Alors que le secteur de l’Education nationale (EN) est particulièrement visé avec des suppressions massives de postes d’enseignants, de surveillants, d’enseignants spécialisés, de personnel travaillant au ménage, à la restauration et qu’une énième réforme est en cours, que proposent les syndicats ? Nous avons pris connaissance d’un échange de courriers entre le SNES (1) et une de ses adhérentes. La déception, la colère et la rage animent l’enseignante ébranlée par le doute sur le rôle réel de son syndicat.

Manifestations, balades, est-ce cela la lutte ?

Suite à la manifestation du 23 mars, le SNES a fait parvenir un courrier aux syndiqués pour leur donner le nombre de participants à la journée du 23 mars et leur rappeler le but de cette journée: “Les enseignants du second degré ont bien entendu investi cette journée avec les revendications qu’ils portent depuis des mois dans leur secteur: abandon des réformes Chatel, arrêt des suppressions de postes”, puis il a invité les syndiqués à un nouveau rassemblement le 1er avril. Au cours de cette manifestation, les collègues devaient porter un t-shirt où était inscrit : “Tout va bien dans l’éducation… poisson d’avril”.

La lettre qui suit montre l’indignation de l’enseignante face à ces propositions et nous pensons que le poisson d’avril n’est pas prêt d’être digéré.

“Je suis syndiquée au SNES depuis de nombreuses années et je tiens à vous faire part de ma plus grande indignation suite au message que vous nous envoyez. Est-ce là tout ce que propose le premier syndicat enseignant ?

J’en ai assez de faire grève un jour par mois et de distribuer des tracts type “poisson d’avril”. Pourquoi pas des actions plus fortes: au lieu de faire grève un jour par mois, pourquoi ne pas arrêter de travailler carrément une semaine (cinq jours) à la rentrée scolaire ou mieux pendant le bac ? Je me permets de vous écrire car je me fais aussi le porte-parole de nombre de mes collègues qui ont l’impression de faire grève par acquis de conscience. Je suis prête à perdre mon salaire mais pour de vraies actions. La direction du SNES croit-elle vraiment à ce qu’elle affiche ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu une intersyndicale après la manifestation pour proposer des suites d’actions crédibles ?

Nos droits sont absolument bafoués, notre métier est remis en cause, cette réforme est l’apogée du leurre aux parents, signe la fin de l’Education nationale et tout ce que vous proposez, ce sont des tracts “poisson d’avril” ! à part la grève mais une vraie, pas une kyrielle de journées d’action saupoudrées sur une année, je ne connais pas de moyen d’action efficace. A moins que vous ne considériez que la réforme des lycées est passée et qu’il ne reste plus qu’a l’accompagner ?

Merci de me répondre, je suis vraiment dans l’attente d’éléments d’explication.”

Nous ne savons pas encore ce qu’il lui sera répondu par son syndicat mais nous pouvons déjà un peu le deviner: noyer le poisson !

La démarche entreprise par cette enseignante montre à quel point une partie de la classe ouvrière tend aujourd’hui à se poser les vraies questions. En multipliant la division au sein de la classe ouvrière, en éparpillant les luttes, en faisant faire n’importe quoi comme par exemple les manifestations balades où le bruit des sonos et des tambours empêchent toutes possibilités de discuter, quel est le rôle des syndicats ? Ne défendent-ils pas les intérêts de ce système capitaliste qui nous emmène pourtant tous dans un gouffre ?

Les syndicats joueraient-ils double jeu ?

L’enseignante veut des explications, et voilà le résultat d’un échange téléphonique musclé qu’elle a eu avec un représentant du SNES dont elle fait part: “… au final, suite à mon insistance sur l’avenir et le retrait de la réforme, il m’a dit qu’il était encore possible de se battre pour que la répartition des 10 h 30 dédoublées soit décidée de façon nationale et contre la mastérisation… Donc pendant que je fais grève contre la réforme, mon syndicat sait que c’est fini ? Avez-vous eu les mêmes échos ?

Alors que devons-nous faire ? La grève de la faim ? Brûler la préfecture ? Séquestrer notre chef ? Barrer les routes avec les vélibs ? Déverser du crottin d’élèves au parc de la Tête d’or ? (2) Je suis absolument scandalisée. Je pense que je vais rendre ma carte.

