La France a peur. Elle est angoissée. C’est du moins ce que nous dit Henri Guaino sur le site du Monde (17.02.09) :

« La crise économique génère beaucoup d’angoisses et de souffrances sociales, mais aussi un grand sentiment d’injustice parce que ceux qui souffrent ont le sentiment de payer à la place des responsables. C’est une situation dangereuse qui offre un terreau favorable à tous les extrêmes. On sait où peut mener l’anticapitalisme extrémiste. C’est pourquoi le combat pour la moralisation du capitalisme est si important ».

Dépolitiser un contexte est une vieille arme rhétorique. Si les français descendent dans la rue, ce n’est pas parce qu’ils ressentent « beaucoup d’angoisses » ; mais bien pour dénoncer la politique du gouvernement, celle qui démantèle l’État Providence, qui garantissait plus de sécurité et de sérénité face à l’avenir. Si la crise provoque effectivement des « souffrances sociales », la politique d’Henri Guaino qui, rappelons-le, est conseiller de Nicolas Sarkozy, en provoque également.
Il s’agit bien, une fois encore, de balayer des revendications politiques pour les substituer par de funestes considérations : qui le pouvoir d’achat, qui l’angoisse légitime des français ou qui l’incompréhension, comme en 2005 sur le TCE (« Nous devons être plus pédagogique sur les réformes »).

Le pouvoir doit faire face à deux impératifs majeurs : démanteler l’État Providence (ce qu’ils appellent « les réformes ») et sortir de la crise. Le tout sans émeutes et avec le sourire. D’où ces appels à la morale. Souvenons nous des mots de Léo Ferré à propos de la morale : « ce qu’il y a d’encombrant avec la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres». Le pouvoir nous met en garde contre l’extrémisme, mais pas contre l’agrandissement du parc pénitentiaire et le rôle majeur des syndicats. Leur rôle de chien de garde est abordé sans plus de forme sur le site du Monde (18.02.09) :

« Mais, en temps de crise et de tourmente sociale, même si celle-ci n’est pas généralisée et exacerbée comme dans les départements d’outre-mer, M. Sarkozy a plus que jamais besoin des syndicats. Sans eux, en particulier les cinq confédérations dites « représentatives », le risque de débordement social est réel.

La demande de l’Élysée est double. Sa priorité reste que les syndicats négocient et aident à la transformation du modèle social français. Dans l’urgence de la crise, cela passe d’abord par l’augmentation de l’efficacité des protections sociales. Pour cette première tâche, il sait pouvoir compter notamment sur la CFDT qui n’a jamais caché sa volonté réformatrice et sa disponibilité. Mais le chef de l’Etat sait aussi que les organisations syndicales doivent remplir leur fonction « tribunitienne », comme l’appelle M. Soubie. En clair, mieux vaut une journée d’action, celle du 19 mars prochain, cadrant l’ensemble des mécontentements, que des explosions de colère et des revendications secteur par secteur ».

La situation, pour qui sait la lire, indique donc le chemin à suivre. Face à une droite qui se dit « décomplexée » pour ne pas se dire extrême. Face à des syndicats qui n’ont plus d’existence que pour « fluidifier » les rapports sociaux. Face à des gens qui s’arrogent le pouvoir, l’argent, les médias, démantèlent ce que nos parents avaient construit… et viennent nous faire la morale et nous traiter d’extrémiste…

Comme l’analyse Julien Coupat, dans un entretien au Monde encore (25.05.09) : « Nous vivons actuellement, en France, la fin d’une période de gel historique dont l’acte fondateur fut l’accord passé entre gaullistes et staliniens en 1945 pour désarmer le peuple sous prétexte d' »éviter une guerre civile ». Les termes de ce pacte pourraient se formuler ainsi pour faire vite : tandis que la droite renonçait à ses accents ouvertement fascistes, la gauche abandonnait entre soi toute perspective sérieuse de révolution. L’avantage dont joue et jouit, depuis quatre ans, la clique sarkozyste, est d’avoir pris l’initiative, unilatéralement, de rompre ce pacte en renouant « sans complexe » avec les classiques de la réaction pure – sur les fous, la religion, l’Occident, l’Afrique, le travail, l’histoire de France, ou l’identité nationale […] Dans la sphère de la représentation politique, le pouvoir en place n’a donc rien à craindre, de personne. Et ce ne sont certainement pas les bureaucraties syndicales, plus vendues que jamais, qui vont l’importuner, elles qui depuis deux ans dansent avec le gouvernement un ballet si obscène. Dans ces conditions, la seule force qui soit à même de faire pièce au gang sarkozyste, son seul ennemi réel dans ce pays, c’est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires. Elle seule, en fait, dans les émeutes qui ont suivi le second tour du rituel plébiscitaire de mai 2007, a su se hisser un instant à la hauteur de la situation. Elle seule, aux Antilles ou dans les récentes occupations d’entreprises ou de facs, a su faire entendre une autre parole ».

L’extrémisme est donc bien du côté d’un système qui rend possible la destruction même de notre lieu de vie, qui broie des vies, qui expulse des étrangers ou qui enferme des opposants. L’espace politique ne croyant plus ni aux partis de gauche, ni aux syndicats va donc être amené à se développer davantage. Il s’agira d’explorer des formes de luttes non instituées. Nous devrons nous vivre masse et burin, pourfendre ce que nous haïssons, et constituer ce que nous rêvons.

Nous seront par-là même la cible du pouvoir qui devra discréditer des formes de luttes et d’oppositions lui échappant et ne servant pas ses intérêts. Par là même, préparons nous à un certains regain de tension…