quand on lance une manifestation sauvage, a fortiori devant autant de flics, faut se griller. c’est pas simple, je le conçois. moi non plus c’est un role qui m’emballe pas. mais j’appelle pas a manifester. je veux dire, faire des banderoles, sortir des drapeaux, etc, c’est se donner une façade publique. c’est se griller déjà. alors tant qu’à faire autant se griller completement, lancer la manif, et au bout de trois minutes, ranger les banderoles et appeler a la dispersion (hop, vous etes plus responsables) et laisser le mouvement continuer… de ce que j’ai compris du pourquoi les orgas ont pas lancé la manif, c’est parce qu’il y avait trop peu de monde. hors les gens sont partis parce qu’après l’AG y a eu 30 minutes de rien du tout. “y avait trop peu de monde” donc les orgas voulaient pas prendre la “responsabilité” des arrestations et autres matraquages. on peut me taxer d’élitisme et de condescendance quand je dis “une foule part pas en manif sauvage toute seule, faut la lancer après ça continue tout seul”, moi je trouve que se sentir responsable de l’arrestation de quelqu’un-e sous pretexte qu’on l’a invité a venir a une manif, c’est pire. c’est déresponsabiliser les gens qui viennent (pour la manif ou pour la casse).

donc je suis faché contre ces orgas, qui organisent mais qui assument pas. qui promettent des trucs qu’elles peuvent pas tenir, ou qu’elles veulent pas tenir, ça dépend… qui appellent a une manif et qui la lancent pas, attendant que la foule se casse pour avoir une excuse en or pour pas partir en cortege. qui font de beau discours où les gens crient “ouaaaais” à chaque phrases (“parce que ça peut plus durer!!!”) et qui disent après qu’il faut pas manifester parce que 400 personnes c’est trop peu pour faire la révolution, mais “vous inquiétez pas camarades, mercredi prochain, on sera 50000 avec des fusils, et la révolution aura lieu…” (ok je déforme un peu, mais l’idée générale c’était ça). moi le grand soir j’y crois pas. le petit matin gris j’en veux pas. le soulevement populaire après une prise de conscience générale instantanée, où tout le monde se comprend et est d’accord sur tout, c’est pas pour mercredi prochain, ni pour celui d’après…

alors ça va se passer comment la semaine prochaine? y aura une autre AG avec des “faut faire kekchose, ça peut plus durer!”, avec tout le gratin du militantisme au milieu, plus des gens assez anti-démocrates pour contester cette élection, mais pas assez pour le reconnaitre, des punks bourré-e-s-qui-font-chier-parce-quilles-sont-bourrés-alors-illes-sont-irresponsables et-on-doit-les-gérer, des bandes de lascars clairement pas la pour causer mais qui attendent ce qu’on leur a promis, une manif, des cailloux et des flics en face, et puis a la fin on va encore dire aux gens de rentrer chez eux parce qu’on est pas assez pour faire la révolution alors ça vaut pas le coup. au bout d’un moment, les lascars en auront marre de venir dans le centre-ville pour regarder des gens parler et rien faire d’autre, les punks en auront marre de se faire embrouiller par des gens parce qu’ils sont bourrés, les anti-démocrates auront leurs partiels, ou un autre truc du genre qui va les empecher de venir discuter sous la pluie tous les mercredis, ou alors illes se seront ramassé des insultes en essayant de faire une leçon de civisme aux punks ou aux lascars, bref y aura que le gratin du militantisme, qui ira boire des bieres dans un bar “de gauche” en causant de pourquoi ça a pas marché “alors que ça aurait pu”.

je veux pas dire par là que les AG sont inutiles, que ce qu’il y a d’important c’est la manif, ou l’emeute. c’est cool que des gens se rassemblent pour discuter, se rencontrer et peut-etre qu’il y a des trucs interessants qui peuvent en sortir. mais pourquoi limiter l’expression de cette colère à ça? pourquoi saboter le départ en manif, alors que si ce mode d’expression ne nous convient pas, on a juste a ne pas y aller? ça rime a quoi de demander un vote a main levée pour décider de partir en manif ou non? à quoi ça sert d’appeler a une dispersion à la fin de l’AG? à donner une raison aux keufs pour qu’ils nettoient la place (ben oui le rassemblement est dispersé, hop, si tu reste t’es dans un attroupement et ça c’est interdit)? qui vous êtes pour penser qu’il vaut mieux pour moi que je rentre chez moi?

