Jamais depuis l’état d’urgence, décrétée par Indira GANDHI (1975-1977), la chasse au dissident n’a été aussi intense et discrète.

Les successives lois d’exception (TADA, POTA, etc.) et l’arsenal juridique hérité du Raj britannique permettent – outre de classer des territoires entiers « disturbed aera » – de criminaliser les idées et de faire d’un honnête homme, un terroriste, ou pour le moins, un suspect.

Le journal « Tehelka », dans sa dernière livraison, du 22 mars 2008, donne l’exemple de quatre personnalités, inconnues en Europe, victimes de ce que le magazine indien appelle « la guerre contre les sympathisants».

THE WAR AGAINST ‘SYMPATHY’, REPORTS SHOBITA NAITHANI

LA GUERRE CONTRE LES SYMPATHISANTS

Traduction libre d’HIMALOVE

Les récentes arrestations de cinq journalistes témoignent d’une recrudescence d’hostilité, de la part de l’appareil d’état indien, à l’égard des intellectuels, qui développeraient, dans leurs analyses, des points de vue, proches de l’extrême gauche.

LE 20 DÉCEMBRE 2007 le Premier ministre Manmohan SINGH alors qu’il s’adressait à l’ensemble des Chief Minister brossait un tableau dramatique de la « sécurité intérieure » :

« Les Naxalites (maoïstes indiens) sont entrain de saboter l’infrastructure économique vitale du pays ; ils s’attaquent au transport, barrent les routes et ralentissent toute activité économique… Ils sont par ailleurs engagés dans les combats locaux relatifs à la propriété des terres et autres droits…

Je l’ai déjà dit : l’extrême-gauche est probablement le plus grand et seul péril que nous rencontrons… (…) Nous ne pouvons vivre en paix tant que nous n’avons pas éliminé ce virus…»

Dans son discours, le Premier ministre indien assure les états fédéraux que d’énormes moyens financiers seront mis en oeuvre afin « d’écraser les têtes du mouvement maoïste ».

Cette déclaration de guerre du Premier ministre à l’encontre d’intellectuels « maos », censés diriger, depuis d’obscures salles de rédaction, des cohortes de va-nu-pieds armés de mousquets, vient à la suite d’une répression policière, qui visait des journalistes et des militants des droits de l’homme.

Au pays du mahatma GANDHI et du docteur « dalit » AMBEDKAR, les instruments juridiques pour une telle répression ne manquent pas : elles s’appellent, entre autres, « Unlawful Activities (Prevention) Act, 1967 » ; « The Chhattisgarh Special Public Security Act 2005 » et « The Andhra Pradesh Public Security Act 1992 ».

Ces lois scélérates autorisent les forces de l’ordre à arrêter quiconque affiche des idées contraires au gouvernement ou semble appartenir à une organisation terroriste.

Ce dispositif préventif est, bien sûr, en parfaite contradiction, avec la constitution, qui garantit, sur le papier, le droit à la libre opinion.

Parmi les nombreuses personnes arrêtées, on note des journalistes (ou plutôt des ex-journalistes*) tels Prashant RAHI, Govindan KUTTY, Prafull JHA, Pittala SRISAILAM et Lachit BORDOLOI.

« Leur crime » : être Naxalite ou sympathisant – à l’exception de BORDOLOI, accusé d’accointance avec les séparatistes assamais (ULFA).

*À souligner les journaux nationaux de langue anglaise tels « Times of India », « Hindustan Times », « India Express », « The Stateman », etc. ne défendent guère leurs collègues embastillés.

Le silence de la presse dominante, en langue anglaise, est assourdissant.

Cette vague d’arrestation, dans le milieu des journalistes et dans celui des militants des droits de l’homme – lire le cas du docteur Binayak SEN, au Chhattisgarh (1) – montre qu’un modèle de censure, digne des ex-pays de l’Est, peut co-habiter avec un système néo-libéral.

Dans la plupart des affaires, il n’y a aucun acte de violence, retenu contre les inculpés, simplement des écrits ou des soupçons d’appartenance.

On reproche aux accusés « une empathie…».

Le travail sémantique de l’Intelligence bureau prend le pas sur celui de la police et des juges, qui ne sont là que pour entériner des décisions politiques, prises au sommet.

Ces arrestations arbitraires, qui feraient honte à n’importe quel juge honnête, révèlent l’intolérance d’un pouvoir à l’égard de toute personne qui se mettrait au travers la route d’une politique économique, au service des multinationales.

