Face à toute cette propagande en faveur de ce qui, ces derniers temps, est appelé abusivement « démocratie » – et qui est, dans les faits, la perpétuation de la catastrophe capitaliste en cours – il nous faut réagir et opposer aux délires criards des partisans du retour à l’ordre des arguments rationnels.

…Et historiques, en premier lieu. Nous vivons dans le pays des massacreurs Cavaignac, Louis-Napoléon, Thiers, Pétain. Nous sommes donc particulièrement bien placés pour savoir que l’arrivée au pouvoir d’un dictateur peut se faire dans le respect de la légalité et, même, du suffrage universel (Louis-Napoléon). Nos voisins allemands en savent aussi quelque chose, depuis les années 30…

Pour ce qui est des staliniens et des réformistes, un des arguments qu’ils emploient en faveur du retour à l’ordre est que les émeutes jouent en faveur de l’UMP pour les prochaines législatives. Déjà, cet argument pue car, implicitement, il invite ceux qui sont descendus dans les rues ces derniers jours à « jouer en faveur » de l’immonde PS…

Ceci mis à part, cet argument est faux et hypocrite.

Faux, car c’est dans les grandes villes où les troubles en tous genres sont fréquents – aussi bien en centre-ville (mouvement anti-CPE, avec tout ce qu’il a impliqué) que dans les quartiers populaires (émeutes d’octobre-novembre 2005) – que Marie-Ségolène Royal a réalisé ses meilleurs scores. Inversement, Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa réalise des cartons impressionnants dans les petites villes et les campagnes – où il ne se passe jamais rien.

Hypocrite, car cet argument cessera d’être valide au soir du second tour des législatives, le 17 juin. Nos stalino-réformistes se solidariseront-ils alors, en cas de victoire (prévisible) de l’UMP, des divers mouvements de protestation ? Non, évidemment. Mais leur but est tout autre: il s’agit de faire croire à une (illusoire) résolution par le vote des problèmes du pays, de surfer sur la (très compréhensible) vague anti-UMP le plus longtemps possible … Au moins suffisamment longtemps pour que les électeurs envoient un nombre élevé de socialos et de stal’ dormir sur les bancs de l’assemblée nationale (pour 10 000 euros par mois, quand même). Mais, les élections législatives seront à peine terminées que, déjà, à l’horizon se profileront les municipales. On entend d’ici les appels des stalino-réformistes à « battre la droite » … Malheureusement pour eux, les mécontents n’ont pas tout le temps envie de passer des mois à fourbir leurs bulletins de vote, avec l’espoir un peu insensé qu’aux prochaines élections « ça va changer »… Le risible François Hollande en sait quelque chose, lui qui annonçait début 2007 que le gouvernement Villepin ne retirerait jamais le CPE, et que la seule façon de se débarrasser dudit contrat serait de voter PS en 2007… Manqué !

On a même vu çà et là quelques réformards affirmer sans rire que les émeutes qui ont suivi la victoire de Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa allaient permettre à notre nouveau président de faire voter par ses députés aux ordres des lois liberticides… Oui, disons-le tout net : le prochain gouvernement va faire voter des lois portant atteinte à nos libertés… mais, ce, dans tous les cas, qu’il y ait des émeutes ou pas, puisqu’il ne s’agit là que d’un prétexte. S’il n’a pas d’émeutes sous la main, le gouvernement invoquera une autre raison : terrorisme, violences dans les stades, grippe aviaire…La bourgeoisie fait flèche de tout bois lorsqu’il s’agit de fliquer encore un peu plus les exploités. D’ailleurs, en matière de flicage, rendons à César ce qui est César et à Jospin ce qui est à Jospin : la très liberticide LSQ (loi sur la sécurité quotidienne ( !)) a été votée le 15 novembre 2001 – sous la « gauche », donc.

Pour ce qui est de la racaille sarkozyste, son argumentaire tourne essentiellement autour du fait que « le peuple a parlé » et que ceux qui ne respectent pas son verdict sont des « ennemis de la liberté »… Ces sarkollabos essayent de se faire passer pour plus idiots qu’ils ne le sont (ce qui n’est pas simple)… En fait, ils se moquent éperdument de toutes les foutaises autour de la « souveraineté populaire » : la preuve, c’est qu’ils soutiennent un candidat qui a annoncé clairement qu’il passerait outre le vote contre le TCE (TCE qui – soit dit en passant – autorise les Etats membres de l’UE à exécuter les émeutiers et les insurgés, cf. page 170) du 29 Mai 2005. Quant à la liberté, dans la bouche de sarkophiles, ce terme n’a pas l’acception la plus couramment admise… Les lois liberticides prises par le nouveau président lorsqu’il était Sinistre de l’intérieur, ses diatribes sur le thème de l’Homme qui est une marchandise (cf. sa déclaration du 09.11.2006) et du travail-qui-rend-libre, les frasques verbales des membres de sa camarilla*… tout cela indique s’il en était besoin que, pour Sarközy, la liberté est – tout comme dans un célèbre roman d’anticipation – synonyme d’esclavage.