alors “on” va attendre. “on” va attendre que d’autres gens “lancent un mouvement social”, que “des reformes liberticides passent”, que “les flics butent quelqu’un”… “on” va attendre les legislatives, les municipales, les cantonales, les présidentielles, le grand soir, le petit déjeuner, qu’il pleuve des grenouilles, que les poules aient des dents… parce que “on” est pas assez nombreux, pas assez organisé, pas assez déterminé, pas assez armé, pas assez d’accord. y a plein d’excuses, de justifications, mais tout ça, c’est surtout parce que “on” flippe.

on a pas tou-te-s le même rapport aux flics, à la violence, à la casse, à la répression. pourtant on y est pas tou-te-s exposé-e-s pareil à cette répression. dans une manif, meme “active” t’es pas obligé-e de casser des trucs, t’es pas obligé-e d’etre en premiere ligne a te faire tirer dessus au flashball, et si tu te mets pas en avant, t’as assez peu de chances de te retrouver en taule la semaine suivante. ce que je veux dire c’est que cette peur (que je ressens a fond quand je suis entouré de flics) est une des meilleures armes des flics. si ils veulent qu’un rassemblement ne “déborde pas”, rien de plus simple: 300 keufs dans le centreville, des controle d’identité au faciès, et une bonne répression disproportionnée de temps en temps, et hop, sitot que “on” se retrouve trop près des flics, “on” n’a qu’une envie, c’est rentrer chez nous. c’est cette peur qui fait dire aux “pacifistes” (je mets les guillemets parce qu’y en a des plus violents que certains “casseurs” par plein de cotés) que c’est a cause des “casseurs” que les flics chargent. c’est cette peur qui fait dire à des gens “ces punks bourré-e-s nous foutent dans la merde a force d’insulter les flics”, ou “les “jeunes de quartiers” sont venus foutre le bordel dans la manif en jetant des cailloux sur les flics”. c’est cette peur qui fait que les orgas préparent une manif, puis l’annulent au dernier moment parce que “on” est autant que les flics. “on” veut changer les choses, “on” veut faire la révolution, mais “on” flippe a mort, encadré par ces centaines de flics, “on” flippe de se faire embarquer à raison, parce que le simple fait de se pointer a ces AG, c’est de la participation a un attroupement délictueux. vous voyez la gueule des juges devant 300 personnes qui comparaissent sous un chef d’inculpation qui date de pétain? alors oui, “on” risque de se faire casser la gueule par les flics, “on” risque un controle d’identité, “on” risque un fichage anthropométrique, “on” risque une garde à vue, “on” risque un procès, “on” risque de se faire buter par un flic qui pete un cable… mais tout ça on le risque tout le temps en fait. on le risque quand on s’engueule à l’accueil du CCAS et que le vigile pointe sa fraise, on le risque parce qu’on picole dans la rue, on le risque parce qu’on chourre des chips a monoprix, on le risque parce qu’on paye pas le tram, on le risque parce que les flics sont là pour ça, et c’est pas prêt de s’arranger. moi, cette peur, elle m’handicape. je me sens frustré après coup de pas avoir fait ci ou ça, de pas être allé a tel endroit ou d’en être parti, parce que je flippais. je dis pas que c’est pas grave d’aller en taule, ou que crever sous les coups de matraque de la bac ça sert la révolution, mais j’aimerais bien que la peur change de camp, qu’au lieu de nous empecher de partir en manif, elle les empeche eux de se pointer au milieu des manif, d’arreter des gens au milieu d’une foule apathique, de charger 150 personnes a 10… et ça, et ben c’est pas en faisant des AG assis par terre et en remettant “la révolution” au mercredi suivant que ça va changer.