On assiste, aujourd’hui, en effet, en Inde, à une nouvelle Partition du territoire avec ses migrations, ses déportations, ses disparitions.

Les dommages collatéraux sont immenses.

Les gros moyens mis en œuvre par l’état indien et les multinationales ont chassé des centaines de milliers de villageois de leur village, en Orissa, suicidé des milliers de fermiers, au Pendjab, assassiné, au Gujarat, des communautés entières.

Voici succinctement les cas de cinq journalistes qui n’ont fait que leur travail : témoigner d’une réalité monstrueuse ; ils sont, aujourd’hui, prisonniers d’opinion en Inde.

PRASHANT RAHI

À 48 ans, ce militant des droits de l’homme était correspondant du journal « The Statesman », dans la région himalayenne de l’Uttarakhand.

Officiellement, Prashant RAHI est arrêté le 22 décembre 2007, dans la forêt de Hanspur Khatta.

La police affirme que l’homme est le commandant de la zone sub-himalayenne, tenue par le Communist Party of India (Maoist).

RAHI est inculpé sous de nombreux et divers chapitres du code pénal indien, entre autres, « The Unlawfull Activities Act »…

Lorsqu’on demande au Senior Superintendent de Police de Rudrapur, PVK PRASAD, des détails sur l’arrestation de RAHI, celui-ci répond sèchement :

-« Allez lui parler en prison ! je ne suis pas supposé parler des charges qui pèsent sur lui. »

La fille de RAHI, Shikla, qui travaille et vit à Mumbay, et qui a pu entrevoir son père à la station de police de Nanak Matta d’Uddham Singh Nagar District, le 25 décembre 2007, est plus loquace.

-« En fait, papa a été arrêté le 17 décembre 2007 à Dehra Dun. Le jour suivant, on l’a conduit à Haridwar, où il a été battu et menacé…

Les policiers lui ont dit qu’ils allaient lui remplir l’anus de kérosène ! Ils lui ont dit qu’ils allaient le forcer à me violer en leur présence ! Puis, ils ont écrit sur le livre du poste de police que mon père a été arrêté le 22 décembre, dans la forêt de Hanspur Khatta. »

La nouvelle de l’arrestation du journaliste « naxalite » Prashant RAHI tombe deux jours après la déclaration du Premier ministre.

« Ce qui permet au Chief Minister de l’Uttarakhand de demander à New Delhi 208 crores de roupies afin de moderniser les forces de police… » écrit sardoniquement Hardip, un collègue de RAHI, éditeur du « Garhwal Post ».

Hardip a le sentiment que son ami, Prashant RAHI, a été choisi et arrêté juste à cause de sa personnalité.

-« C’est un gauchiste, militant des droits de l’homme, qui s’impliquait personnellement dans tous les combats, par exemple la lutte contre le barrage Tehri Dam. Ils l’ont arrêté parce qu’ils mobilisaient autour de lui les gens contre les mafias des landlords, des promoteurs et celle des barons des liqueurs avec lesquelles les flics, ici, sont très liés. Je suis heureux qu’il soit encore vivant car la police aurait pu lui planter le canon d’un AK-47, dans le ventre, et l’abattre lors d’une fausse embuscade ».

Prafull JHA

Selon les mots de Rajendra SAIL, président du People’s Union Civil Liberties, à Chhattisgarh, « Prafull JHA est un des dix anthropologistes, les plus qualifiés pour parler des tribus forestières*; il travaillait en tant que journaliste spécialisé pour des chaînes télévisées nationales ».

*L’historien Nihar Ranjan RAY décrit les « adivasis » qui vivent au cœur du Chhattisgarh comme « les premiers citoyens du continent ».

Cet homme de soixante ans, directeur de « Dainik Bhaskar », est arrêté le 22 janvier 2008.

Chefs d’accusation : complicité de trafic et recel d’armes destinées à une entreprise terroriste.

Pour le Directeur général de police du Chhattisgarh, « lui et ses fils étaient payés par les Naxals pour acheter des véhicules qui convoyaient les armes et les chefs maos ; Prafull JHA traduisait aussi la littérature terroriste de la langue vernaculaire vers la langue hindi… N’appelez pas ça du journalisme !… ».

Dans ce cas, le journal local « The Daily Chhattisgarh » fait corps avec la maréchaussée coloniale et diffame Prafull JHA.

