Quand on prend la parole, on a le choix entre parler d’une chose précisément ou parler superficiellement de beaucoup de thèmes qui importent, là j’ai plutôt choisi la deuxième possibilité, ce qui implique que ça va aller un peu vite et qu’il y aura de l’implicite qui pourra être mis en discussion tout à l’ heure. Le point de départ était de repartir d’une critique du concept de prolétariat, de la critique d’une matrice de pensée et d’un schème de perceptions, en l’occurrence une matrice de pensée héritée de la dialectique de Hegel – à mon avis celle-ci se retrouve aujourd’hui pleinement, en tout cas sur le point que je vais cerner dans ses prolongements polémiques, parmi les diverses pensées qui ont rejeté cette matrice tout en en conservant un aspect essentiel. Donc essayer dans un premier temps de cerner cet aspect qui, je crois, définit ce qu’on appelle le schème prolétarien et, dans un deuxième temps, indiquer un autre rapport qui va nous faire retrouver une série de questions qui sont celles du choix. On verra pourquoi cette question en particulier, celle du thème qui était annoncé à savoir la vie dans les oasis qui nous permettent d’habiter le désert et le rapport compliqué qui s’instaure à partir de là avec la politique, le thème de l’économie, en tant que c’est ce qui fait l’objet d’une attaque en tant que telle, déjà ça fait beaucoup de questions, et puis on finira sur la question du temps. Il s’agit de délimiter un espace d’énonciation à travers les thèmes abordés de façon assez rapide et de mettre à l’épreuve la possibilité que cet espace d’énonciation soit habitable, de mettre ça en question.

La « définition » du prolétariat qui se situe à la fin du Manifeste du Parti Communiste c’est « le prolétariat n’a rien à perdre que ses chaînes et un monde à gagner ». Les prolétaires, ce sont d’abord ceux qui n’ont rien, et qui dès lors ne peuvent que vouloir un renversement total, ceux qui n’ont rien ce sont ceux qui sont délestés des intérêts particuliers et qui dans cette mesure ne peuvent vouloir qu’un renversement total. Le portrait des prolétaires, c’est ce qu’on trouve en particulier dans l’introduction à la Critique du Droit Politique Hégéliende Marx. Ils sont définis comme les seuls opérateurs de la Révolution, ses sujets actifs, dans l’exacte mesure où ils n’ont rien c’est-à-dire que non seulement ils ne possèdent rien mais ils n’ont pas non plus de qualité reconnue à faire valoir. Donc ils sont la forme pure de l’existence réduite à sa nécessité et pour cette raison même ils sont les ouvriers du renversement. C’est leur fonction historique ou ontologique, autrement dit. Ils sont les révélateurs du Rien, c’est-à-dire de la pure puissance humaine générique, au-delà des qualités, des états et des identités.

Dès lors, le capitalisme se définit par l’exploitation du travail vivant et cette exploitation poussée à son comble génère la figure qui pourra y mettre fin ; telle est la thèse classique sur le prolétariat. Rien à perdre, ça veut dire qu’on n’a pas le choix d’une certaine manière. Donc c’est précisément parce que les prolétaires ne peuvent pas vouloir une liberté partielle qu’ils ne peuvent que vouloir une liberté totale. Tel est le schème prolétarien qu’on peut dire « orthodoxe » et cette figure du prolétariat est une figure qu’on pourrait appeler « nécessité subjective » par opposition à quelque chose qui serait de l’ordre d’une nécessité objective où ce sont les contradictions du capitalisme en tant que telles qui devraient mener à son renversement, abstraction que personne n’a jamais vraiment défendue. Aussi grandes soient les tensions internes au capitalisme, Il faut un opérateur subjectif pour effectuer ce renversement. Le problème étant d’identifier la figure qui va opérer ce renversement. Le prolétariat nomme cette figure. Ce passage, ce renversement, on doit le considérer comme un passage de la nécessité à la liberté, la forme pure de l’existence réduite à sa nécessité est aussi par là même celle qui devrait pouvoir opérer, ou la seule qui serait en capacité d’opérer un retournement complet de sorte que de l’extrême nécessité, on passe à la liberté. Et il faut que le prolétariat soit pour toutes les autres classes le porteur de la liberté. Cette thèse orthodoxe a plus d’un siècle et demi. On en trouve la matrice dans la Logique de Hegel. Texte très abstrait dans lequel les grandes catégories de la pensée philosophique se trouvent en quelque sorte mises en mouvement. L’objectif de la matrice de pensée dialectique est de définir la possibilité d’un passage de la pure nécessité à la liberté. Ce passage prend plusieurs figures dans le système de Hegel : passage de la Nature à l’Esprit, de l’Essence au Concept, de la Substance au Concept. Ce qui préfigure ce passage est celui qui est indiqué par les catégories de fond et d’existence. Donc c’est parce qu’on touche le fond, qu’on peut repartir vers l’existence, indication que l’on peut entendre au sens psychologique, des gens font très bien ça, toucher le fond pour remonter à l’existence, mais ici peut-être faut-il l’entendre dans un sens historique comme on vient de le faire avec ce que j’ai appelé le schème prolétarien. Le prolétariat serait cette figure politique nommant une façon de toucher le fond et à partir de là de pouvoir repartir vers l’existence, d’être en mesure de relancer l’existence libre.

Il y a deux façons de l’entendre ; que la nécessité doit se retourner en liberté ou bien que la nécessité apparente doit se révéler comme liberté, c’est-à-dire que, dans cette logique très abstraite, le mouvement des catégories doit ultimement se révéler comme ayant été depuis le départ le mouvement d’une liberté subjective, même si, curieusement, dans les catégories qui sont celles de Hegel, cette subjectivité est attachée à l’élément du concept. Mais peu importe pour nous car ce qui importe ici est la traduction politique de ce schème. On peut le dire autrement pour déjà lancer un élément polémique, la nécessité apparente, cela peut être les dispositifs de l’Empire qui s’avère n’être que le mouvement propre de la liberté, à savoir le processus constituant de la multitude. Empire comme une reconduction du schème prolétarien même si c’est d’une façon totalement délestée de l’orthodoxie dont on vient de parler. Ce schème prolétarien qu’on trouve dans la pensée des multitudes de Negri, pensée d’ailleurs peut-être ancienne, peut-être que tout le monde a dépassé ça depuis longtemps, je pense qu’on le retrouve aussi dans la théorie du Bloom par exemple de Tiqqun.

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