Nous publions ci-dessous des extraits du compte-rendu d’une réunion organisée par des contacts du CCI et qui s’est tenue à Paris le 23 mars à Paris. Ce compte-rendu a été réalisé par quelques-uns de ces contacts eux-mêmes. Deux questions ont été débattues, “La religion est-elle l’opium du peuple ?” et “Le capitalisme peut-il surmonter ses crises ?”. Mais, pour des raisons de place, ces extraits ne traiteront que de la première question en débat.

Sur une invitation du CCI, les contacts de l’organisation et les militants ont partagé une journée de réflexion autour de deux questions choisies par les participants dans une liste proposée.

Après avoir pris ensemble un bon petit déjeuner (…), les participants ont entamé la réflexion sur la première question : la religion est-elle l’opium du peuple ? Quelle attitude adopter face à elle ? Un participant a introduit le sujet par un court exposé. La discussion qui suivit fut très dynamique dans un climat très chaleureux et fraternel. Un camarade a souligné le fait que les interventions allaient toutes dans le même sens : la clarification, qu’il ne s’agissait nullement pour les participants de se faire valoir par des interventions pompeuses mais simplement de répondre aux questions soulevées par le débat. L’ensemble de la salle semblait enchantée par la discussion qui fut très instructive tant au niveau de la qualité du débat que sur le fond. (…)

La religion est-elle l’opium du peuple ? Quelle attitude adopter face à elle ?
Certains camarades plus anciens en politique (…) ont rappelé que ce thème ne faisait pas partie des discussions politiques auxquelles ils étaient accoutumés. Une camarade a même déclaré : “C’est la première fois depuis que je connais le CCI qu’on discute de la religion.” (…)

Nous avons dans un premier temps tenté de comprendre l’origine des croyances religieuses et les raisons de leur recrudescence aujourd’hui. La discussion a permis de mettre en évidence que l’homme a développé une pensée mystique afin de faire face à l’inconnu d’une vie et d’un environnement en mouvement constant. Les camarades ont également montré que la religion en tant que telle permet de cristalliser les peurs et les ambitions des hommes face aux sociétés de classes de plus en plus effrayantes dans leur période de décadence. “On assiste à une perte de perspective, donc les populations cherchent à se rassurer face à l’impasse dans laquelle elles se trouvent”. Une camarade a précisé à ce propos qu’“il ne faut pas oublier tout ce qui est ésotérique qui participe à ce sentiment de croyance à l’irrationnel. On ne sait plus où est le réel et où est le rêve. Certains enfants ne font plus de différence entre la télévision et la réalité. C’est une conséquence de la décomposition”.

Etant dans la phase de décomposition de la société capitaliste, nous voyons les religions vivre une seconde jeunesse. En effet, la discussion a mis en évidence un fait qui n’avait pas été soulevé dans l’exposé : “Comme aujourd’hui il n’y a plus de valeurs, on se réfugie dans la religion”. (…) Plusieurs interventions ont précisé que la situation n’est pas homogène partout dans le monde et à toute époque. “L’ascendance marque un recul de la religion ; la décadence du capitalisme montre une remontée de la religion”. C’est dans ce cadre que certains camarades ont montré le lien très important qui existe entre la religion, la morale, l’Etat et le mode de production. Un camarade a d’ailleurs montré qu’“il y a alors une sorte de recours à la religion [dans la période d’ascendance du capitalisme] avec l’idée de créer quelque chose d’idéal. On assiste à un retour du religieux vers 1830 en France, car la bourgeoisie en a besoin pour contrôler la classe ouvrière, mais aussi pour justifier son propre mode de domination et justifier la déchéance d’un mode de domination qui devait être parfait !”.

Ainsi la discussion a mis en évidence que la religion est non seulement un refuge pour les hommes mais qu’elle est également un outil que le capitalisme a finalement intégré pour maintenir son mode de domination par la division et la mystification. “Les antagonismes d’ordre politiques ou de classe ont de tout temps été recouverts du drap religieux (guerres de religions entre protestants et catholiques, etc.) Derrière, il y avait d’autres enjeux. La religion était l’habillage. Aujourd’hui : c’est pareil avec Bush.”

Alors face à la montée de l’influence de la religion, comment réagir ? La religion est-elle un frein à la lutte de classe ? Une camarade a rappelé l’épisode de 1905, où les manifestations ouvrières avaient à leur tête le pope Gapone, comme point de départ pour tenter de répondre à cette question : “Ces formes idéologiques qui ont un poids réel n’ont pas empêché la première vague révolutionnaire de l’histoire et la création des soviets. C’était un exemple pour montrer que, quel que soit le poids de ces religions, l’Homme pourra faire quand même la révolution et pourra aller au-delà de ça”.

Un camarade sceptique face à cet argument a montré que “… Par rapport à 1905, il faut faire attention, car il y a une évolution historique. Il y a une évolution des rapports ouvriers et des rapports de pouvoir (…), la situation n’est donc pas la même qu’en 1905. Aujourd’hui, on ne peut pas envisager un militantisme allant de pair avec la religion, même si c’était possible il y a cent ans”. Ce à quoi un autre camarade a répondu que “si aujourd’hui la bourgeoisie peut utiliser la religion pour dévoyer la classe ouvrière du combat de classe comme le pope devant les ouvriers en 1905, elle le fera à nouveau (elle le fait déjà avec le Hamas). Les camarades ont rappelé que dès le départ, les marxistes étaient très critiques à l’égard de la religion : Marx la considérant comme le soupir de la créature opprimée”.