L’éditeur, Sunil KUMAR déclare à « Tehelka » :

-« Cette affaire n’a rien à voir avec les médias et la suppression de la liberté d’expression. L’homme était un agent payé par les Naxals ».

KUMAR affirme que JHA a été jeté dehors d’un journal parce qu’il détournait de l’argent.

Le président du PUCL quant à lui pense que Praffull JHA comme le docteur Binayak SEN ont été arrêtés, dans le cadre d’une vaste opération, soigneusement planifiée, à New Delhi, afin de faire taire toutes les voix qui pourraient parler de la guerre civile menée contre les populations au Chhattisgarh.

Rajendra SAIL précise : « JHA n’est pas maoïste et il serait faux de prétendre qu’il n’est pas journaliste. »

Govindan KUTTY

Le 19 décembre 2007, la police du Kerala interpelle Govindan KUTTY pour sa proximité idéologique avec le parti communiste maoïste.

L’homme a soixante-huit ans et est l’éditeur respecté du brûlot « People’s March ».

Inculpé de complicité avec une entreprise terroriste, il est relâché, sous contrôle judiciaire, le 24 février 2008.

Lorsque Govindan regagne son domicile, il trouve glissé sous la porte, un avis signé par le magistrat d’Ernakulam lequel indique que l’enregistrement du journal « People’s March » est annulé « parce qu’il contient du matériel de nature à nuire à l’image du gouvernement en relatant, de manière bienveillante, les activités du CPI (Maoist) ».

Pourquoi cette décision, aujourd’hui, sept ans après la parution du premier numéro ?

Le District Collector d’Ernakulam, APM Mohammed HANISH, tente de répondre à cette question : « Les articles du ‘People’s March’ vont à l’encontre de l’esprit de l’état indien ; la police dit qu’elle voulait interdire le magazine plutôt. Mais ils ont attendu la décision de justice et l’arrestation de KUTTY pour le faire. »

Le regard de KUTTY, sur l’affaire, est différent ; pour lui il y a une brutalisation des rapports sociaux, laquelle permet à la police de s’affranchir des procédures judiciaires normales et d’être plus prêt du nouvel « esprit de l’état indien ».

Il est facile, aujourd’hui, pour la police, d’agiter le chiffon rouge maoïste et d’arrêter quiconque entrave l’ordre néo-libéral fait de violences, de vols et d’escroqueries, à tous les étages.

– « La violence est partout, dans chaque mot prononcé : corruption, prostitution, bas salaire, travail des enfants, cast system et discrimination entre femme et homme… Je ne suis qu’un pauvre citoyen en mal de justice… » déplore Govindan.

Pittala SRISAILAM

Cet éditeur de trente-cinq ans est responsable d’une télévision en ligne Musi TV. Il est, par ailleurs, co-directeur du forum des journalistes du Telangana (Telangana Journalist Forum, TJF).

Selon lui, il a été arrêté le 4 décembre 2007. Mais d’après le registre de police, il aurait été interpellé le 5 décembre sur une route, dans le district de Prakasam, en Andhra Pradesh ; et serait porteur de dépêches pour les maoïstes.

– « J’étais parti pour interviewer des chefs maoïstes ; la police m’en a empêché et m’a inculpé au titre de l’Andhra Pradesh Security Act, 1992 ; je serais pour eux un messager naxalite. »

Pittala SRISAILAM est relâché le 13 décembre 2007.

Musi TV et TJF font du prosélytisme pour un état séparé avec l’union indienne, le Telangana, et de ce fait, sont mal vus par les autorités…

SRISAILAM et son collègue du TJF, Allam NARAYANA, voient, dans cette interpellation, une conspiration du gouvernement indien afin de faire taire toute forme d’opposition.

-« Après l’arrestation de SRISAILAM, le gouvernement accusa le forum d’avoir des liens avec les maoïstes. Or nous sommes journalistes et connaissons nos limites ; notre seul objectif est la création du Telangana au travers une lutte politique parlementaire. »

Pittala explique qu’il n’est pas inhabituel pour des journalistes du forum de travailler avec les pauvres et les déclassés ; et de rencontrer, à l’intérieur du pays, des militants maoïstes avec lesquels nous échangeons des points de vue.

– « Mais cela ne nous convertit pas autant au maoïsme. » s’empresse-t-il de dire.