PS: Heu…, finalement tout mais pas la grève de la faim…”

Derrière le ton quelque peu ironique de cette enseignante, c’est surtout de la colère et l’indignation qui se dégagent. Le sentiment de se faire avoir et le début d’un questionnement sur ce qu’il faudrait faire pour réellement se faire entendre. A travers le “alors, que devons nous faire ?”, elle rejoint les préoccupations de nombreux travailleurs qui, s’ils commencent à douter des syndicats, ne savent pas comment lutter autrement. Elle montre que sa confiance envers le SNES est largement ébranlée car elle découvre que celui-ci a un double discours, celui qu’il a avec l’Etat et celui qu’il a avec les syndiqués.

C’est ce que commence à comprendre cette enseignante quand elle dit : “Donc pendant que je fais grève contre la réforme, mon syndicat sait que c’est fini ?”

Pourquoi pas d’AG après la manifestation du 23 mars ?

Comme nous l’avons vu dans son courrier, elle est aussi scandalisée car il n’y a pas eu d’intersyndicale après la manifestation. Dans la manifestation, un petit groupe distribuait des tracts signés MICOSOL (3) pour appeler à une AG interprofessionnelle après la manifestation. Peu de monde est venu. Pourquoi ? Parce que comme l’exprime, entre les mots, cette enseignante il faut d’abord perdre ses illusions sur le syndicalisme. Il y a encore un monde entre la critique des directions syndicales et la compréhension que ce moyen de lutte qu’est le syndicalisme est perdu pour nos luttes depuis longtemps. Pourtant, le fait qu’il n’y ait pas eu d’AG organisée par les syndicats à la fin de la manifestation montre que ceux-ci ont peur des réactions de la classe ouvrière et surtout que, sous l’impulsion de tel ou tel secteur de la classe, à travers des discussions, d’échanges d’idées d’expériences et d’analyses politiques, nous prenions conscience que nous sommes une classe unie avec des problèmes communs à résoudre. Ce que ne veulent surtout pas les syndicats c’est que nous découvrions notre force et notre capacité à lutter par nous-mêmes.

Ce n’est pas pour rien que les manifestants sont tous parqués derrière des banderoles représentant les revendications spécifiques, pour “leur” usine, “leur” école, “leur” hôpital. Pour les syndicats, les ouvriers peuvent défiler ensemble mais surtout pas discuter ensemble. C’est pourtant cela que les syndicats appellent “manifestation unitaire”.

C’est pourquoi cet échange de courrier entre le SNES et une syndiquée qui parle de rendre sa carte est si intéressant. La situation de la crise économique avec son cortège de mesures d’austérité touche l’ensemble de la classe ouvrière et nous devrons lutter avec des moyens qui seront véritablement les nôtres: AG ouvertes à tous, avec des décisions et des mots d’ordre qui doivent être décidés collectivement, avec des délégués élus et révocables. En fait, dans la lignée des AG organisées par les étudiants en 2006 dans les luttes anti-CPE., et au contraire des AG bidons aux mains des syndicats.

C’est pourquoi l’appel d’une AG après la manifestation par un petit groupe naissant, AG ouverte à tous, avec liberté de parole, est un signe des temps (“Regroupement à tous ceux qui veulent réfléchir et agir pour recréer l’unité là où il n’y en a plus”). Un besoin qui va de plus en plus s’imposer à nous et qu’il faudra faire vivre nous-mêmes.

Map – Courant Communiste International

1) Syndicat national de l’enseignement de second degré : principal syndicat dans le secteur de l’Education nationale en France.

2) Parc urbain très connu à Lyon, situé sur les bords de Rhône.

3) MICOSOL: Mouvement des insoumis(es) conscient(e)s et solidaires lyonnais

« Un témoignage du sale boulot de l’UNEF »

A travers les débats qui existent dans divers forums sur Internet et qui touchent aux questions portant sur la lutte de classe, nous voulons souligner la réaction indignée d’un internaute face aux pratiques syndicales, en l’occurrence de l’UNEF, consignées dans un document intitulé: “Consignes de l’UNEF aux militants au sujet des autres formations”. Il s’agit là d’un document à usage syndical “interne” et qui dévoile non seulement l’état d’esprit mais aussi les sales méthodes utilisées par toutes les centrales dans leurs “cours de formation” des cadres syndicaux qui, outre leur professionnalisation du sabotage des luttes, vont à la pêche aux adhérents en appâtant ceux qu’ils cherchent à convertir en électeurs. Pour présenter l’essence de ce document, nous pensons que le mieux est de donner la parole à celui qui l’a porté de façon critique à notre connaissance par son intervention : “(…) je suis tellement énervé par le mail qu’un ami à moi proche de l’UNEF vient de me transmettre, qu’il est indispensable que je vous le communique. Ce mail va bien au-delà du désormais célèbre “Vade-mecum” repris par tout Internet sur “comment prendre en mains une AG (1). Le contenu est édifiant… à un point qu’il fait vraiment peur: Le rédacteur y revendique le droit de mentir aux étudiants !” (2).

