Accueil > Revue de presse > Réalité quotidienne > Elisabeth Price : En Palestine occupée, les libertés de mon bébé disparaissent   
En Palestine occupée,
les libertés de mon bébé disparaissent
Par Elisabeth Price
Pacific News Service
26 septembre 2003

Titre anglais : My baby boy’s freedoms vanish in Occupied Palestine

Note de l’éditeur : La capacité d’une mère de protéger son enfant palestino-américain est mise en question lors de sa visite dans les Territoires occupés où les droits qui sont considérés comme allant de soi par les Américains peuvent disparaître – même pour des bébés nés aux États-Unis.
Elisabeth Price est une journaliste free-lance et la mère d’Hisham (âgé de 4 mois).
emprice@hotmail.com
     
   

Chaque mère craint le jour où ses enfants s’écarteront de sa protection. Il y a une bataille permanente entre le désir de les garder près de soi et le besoin de les laisser devenir des adultes indépendants. Je suis une nouvelle mère ayant donné naissance il y a seulement 4 mois. Mais, quand mon fils n’avait que deux mois, j’ai appris une leçon inattendue et douloureuse quand je n’ai pu le protéger des dures réalités de ce monde.

Mon fils est né à San Francisco. Il est américain. Mais il a aussi un père palestinien. Il est donc aussi palestinien. Cet été, alors qu’il était âgé de 6 semaines, il est devenu un voyageur international, avec un tout nouveau passeport américain, lorsque nous sommes partis en Palestine afin de le présenter à la famille de son père. Deux jours avant la date prévue pour notre retour aux États-Unis, l’armée israélienne nous a dit que mon bébé n’avait pas le droit de voyager avec moi avec son passeport américain. En tant que citoyen palestinien, il tombe sous les règles de l’armée d’occupation israélienne et devait avoir un passeport palestinien et obtenir la permission de l’armée israélienne pour quitter le pays.

D’un seul coup, mon fils a gagné un nouveau passeport et a perdu sa liberté. Une fois hors de Palestine, il pourra se promener autour du globe, protégé par le plus puissant gouvernement du monde. Mais dans les frontières du pays de son père, il ne peut pas voyager d’une ville à une autre sans avoir obtenu la permission d’une armée occupante.

Durant les dix jours qui suivirent, nous avions l’impression d’être en prison. La nuit, les jeeps des militaires israéliens patrouillent dans les rues. Le jour, des soldats israéliens gardent les check-points à l’extérieur de la ville, restreignant les entrées et les sorties. De l’autre côté de la colline, l’armée confisque les champs des fermiers palestiniens, et arrache les oliviers ancestraux afin de construire un haut mur de béton pour encercler les villes palestiniennes. Nous avons téléphoné chaque jour aux officiels palestiniens, mais ils étaient impuissants. L’armée israélienne contrôle tous les voyages domestiques et internationaux des Palestiniens, mais l’armée ne répondait plus à leurs appels. Je pouvais partir, mais mon fils et mon mari n’avaient pas le droit de venir avec moi.

Après beaucoup de coups de fil, des délais atroces et des nuits sans sommeil, nous avons réussi à quitter la Palestine – et j’ai appris qu’il y avait des choses desquelles je ne pourrais jamais protéger mon fils. Hors de Palestine, nous sommes américains, ensemble, égaux dans nos droits et nos libertés. En Israël et en Palestine, nous appartenons à des catégories différentes: je suis toujours américaine et j’ai la liberté, mais il est palestinien et n’a que les libertés et les droits qu’Israël décide de lui permettre. Qu’il soit âgé de 2 mois ou de 20 ans, Israël considérera toujours mon fils comme une menace sécuritaire, qui doit être contrôlée et entravée par des ordres secrets militaires et de grandes barrières. Malgré le fait que nous partageons une même nationalité, son autre citoyenneté nous sépare comme un gouffre infranchissable, le laissant échoué hors de mon atteinte dans un cauchemar d’occupation et d’esclavage.

Mais il y a un bon côté à cette contradiction existentielle. Car je crois que ce n’est qu’à travers les tragédies inhérentes à l’identité palestinienne que le jeune Hisham pourra comprendre et être inspiré par les droits et les valeurs qui font partie intégrantes de notre identité américaine – choses que les Américains de nos jours considèrent comme allant de soi.

À cause de son identité palestinienne, mon fils comprendra pourquoi les fondateurs de cette nation ont tracé les droits de leurs citoyens avec tellement de soin. Quand j’enseignerai à mon fils la Déclaration d’Indépendance et les droits civils qui sont inclus dans notre constitution, il comprendra encore mieux que la moyenne des étudiants américains qui les récitent comme une leçon apprise mécaniquement. Un Palestinien est par définition une personne sans État qui n’a pas de droits garantis, qui ne peut pas voyager librement, étudier sans interférence ou être sûr d’avoir une protection légale. En tant que Palestinien, mon fils apprendra de bonne heure que les libertés civiles sont mouvantes et que la liberté est fragile. En d’autres termes, pour les Palestiniens, les vérités décrites tellement magnifiquement par nos fondateurs ne sont pas évidentes. Sous occupation militaire, tous les hommes ne sont pas égaux et ils n’ont pas les mêmes droits inaliénables à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur.

La double nationalité de mon fils sera son premier cours sur la liberté et sur sa perte. Il ne prendra jamais les libertés civiles pour argent comptant, car il verra avec quelle facilité elles peuvent être violées et avec quelle facilité on peut justifier cela. Il comprendra que la liberté n’est pas un état naturel pour l’homme et que, par conséquent, on doit préserver les droits qui existent et œuvrer pour ceux qui sont niés. En tant que Palestinien, il peut tirer des leçons de ses ancêtres américains et pousser pour les droits inaliénables du peuple de son père. En tant qu’Américain, il peut utiliser la difficile situation de sa famille palestinienne pour rappeler à d’autres que nous sommes privilégiés dans notre liberté, mais qu’elle n’est pas garantie.

Il est possible que je ne puisse pas protéger mon fils de ce qui est pire dans le monde. Mais je sais qu’à travers sa souffrance en tant que Palestinien, il comprendra la véritable valeur de sa liberté en tant qu’Américain.

Elisabeth Price
Traduit de l’anglais par Ana Cleja
   
   
26 septembre 2003
© Solidarité-Palestine – E-mail: webmaster@solidarite-palestine.org