Les cinq dernières années ont témoigné d’un développement international de la lutte de classe. Ces luttes se sont développées en réponse à la brutalité de la crise capitaliste et à l’aggravation dramatique des conditions de vie et de travail à travers le monde.
Et en ce moment même en Allemagne, nous sommes les témoins du début d’une nouvelle étape de cette dynamique. Dans ce principal pays industriel de l’Europe, de nombreuses grèves se développent dans les secteurs les plus importants de l’économie allemande. Licenciements massifs, baisses brutales des salaires et aggravations drastiques des conditions de travail sont le ferment du développement de ces luttes dans un pays où la classe ouvrière était réputée, il y a quelques années encore, pour avoir un des niveaux de vie les plus élevés d’Europe.

Une nouvelle année de mécontentement
L’année 2008 avait commencé avec l’obligation de la compagnie de chemin de fer Deutsche Bahn (DB) de garantir dès fin janvier une augmentation de salaire de 11 % et une heure de réduction de la semaine de travail pour les conducteurs de train. Cela avait été le résultat de 10 mois d’un conflit que ni la mise hors-la-loi des grèves au niveau national ni la division au sein des travailleurs de DB par les syndicats n’avaient pu éroder.

Cette grève avait été suivie par une forte mobilisation dans la région de la Ruhr au sujet de l’arrêt de la production de téléphones mobiles chez Nokia. Une journée d’action en solidarité avec les employés de Nokia à Bochum a vu par exemple la mobilisation dans les rues d’ouvriers de différents secteurs et l’envoi de délégations de différentes parties de l’Allemagne. En particulier, les ouvriers des usines automobiles Opel de Bochum se sont mis en grève en soutien aux “Nokianers” ce jour-là. Le rôle de l’usine automobile Opel à Bochum est loin d’être négligeable car il est vrai que les employés de Nokia se sont sentis démoralisés et intimidés par la brutalité provocatrice avec laquelle la fermeture de l’usine avait été annoncée. Et ce fut dans une large mesure l’intervention massive des ouvriers d’Opel à Nokia, appelant à la lutte et leur promettant de se joindre à eux dans une grève éventuelle, qui a rendu possible la mobilisation qu’on a pu voir.

Mais c’est l’ouverture des négociations salariales annuelles qui a déclenché dès mi-février de nombreuses expressions de combativité ouvrière brisant le mythe du “modèle de consensus social allemand” cher à la bourgeoisie. Les grèves tournantes des ouvriers de la métallurgie ont été suivies d’arrêts de travail de dizaines de milliers d’ouvriers du secteur public partout dans le pays. Depuis janvier, la tension ne cesse de monter. Aussi, le 5 mars, le syndicat Verdi appelait les employés des hôpitaux, y compris les médecins, les ouvriers des lignes des trains et de transports régionaux (non gérés par DB), ceux des crèches, des caisses d’épargne et de nombreuses administrations publiques, des aéroports, pilotes inclus, à se mettre en grève et à manifester, exigeant une augmentation de salaire de 12 %. Or le gouvernement ne propose d’accorder qu’une augmentation de 4 %, alors que les salaires réels ont officiellement baissé de 3,5 %, assortie d’une augmentation de la durée de travail hebdomadaire de deux heures !

Verdi était initialement prêt à faire passer la pilule de cet accord aux salariés, mais la force de l’hostilité envers l’accord et les risques très réels de débordements des syndicats ont été tels qu’il a été contraint de faire marche arrière et de s’efforcer de prendre la tête du mécontentement en appelant à faire grève, mais région par région.

La grève des transports locaux à Berlin
Mais c’est surtout la grève totale illimitée des ouvriers des transports locaux de Berlin qui, depuis la fin de la première semaine de mars, a démontré que, cette année, les “rounds” de négociations salariales mettent directement en cause l’offensive capitaliste contre la classe ouvrière. Cette grève de 10 000 ouvriers – déjà la plus massive et la plus longue de ce secteur de l’histoire allemande de l’après-guerre – a manifesté une combativité et une détermination qui ont tout de suite pris la bourgeoisie par surprise. Ce conflit a surgi à un moment où les chemins de fer allemands faisaient une dernière tentative pour rejeter les concessions qu’ils avaient été contraints de faire envers les conducteurs de DB qui menaçaient alors de se mettre à nouveau en grève, et à un moment où les négociations dans le secteur public étaient sur le point de capoter. Cette grève des transports municipaux, excepté les trains de banlieue (S-Bahn, qui appartient à la DB), a été soigneusement isolée du reste des grèves qui se développaient sur l’ensemble du pays et des autres secteurs à Berlin même. Dans le contexte de luttes simultanées qui se déroulaient dans l’ensemble de l’Allemagne sur les mêmes revendications salariales, et après les fortes expressions de solidarité existant dans la classe ouvrière comme on l’a vu autour de la fermeture de Nokia, patrons et syndicats ont dû tirer le signal d’alarme. Pour faire diversion, Verdi planifiait une journée d’action un samedi vers la fin février pour tenter de faire passer l’accord passé entre lui et BVG, patron des employés des transports locaux, accord prévoyant que les salaires seraient gelés jusqu’en 2007, avec des augmentations uniquement pour ceux qui avaient été embauchés depuis 2005. Mais la colère des ouvriers était telle qu’ils se mirent en grève 24 heures avant la date prévue, sans attendre aucune “permission” des syndicats. L’indignation fut si forte, non seulement sur les salaires, mais aussi sur la tentative évidente de diviser les ouvriers entre “jeunes” et “vieux”, que Verdi a abandonné sa requête d’un “accord négocié et cordial” et a retourné sa veste en un clin d’œil en appelant dans de grands discours radicaux à faire grève… mais tout en s’efforçant, en réalité, d’enfermer les ouvriers dans “leur” lutte et de les isoler de leurs frères de classe. Ainsi, alors que le mouvement de grève dans les aéroports touchaient massivement Stuttgart, Cologne, Bonn, Hambourg ou Hanovre, Verdi, sous prétexte de ne pas “saboter” le salon allemand du tourisme, faisait en sorte que l’aéroport de Berlin ne connaisse ni grève ni débrayages. De la même façon, devant le développement d’un tel contexte, DB faisait rapidement marche arrière quelques heures avant la reprise d’une grève générale des conducteurs de trains qui traversent Berlin, grève qui menaçait du fait des tentatives de la direction de remettre en cause les accords sur les 11% et la diminution du travail promise fin janvier. Cette grève a montré un début de remise en question des syndicats et a conduit à une confrontation ouverte avec la coalition qui dirige Berlin entre l’aile gauche de la social-démocratie et le “Linkspartei”. Ce dernier, qui est sorti du parti stalinien SED, anciennement à la tête de l’Allemagne de l’Est et gagnant à présent du terrain dans l’ex-Allemagne de l’Ouest avec l’aide de l’ancien leader du SPD, Oskar Lafontaine, a dénoncé la grève comme une expression de la “mentalité privilégiée” des Berlinois de l’Ouest “dorlotés” !

Signe de cette évolution, de nombreux blogs sur Internet sont apparus, dans lesquels les ouvriers du rail ou encore des pilotes et des personnels hospitaliers exprimaient leur admiration et leur solidarité avec la grève de BVG. Cela est très important car dans ces secteurs, où le poids du corporatisme est particulièrement fort et puissamment alimenté par les syndicats, ils expriment par-là clairement une profonde tendance vers l’unité et la solidarité dans la période qui vient.

Wilma – Courant Communiste International