Le mode de production capitaliste, comme le démontrent ses crises à répétition, est incapable d’assurer de manière durable ne serait-ce qu’une vie décente à la classe productive moderne, le prolétariat, ni aux classes moyennes qu’il entraîne dans sa crise. Les effondrements économiques à l’échelle de pays ou régions du monde ont déjà eu lieu, d’autres plus graves encore, sont à venir, au cœur même des métropoles capitalistes. Dans ces circonstances, l’exemple tunisien est l’un des premiers épisodes des combats décisifs que le prolétariat mondial aura à mener.

Avec ce courage inouï qui fait les révolutions, les prolétaires tunisiens (ainsi que les classes moyennes paupérisées, étudiants déclassés, etc.) se sont affrontés au pouvoir armés de pierres et de bâtons, face à une police bestiale et à la complicité de l’ensemble des capitales arabes et occidentales et de l’état français, ancienne tutelle coloniale, en particulier.

Les effets de la crise internationale, la hausse devenue insupportable des matières de première nécessité, le chômage endémique très élevé (et que l’on retrouve dans tout le Maghreb) sont autant de facteurs qui poussent nécessairement le prolétariat à se mobiliser pour défendre ses intérêts de classe. Comme en Argentine en 2001, c’est la rue qui joue un rôle décisif dans le départ des dirigeants au pouvoir.

Contrairement aux « émeutes de la faim » des années 1980, la révolution tunisienne est l’un des premiers événements d’après la crise de 2008-2009 qui s’attaque directement au pouvoir politique et dont une des conséquences pourrait être l’apparition d’une république démocratique. Celle-ci est « l’ultime champ de bataille » (Engels) sur lequel doit se dérouler le combat décisif entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Au cœur de la Méditerranée, c’est un exemple qui terrorise non seulement tous les gouvernements du monde arabe (qui ont connu de remarquables mouvements de solidarité, comme en Algérie ou en Jordanie), mais au-delà tous les états qui ont engagé avec leur propre prolétariat, un bras de fer pour faire baisser les salaires et démanteler les systèmes de protection sociale (Espagne, Grèce, France, Portugal, Royaume-Uni… au sein desquels se sont produits ces derniers mois de puissants mouvements de protestation).

Dans les premiers jours qui ont suivi la chute de la tête du régime (le reste de l’appareil restant encore aux commandes, notamment avec la farce d’un gouvernement qui a maintenu aux postes-clés les anciens ministres), les prolétaires tunisiens ont commencé à s’organiser en comités de quartier, à pourchasser les mercenaires de l’ancien régime. Dans la situation de pénurie où se trouve une grande partie de la population, et face à la mascarade électorale qui s’annonce, la voie à suivre est celle d’un renforcement de ces comités, afin qu’ils puissent prendre en charge la distribution des biens de première nécessité, organiser la production là où c’est possible, profiter de la fuite des propriétaires pour s’approprier les instruments de production, s’organiser militairement contre les exactions d’où qu’elles viennent. La continuation des manifestations, après la fuite de Ben Ali, et leur tournure de plus en plus sociale est un signe montrant que le cycle ouvert en décembre est loin d’être terminé.

Le prolétariat tunisien, hier encore muselé et brutalement réprimé, doit mettre à profit la situation qu’il a contribué à créer, et notamment l’obtention des libertés d’opinion et d’organisation pour pousser encore plus loin sa mobilisation et notamment travailler à fonder un parti prolétaire indépendant (communiste) capable de diriger la lutte.

En 1974, le peuple Grec a chassé la junte des colonels installée au pouvoir par un coup d’état depuis 1967. Trente-cinq ans après, alors que la corruption et le népotisme ont accompagné la démocratie depuis son retour, un gouvernement « socialiste » inflige au prolétariat grec l’une des pires cures d’austérité prises en Europe depuis la dernière crise.

Voilà ce qui attend le prolétariat tunisien, malgré toutes les ouvertures démocratiques rendues possibles aujourd’hui. Et, comme le montre toute l’histoire du mouvement ouvrier, plus sa mobilisation sera grande, plus il fera valoir de manière autonome ses propres intérêts de classe, plus il exercera un exemple sur ses frères de classe, au Maghreb et dans le monde, et plus il sera lui-même en butte à la répression du pouvoir républicain, qui révélera ainsi sa véritable nature de classe.

 » Et pour les prolétaires qui se laissent abuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de la liberté, par des phrases sonores d’avocats, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours ». (Auguste Blanqui, 1850)

 Robin Goodfellow- 22 Janvier 2011 www.robingoodfellow.info – robin.goodfellow@robingoodfellow.info