La propagande officielle, relayée par les grands médias, proclament l’essoufflement du mouvement et sa fin prochaine, après le vote définitif de la réforme par les deux chambres et la baisse de participation aux manifestations nationales du 28 octobre.

Personne ne conteste ce reflux de la participation, qui, ajouté à la reprise progressive du travail dans les raffineries, qui auront été un peu le symbole du mouvement ces dernières semaines, et un taux de grévistes en baisse, peuvent donner l’impression d’un essoufflement, mais seulement à ceux qui veulent s’en convaincre eux-mêmes et convaincre les autres.

Si ce mouvement s’est focalisé sur la question de la réforme des retraites, celle-ci n’a joué qu’un rôle de détonateur dans l’expression d’un ras le bol beaucoup plus large. A supposer que ce mouvement s’arrête et que s’opère un « retour à la normale », cette « normalité » ne serait que la subsistance – et certainement le renforcement – d’un sentiment d’écoeurement face à un pouvoir décidé à s’attaquer au contrat social né du Conseil National de la Résistance et à tous les acquis sociaux gagnés de haute lutte par la classe ouvrière.

D’aucuns regretteront que cette prise de conscience soit si tardive. Nicolas Sarkozy et ses sbires ne sont pas arrivés au pouvoir par un coup d’état mais démocratiquement élus. La gauche parlementaire, et en premier lieu le Parti Socialiste, portent une écrasante responsabilité face à cette politique de régression sociale systématique. Elle ne peut pas effacer l’ardoise en se contentant de défiler aux premiers rangs des manifestations, ni même en promettant l’abrogation de la loi en cas de victoire en 2012. Il lui faudra faire preuve d’un courage politique qui lui fait défaut depuis 1981 et retrouver le sens du mot « socialisme » . Rien n’indique cette prise de conscience au sein du PS et il y a fort à parier que la gauche parlementaire se contentera de profiter du sentiment anti-Sarkozy pour rédiger un programme a minima de gestion du néo-libéralisme.

Dans tous les cas, l’offre politique parlementaire n’offre pas d’alternatives à une rupture au libéralisme sur-puissant. Changer les personnes qui gèrent le système ne mène à rien, c’est le système même qu’il faut changer.

C’est ce que proclament les révolutionnaires. Mais le « mouvement » – comment qualifier cet état ? – révolutionnaire est dans un état de délabrement pire que ne l’est la gauche parlementaire. Incapable de se renouveler, il fait porter la responsabilité de son impuissance à des causes extérieures. Il vit sur des mythes nés la plupart du temps de la révolution industrielle oubliant que la pertinence de ses modèles révolutionnaires étaient dus à des conceptions nouvelles et non figées dans le marbre. Chacun a sa Bible, qu’il défend jalousement contre les « déviances » des groupuscules rivaux, dans des diatribes incompréhensibles pour le commun des mortels, et en premier lieu, la classe ouvrière dont ils se réclament pourtant les défenseurs et représentants. Ils se font entendre sporadiquement à l’occasion de mouvements sociaux tel que celui en cours, qu’ils ont été incapables de déclencher et qu’ils sont incapables de maîtriser, voire de comprendre.

Et malgré tout cela, un mouvement social s’est exprimé – s’exprime et s’exprimera encore – avec force et originalité. Là, réside sans doute l’espoir, dans cette organisation désorganisée – ou l’inverse – ces territoires vierges encore à découvrir mais dans lesquels se sont engagés spontanément des structures pionnières. Un mouvement populaire qui s’organise avec tout ce que cela suppose de tâtonnements et de difficultés, en dehors des clivages politiques et syndicaux. Nous nous rassemblons, nous débattons, nous décidons. Nul besoin de mots d’ordre, d’analyses avant-gardistes, les gens ordinaires se sont ré-appropriés leurs luttes, ont décidé des formes du mouvement, l’ont fait vivre, se sont organisés comme ils l’entendaient et, apparemment, sont bien décidés à continuer l’expérience.

Quoi qu’il advienne de ce mouvement dans les semaines à venir, il représente une bouffée d’air frais dans le paysage social glauque des dernières décennies, une éclaircie à élargir, à renforcer . Ce mouvement n’est pas fini car nous seuls pouvons décider de sa fin. Nous, les gens ordinaires, qui ne sommes que des pions dans leurs jeux, comme chantait Dylan, devenons décideurs et acteurs, dans des discussions aux petits matins . On vous signifiera que ce n’est pas votre rôle, que vous devez laisser cela aux experts politiques, économiques, révolutionnaires, on raillera vos prétentions à vouloir changer le cours de vos vies, on condamnera vos actions, on vous dira de rentrer chez vous.
Vous verrez entendrez et lirez tout et son contraire sur ce mouvement, mais c’est vous qui le faites et vous serez capables d’en rire.

Ne vous sous-estimez pas.

Fraternellement.