De surcroît, au risque d’énoncer un truisme, tout régime politique a un contenu de classe. Le peu qu’il reste en France de « démocratie » n’échappe pas à la règle : il n’est pas suspendu au dessus des classes sociales. Le régime sous le joug duquel nous vivons est au service de la bourgeoisie. Dans votre entourage, combien y a-t-il de personnes habitant Neuilly-sur-Seine ? De millionnaires ? Ayant eu Martin Bouygues, Charles Pasqua ou encore Bernard Arnault comme témoins à leur mariage ? Partant de là, pourquoi devrait-on subir durant 5 ans un Sarközy plébiscité dans les urnes par les patrons, les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les cadres, les flics, les militaires, les retraités ? Les chômeurs, les ouvriers, les employés, les professions intermédiaires, les jeunes ont majoritairement voté Royal, non par conviction, mais parce qu’elle était perçue comme un moindre mal** par rapport à son rival de l’UMP. Ces données montrent bien que les antagonismes de classes n’ont pas disparu. N’en déplaise à quelques imbéciles heureux, le capitalisme n’est pas la fin de l’Histoire…ou plutôt si, il pourrait l’être, mais négativement : c’est-à-dire que si les exploités ne jettent pas à l’abîme ce système qui détruit la planète, ce sont eux-mêmes qui y finiront.

Quant au « peuple », quand il est invoqué par des partisans de l’ordre établi (dans toutes leurs nuances), il n’est rien d’autre qu’une abstraction utile pour masquer l’existence des classes sociales. Nous en terminerons sur ce point par une citation de Philippe Riviale – un grand penseur qui, contrairement à tant d’autres grands penseurs (Alain Finkielkraut, André Glucksmann, Steevy Boulay, Jean-Marie Bigard…), ne soutient pas Sarközy.

« Auguste Blanqui en s’écriant : ‘Que le peuple choisisse !’, c’est-à-dire entre soumission et souveraineté, ne se rendait pas compte qu’il s’adressait à des morts, une armée des ombres. Car ceux-là seuls qui sont tombés au nom du peuple, sous quelque appellation que l’on veuille, en ont suscité l’apparition fugitive. Ce peuple disparu avec eux n’était que dans leurs esprits, dans leurs âmes si l’on préfère. En vérité, ces gens, qui ont fait le sacrifice de leur vie, par libre consentement, en se soulevant, pour ne plus subir la soumission quotidienne, aussi bien ceux qui sont tombés victimes de la répression incarnaient une essence sans existence. Car le peuple n’est qu’un vain mot dans les conditions usuelles d’existence sociale, et n’y est qu’un épouvantail ordinaire : c’est en son nom que les puissants, les ambitieux, ceux qui veulent épancher leur soif de domination gouvernent, de façon ‘démocratique’ ou à la manière des despotes. C’est selon. Ces morts, dont on dit que certains étaient innocents, comme si les autres étaient coupables, témoignent par le sacrifice de leur vie, l’abandon voulu ou non de leurs intérêts particuliers, de ce qu’un peuple ne vient au monde que de façon instantanée. Il est alors et peuple et souverain. En témoignent les journées de juin 1848, de mai 1871. Aucun pouvoir n’a pu s’imposer à ceux, morts aux barricades, logis éphémère du peuple, ou dans leur logis, ou dans les rues, pris au hasard, confondus par leurs bourreaux avec ceux qui se réclamaient du peuple et se voulaient souverain. Ceux-là, innocents, sont entrés sans le savoir aux côtés des insurgés, dans une dimension héroïque, qui est une dimension sans durée, mais d’une très grande intensité : le feu des canons et des fusils, en attendant les mitrailleuses, abolit dans l’instant ces souverains magnifiques. »
(extrait de: Philippe Riviale, Un revers de la démocratie, 1848)

A méditer…

* Un de ses conseillers, un certain Tapiro, déclare: « il faut non seulement kärcheriser la France, mais en plus il faut la thatchériser »; Doc Gyneco affirme qu’il serait intéressant pour Sarközy d’avoir les voix des anti-femmes et des anti-homo; Pascal Sevran propose de « stériliser la moitié de la planète » ; le député UMP Patrick Balkany, un ami de Sarközy, déclare à propos des pauvres: « ils vivent très bien. Nous n’avons pas de misère en France» ; la porte-parole de Sarközy, Rachida Dati, se verrait bien ministre de « la rénovation urbaine à coup de Kärcher » ; et cætera.

** Ce qui, d’ailleurs, était sans doute une erreur. Parce que son Contrat Première Chance, son encadrement militaire pour les jeunes délinquants, ses propos à la gloire de la justice chinoise, sa vision du rôle des syndicats qui sent très fort le régime de Vichy…font de Royal un sosie de Sarközy, avec, en prime, le soutien franc et massif des syndicats (et de Renaud, chanteur réformiste). De plus, quand on voit ce qu’un François Mitterrand, élu en 1981 sur un programme anticapitaliste, a fait une fois arrivé au pouvoir, il est aisé d’imaginer ce qu’aurait fait une Marie-Ségolène Royal élue sur un programme ouvertement de droite.