Face à l’annonce d’une énième “loi de l’éducation” en Catalogne, tout le secteur de l’enseignement s’est mobilisé. Les instituteurs des écoles maternelles et primaires, les professeurs des collèges, des lycées et des universités, le personnel administratif et des services…, tous sont entrés en grève pour exprimer leur indignation et leur refus de voir une nouvelle fois leurs conditions de travail se dégrader. Cette loi signifie en effet une “restructuration” profonde du secteur, synonyme de réduction drastique des budgets de l’éducation :

– coupes claires dans les sommes que l’État octroie directement aux établissements en les faisant dépendre des “rendements” obtenus (entendre le taux de réussite des élèves aux examens) ;

– création de centres de première, deuxième et troisième catégorie qui fonctionneront selon une gestion particulière, selon le statut de l’établissement, le tout défini par un “projet éducatif” présenté par “l’équipe dirigeante de l’établissement”. En clair, tout ce verbiage signifie sur le terrain l’accentuation des différences entre les quelques écoles d’élite et l’immense masse des écoles poubelles ;

– incitation, donc, à la concurrence entre les établissements et accentuation des différences salariales entre les professeurs selon leurs “résultats” ;

– multiplication d’emplois précaires ou en sous-traitance dans ce secteur.

Pour couronner le tout, cette attaque est accompagnée d’un discours nauséabond cherchant à culpabiliser les enseignants en leur faisant porter la responsabilité du taux élevé d’échec scolaire. Il est vrai que ces travailleurs sont habitués à ce genre de propagande crapuleuse, eux à qui on ne cesse de répéter qu’enseigner est une “vocation”, qu’ils leur faut donc faire preuve de “bonne volonté” dans l’intérêt et pour la réussite scolaire de “leurs élèves”. Résultat : toujours plus d’heures de travail dans des conditions toujours moins supportables.

Ainsi, si de multiples grèves ont éclaté en janvier et février, ce n’est pas simplement en réaction à cette nouvelle attaque inique. Ce fut en réalité la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Par exemple, en 2006, la fameuse “sixième heure” a été mise en place (c’est-à-dire une heure supplémentaire de cours par jour pour les élèves), ce qui a chamboulé tout l’horaire de travail des instituteurs en le rendant complètement dément et surréaliste. Les élèves restent maintenant une heure de plus à l’école, sans activité précise et les enseignants doivent adapter leur travail, leurs horaires et leur vie quotidienne et familiale à cette nouvelle exigence.

À cela s’ajoute l’augmentation constante du nombre d’élèves avec des besoins éducatifs spécifiques et le manque de moyens techniques et humains pour s’en occuper vraiment. Sans parler de la dévalorisation des salaires des enseignants d’au moins 20 % ces dix dernières années ! Mais le plus pesant est peut être cette dégradation du climat social avec la multiplication des agressions tous azimuts entre élèves et contre des professeurs (parfois filmées avec des portables et mises sur Internet), des élèves perdus, souvent issus de familles déstructurées et frappées de plein fouet par le chômage et la précarité.

Bref, ces luttes ont éclaté contre une pluie d’attaques tombée sur un sol déjà bien détrempé. Face à ce mécontentement grandissant, les syndicats étaient donc contraints d’appeler à la grève, afin de garder le contrôle de la situation et de “lâcher la vapeur” pour faire retomber la pression (1). Et pourtant, ils ont tout de même été surpris par la riposte claire et déterminée des travailleurs : la plupart des écoles sont restées sans instituteurs et pratiquement sans élèves malgré l’obligation du service minimum. Il y a eu de nombreuses manifestations dans les grandes villes ; rien qu’à Barcelone, il y a eu autour de 50 000 manifestants. Lors de la grande manifestation du 14 février, certaines pancartes brandies exprimaient une grande lucidité. On pouvait par exemple y lire : “Il est impensable qu’il puisse exister une école comme il faut pour les élèves et pour les enseignants sous la logique capitaliste” et une autre proclamait : “Nous sommes dans la manif, mais nous ne marchons pas derrière les syndicats”.

C’est des syndicats qu’est partie officiellement la convocation de ces mobilisations et ils ont constamment gardé le contrôle de la situation. Cependant, la colère et la combativité des travailleurs s’expriment en profondeur. Mais ceux-ci doivent transformer collectivement cette dynamique en prenant l’initiative et le contrôle de leur propre lutte, en l’arrachant aux syndicats, parce que tant que ceux-ci auront ces luttes entre leurs mains, ils ne feront que les saboter, les freiner et les isoler. Le ras-le-bol, la solidarité, l’initiative, doivent se concrétiser en développant la lutte autonome des travailleurs, à travers des assemblées générales, des manifestations massives où peut s’exprimer le caractère unitaire de leur combat de classe, où se forge la conscience commune et le contrôle collectif de la lutte.

Il ne s’agit pas là d’un vœux pieux mais d’une possibilité réelle. Les sentiments de colère et de combativité ne sont pas particuliers au secteur de l’enseignement, ils sont aussi palpables dans de nombreuses autres branches comme la santé, les transports publics, la justice, etc. Dans toute l’Espagne, il y a d’ailleurs eu ces derniers mois des manifestations du personnel de la santé (médecins et infirmières), des chauffeurs d’autobus, des ouvriers de chez Nissan…

Solidarité avec tous les travailleurs en lutte !

Acción proletaria,
organe de presse du CCI en Espagne

1) Le comble, c’est qu’une nouvelle fois, ces attaques avaient été négociées avec l’administration catalane par ces mêmes syndicats qui, maintenant, appellent à la lutte. Ils avaient mené ces négociations, ce qui est habituel, sans la moindre possibilité de débat entre les travailleurs. Un exemple : le PNE (Pacte national d’éducation).