Un camarade a d’ailleurs expliqué qu’il ne s’agit pas d’appliquer à l’égard de la religion “une tolérance aveugle” mais bien la méthode marxiste qui vise et à comprendre et à critiquer de manière à avancer. Plusieurs camarades ont ainsi dénoncé l’attitude d’anarchistes bouffeurs de curés qui s’acharnent à condamner la religion de façon abstraite comme le montre l’exemple donné par un camarade : “Bakounine qui critiquait Marx parce qu’il était juif, donc tout ce qu’il disait était empreint de juiverie.”

Ce qui s’oppose clairement à l’attitude des marxistes comme le montre une camarade en rappelant le témoignage “d’une Russe qui a appartenu au Parti bolchevique rendant compte d’une expérience, en 1912, en Italie du Sud. C’est une période très importante d’effervescence des associations ouvrières. A l’issue de ces meetings ouvriers, un maçon très croyant, non gréviste, non socialiste, s’est fait abattre par la milice. Quand des ouvriers meurent ainsi, il y a un petit discours en hommage au gréviste mort. Mais là, il y a eu une grève générale, avec aussi un grand office religieux. Fallait-il laisser le curé du village rendre un dernier hommage ? Sa réponse : oui (contrairement à l’avis de beaucoup de socialistes). Le lendemain, la presse a salué le respect des socialistes pour le culte”.

Ainsi un camarade explique que “ce qui ressort de la discussion : c’est l’Homme qui fait la religion, c’est l’Homme qui est aliéné et qui ne s’est pas trouvé. C’est pourquoi, le combat contre la religion s’inscrit dans une lutte plus globale contre la société. Donc on ne peut que rejeter la vision anarchiste (rejet total de la religion). Les anarchistes posent la question de la religion comme une question de la raison pure. Les marxistes, eux, posent la question sur le plan matérialiste.” Il a été montré que les révolutionnaires dès 1917 étaient très clairs sur cette question : attaquer la religion de front serait vain et irait à l’encontre des buts de ces derniers.

Grâce à de nombreux exemples donnés par les intervenants telles que celui des femmes ouvrières qui, pour pouvoir discuter avec des femmes musulmanes, acceptaient de porter le voile en Russie en 1917, il est apparu très clairement que réprimer les croyants ou les attaquer dans leur foi n’était en aucune manière une façon pertinente de régler cette question et de faire avancer la lutte de classe. C’est bien de l’inverse dont il s’agit : c’est grâce au développement de la lutte des classes que la réflexion peut se libérer de toute emprise mystique : “Il faut donner des réponses aux gens, donner de vraies perspectives plutôt que de démolir les fausses réponses”. C’est en changeant la société, en combattant les causes des croyances que la religion sera de moins en moins présente dans la vie et la pensée humaine.

En fin de discussion, nous sommes revenus sur la question de l’utilité de la religion dans le capitalisme. Une camarade explique qu’“il faut faire attention quand on parle de la religion. Parfois, certains camarades font des raccourcis en disant que la bourgeoisie maintient la religion pour mystifier la classe ouvrière. Mais la bourgeoisie a aussi besoin de se mystifier elle-même. Elle l’a intégrée et conservée, elle a besoin aussi de justifier l’écran de fumée qu’elle crée”.

(…)

A la fin de cette discussion restaient de nouvelles questions auxquelles nous n’avons pas eu le temps de répondre : “Est-ce que le renforcement de la religion n’est pas une réaction à la montée de la lutte de classe ?”, “la question des différences entre les religions. La question des différences entre extrémistes kamikazes et croyants. La question de : quelle attitude adopter face à cela.” (…)

Enfin pour conclure ce petit bilan, nous tenons à revenir sur la forme du débat choisie pour cette journée. Après les exposés, les participants ont choisi un présidium chargé de prendre les tours de parole et de faire attention à l’heure. Quelques jeunes peu habitués à débattre dans un cadre se sont questionnés quant à l’efficacité du tour de parole. Ils reconnaissent que parfois ils avaient envie d’intervenir pour répondre à l’intervention en cours mais comme il fallait attendre cela leur paraissait ne plus valoir la peine. (…) De manière générale, ils se sont sentis plus libres de s’exprimer que dans les réunions publiques (…).

Voici un extrait de la synthèse du dernier tour de table : “Ce tour de table a été très riche à l’image du débat : plein d’interventions qui ont soulevé beaucoup de questions qui partaient dans tous les sens au départ. (…) Pas de sentiment de jugement, de langue de bois. (…) Nous avons évoqué la nécessité de s’adapter à celui auquel on s’adresse. C’est une des qualités des révolutionnaires. On est parti de préoccupations concrètes. (…) Ce qui compte c’est l’unité. C’est un pas énorme pour la clarification de la conscience !” (…) L’ensemble des participants souhaitaient réitérer cette expérience fort enrichissante.

Des sympathisants du CCI.

Courant Communiste International