En effet, mais le contenu du document en question nous permet d’affirmer, pour notre part, que l’objectif va bien au-delà de la simple “revendication du droit au mensonge”. Il ne fait ni plus ni moins que préconiser ce qui est déjà en usage dans toutes les officines bourgeoises, notamment les syndicats !

Outre le mépris porté à l’égard des étudiants, le document syndical cherche à conditionner et à coincer ses victimes pour les enfermer dans le piège électoral. C’est ce qu’on peut nettement déduire de ce premier extrait qui fait penser à une recette de cuisine: “L’étudiant “jour du vote” risque de vous demander pourquoi il n’a pas entendu parler des élections. Il faut dire que c’est la faute de l’université, qui n’a pas intérêt à ce que les étudiants puissent trop se plaindre. L’étudiant lambda a toujours des problèmes administratifs divers et ne pourra que vous donner raison. Dites que vous voulez changer les choses là-dessus” (3).

Notre conseiller en communication syndicale ordonne ensuite de passer à l’offensive avec une opération de séduction, vieille méthode employée par tous les boutiquiers et autres requins du marketing, pour ponctuer à l’aide d’un grossier mensonge: “Restez toujours aimables et avec le sourire, et sachez toujours où se trouve les bureaux de vote les plus proches pour renseigner les étudiants ! Si vous êtes en dispo de solidarité, renseignez-vous sur les formations présentes là où vous faites campagne pour dire que vous êtes étudiants du coin, ça passe mieux en général”. Faire croire qu’on est “du coin”, est une vieille ficelle digne des démarcheurs à domicile et des charlatans ! Après, car ce n’est pas tout, il faut encore “ratisser large”. Comment ? En faisant croire que l’UNEF n’est pas un sous-marin du Parti socialiste ! Voici la technique: “Sur les liens politiques PS/UNEF, répliquer que l’UNEF étant la première organisation de jeunesse, plusieurs de ses membres sont engagés, du MODEM au PG, donc dans les partis progressistes, vu que l’UNEF est de gauche (je ne considère pas le modem de gauche, mais ça fait moins peur aux étudiants comme ça)…”. Ensuite, il ne faut surtout pas que l’électeur potentiel se pose trop de questions, en particulier sur l’histoire du syndicat, au risque de découvrir des perles ou de ternir son image : “répondez que quand l’UNEF à fêté ses cent ans en 2007, personne ne l’a contesté et tous les candidats aux présidentielles ont répondu à l’appel de l’orga. Même chose sur l’appartenance de Le Pen à l’UNEF apolitique: bien évidemment niée (on ne va pas expliquer aux étudiants l’histoire du syndicat)…”. Face aux questions gênantes de concurrents éventuels, comme ceux de la FAGE, le mensonge reste de mise pour ces faiseurs d’opinions: “Combien de permanents à la FAGE sont rémunérés grâce aux subventions publiques ? Aucun à l’UNEF, comme le prouve le rapport du commissariat au compte fait sur l’orga majoritaire et disponible sur Internet (c’est faux, mais l’étudiant ne mettra pas votre parole en doute)”. Bien entendu, dans l’univers concurrent des forces bourgeoises, où le racolage côtoie le mensonge, le poker menteur reste une règle d’or: “De façon générale, il faut répondre à leur mauvaise foi par de la mauvaise foi mieux placée, et surtout se concentrer sur nos idées et notre programme pour accrocher les étudiants.” Tout est dit ! Encore une fois, ces “préceptes” ne sont pas spécifiques à l’UNEF et ne peuvent être que le produit de l’idéologie dominante, celle d’une classe qui doit mentir pour assurer un ordre social garantissant sa domination.

WH – Courant Communiste International

1) Déjà commenté par nous: voir RI no 381, juillet/août 2007.

2) L’intervention peut être consultée à l’adresse suivante : http://forum.luttes-etudiantes.com/viewtopic.php?f=2&t=…15365

3) Cette citation et les suivantes proviennent du texte: “Consignes de l’UNEF aux militants au sujet des autres formations”.