 où la population blanche avait manifesté pour plus de « justice sociale ».

Fractures dans l’idéologie dominante ?

Le sionisme dans lequel toute la population israélienne a été élevée a besoin en permanence de tension et de guerres. Dès qu’on oublie cette tension permanente entretenue, les fractures apparaissent. L’ « Etat juif » est terriblement raciste et inégalitaire. Le racisme ne touche pas que les Palestiniens, il frappe aussi les travailleurs immigrés, les Falashas, les Juifs venus du monde arabe.

Comme l’avait dit Ehud Barak, « nous n’avons pas de partenaire pour la paix ». Plus exactement, si le gouvernement israélien en a, il le tuera pour maintenir cette fuite en avant permanente. Quelque part le sionisme et l’ultralibéralisme sont entrés en contradiction. Le libéralisme a détruit de nombreux privilèges que le sionisme avait promis aux Juifs pour mieux les aliéner : une terre, un logement, un travail, une protection sociale.
En 2003, Vicky Knafo, une mère célibataire de trois enfants, avait marché depuis le Néguev jusqu’à Jérusalem pour protester contre les réductions drastiques des allocations familiales et la misère qui en résultait. Son geste avait eu une immense popularité. Ces revendications ont été noyées dans la guerre du Liban et l’opération « Plomb durci » contre Gaza.

En 2008, un jeune candidat communiste, refuznik (objecteur) et antisioniste (Dov Khenin) avait eu 35% des voix aux élections municipales de Tel-Aviv. Les jeunes avaient largement voté pour un candidat refuznik et la population « européanisée » avait signifié son aspiration à une vie « normale » sans guerre permanente. Bref une « paix pour nous ».

Le mouvement des tentes est à rapprocher de cela : dès que la tension artificielle s’estompe, la société israélienne est rattrapée par ses contradictions et par la lutte des classes. Dans cette société où tous les dirigeants politiques sont poursuivis pour viol ou corruption, où la mafia contrôle plusieurs secteurs, la croissance de 5% et les technologies de pointe ne masquent plus la réalité : 60% du budget va à l’armée ou à la colonisation et même la classe moyenne ne peut plus se loger et se soigner décemment. 25% des Israéliens juifs ont moins de 740 euros par mois et une partie de la société ne supporte plus les inégalités.

Une clarification indispensable

Jusque-là les grandes manifestations en Israël avaient été celles contre Sabra et Chatila dans les années 80, sur l’assassinat de Rabin en 1995 ou pour les colons dans les années 2000. Cette fois-ci, il y a eu moins de ferveur nationaliste.

Comme dans des manifestations « d’Indigné-e-s » ailleurs dans le monde, on a entendu de tout dans les gigantesques manifestations des grandes villes israéliennes. Certain-e-es ne remettaient rien en cause (ce qui explique la popularité du mouvement) et Nétanyahou leur a aussitôt promis des logements à bas prix à Jérusalem Est ou dans les colonies de Cisjordanie. Dans les manifestations d’Haïfa, il y avait très peu de drapeaux israéliens, mais des drapeaux rouges et des slogans plus clairs : « nous ne sommes pas des marchandises, un autre monde est possible » « révolution », « le peuple exige la justice sociale et un avenir ». Le discours prononcé par la militante féministe Shira Ohayon lors de la manifestation monstre de Tel-Aviv du 6 août opposait la prétendue « sécurité » d’Israël à l’insécurité de celles et ceux qui ne peuvent plus vivre dignement.
Ce qui va être décisif dans ce mouvement, c’est la recherche de la convergence avec la population palestinienne d’Israël et les anticolonialistes. À Haïfa, la population palestinienne a participé à un des défilés. À Beersheva dans le Néguev, les Bédouins qui luttent depuis des années contre les confiscations de leurs terres et les destructions de leurs villages sont descendus dans la rue. Pour l’instant, la convergence entre le « mouvement des tentes » et les « Palestiniens de 48 » qui vivent en Israël toute une série de discriminations à la possession de la terre, au logement, au travail, à l’éducation est balbutiante. Elle est pourtant décisive sur l’avenir de ce mouvement. À Tel-Aviv, une tente de 1948 « multiculturelle et antiapartheid » s’est installée. Elle a été attaquée par les colons fascistes (pardon pour le pléonasme), mais elle est toujours en place.

Il n’y aura pas de solution juste à la guerre du Proche-Orient dans le cadre du sionisme. Il n’y aura pas de rupture « du front intérieur » et donc de rupture avec le colonialisme en Israël sans qu’une certaine souffrance économique et sociale ne pousse à cette rupture. Il est donc décisif que ce « tous ensemble » né en Israël en juillet 2011 ne se limite pas à la population juive. La lutte des classes doit rejoindre la lutte anticoloniale. Sinon, l’issue est connue d’avance : une nouvelle provocation, une nouvelle guerre dont l’actuelle agression contre Gaza est le signe avant-coureur et une nouvelle « union nationale » pour noyer la révolte sociale.

Pierre Stambul le 21 août 2001

Cet article est paru dans le dernier numéro d’Alternative libertaire.

http://www.millebabords.org/spip.php?article18327