Lachit BORDOLOI

Ce militant des droits de l’homme et freelance journaliste a servi de médiateur entre le gouvernement indien et les membres du mouvement séparatiste, United Liberation Front of Asom (ULFA).

Lachit BORDELOI est arrêté le 11 janvier 2008 à Mohranhat, en Assam, dans le district de Dibrugarh, pour trois chefs d’inculpation invraisemblables.

1. Préparation de détournement d’avion, à Guwahati, avec les commandos d’ULFA.
2. Recel d’armes découvertes, par la police, en 2007, à Ranja town.
3. Collecte de fonds pour un mouvement terroriste.

Quand on demande des explications quant à ces lourdes accusations, le Senior Superintendent de Police de Guwahati, VK RAMISETTI, répond :

-« Pour le détournement d’avion, nous avons eu l’information par un militant ULFA appréhendé, qui participait à l’opération dans laquelle BORDOLOI devait intervenir. »

Ce « travail » de la police est dénoncé vertement par Bubumoni GOSWANI, président d’une association des droits de l’homme, Manab Adhikar Sangram Samiti (MASS) :

-« Quelques officiels parmi la police et le gouvernement fédéral ne veulent pas que le problème ULFA soit résolu ; New Delhi a toujours versé d’énormes sommes d’argent pour contrecarrer l’activité des rebelles en Assam… Il faut entretenir le terrorisme… »

L’avocat, Bijan MAHAJAN, donne le coup de grâce aux accusations qui pèsent sur BORDOLOI :

-« Si c’était vrai, les agences de sécurité auraient dû l’arrêter immédiatement, mais elles ne l’ont pas fait… C’est simplement une opération opportuniste dont l’Intelligence bureau a le secret*… »

*Comme dans l’affaire de l’attaque du Fort Rouge, en 2000, à New Delhi et celle de l’attaque du Parlement, le 13 décembre 2001, on trouve souvent parmi les accusés des agents doubles ; les services secrets indiens, le Research and Analyses Wing, n’hésitent pas à sacrifier leur petit personnel.

Le minutage des cinq arrestations et la nature aléatoires des accusations témoignent de l’impatience du gouvernement Mohanman SINGH à résoudre toutes les oppositions, qui entraveraient le déploiement de sa politique néo-libérale.

Rassembler toutes les contradictions du régime face à une seule opposition extra-parlementaire, les Naxal, permettrait de réaliser l’Union sacrée avec le Bharatya Janata Party et éviterait la polarisation politique sur des fractures communautaires, musulman versus hindou, bhramine versus dalit ou régionales, maharatis versus migrants biharis.

De plus, au moment où l’alliance stratégique avec les Américains, sur la question du nucléaire, est remise en cause par des membres de l’United Progressive Alliance, cette stratégie anti-naxal rassure les investisseurs étrangers dont une partie des fonds sert à moderniser une armée et des forces de police pléthoriques.

Le 11ème plan de cinq ans prévoit, en effet, un budget sécuritaire de 2 500 crores de roupies, essentiellement destiné, à contrecarrer « l’épidémie naxale », en modernisant et centralisant les organes coercitifs de l’appareil d’état.

Le budget sécuritaire est quatre fois supérieur à celui du 10ème plan…

Sous le budget précédent, le programme de modernisation de la police allouait une somme de 2 crores de roupies, chaque année, aux 76 districts affectés par le Naxalisme.

Le traitement purement policier et militaire du mouvement naxal attire, bien sûr, de nombreuses critiques…

-« L’état ignore les raisons sociales de la révolte naxale pour cacher les enjeux et les pratiques des multinationales et des banques qui pillent les ressources naturelles du continent et déportent les populations» murmure un paysan endetté, qui préfère la lutte armée au suicide.

Selon Prashan BUSHAN, avocat à la Cour suprême : « Le gouvernement est entrain de stigmatiser l’ensemble des mouvements de gauche qui dénoncent les nouvelles partitions du territoire, organisées par le Grand capital, et la discrète répression des dissidents.

Arrêter de la sorte des opposants pacifiques et accepter tous les dictats du Grand capital pousseront demain de nombreuses générations de paysans et de citadins vers la lutte armée et la clandestinité.»

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1. Bientôt sur vos écrans, l’étrange affaire du docteur Binayak SEN, un
« médecin aux pieds nus, traité comme un terroriste au Chhattisgarh ».