« LAS MUCHACHAS » DE BELÉN

par

Yayo Herrero

, Rebelion

Juana et Enérea sont deux femmes de Belén, un minuscule village de
la commune Carlos Arvelo de l’Etat de Carabobo au Venezuela. Elles font
partie d’une coopérative de paysans qui a reçu des parcelles de terres grâce
à la nouvelle Loi des Terres et de Développement Agraire impulsée au
Venezuela par le gouvernement bolivarien et adoptée en novembre 2001. Cette
Loi des Terres trace un cadre juridique plus juste, adapté au contenu d’une
constition bolivarienne ratifiée au cours d’un référendum par l’immense
majorité des Vénézuéliens et qui a déclenché une opposition brutale de la
part des secteurs réactionnaires liés aux multinationales.

Juana et Enérea sont nées dans le village. Pendant leur jeunesse, elle
devaient marcher chaque jour trois heures durant pour arriver aux terres du
propriétaire terrien pour lequel elles travaillaient. Elle accomplissaient
leurs tâches agricoles et le retour à leur village prenait quatre autres
heures « parce qu’au retour, nous revenions chargées avec des outils et
quelques fruits ».

La nouvelle loi a pour but de régulariser la répartition des terres entre
les paysans au travers de l’Institut national des terres (INTI). Ses
principaux objectifs sont le développement agraire et l’élevage soutenables
et harmonieux, la réduction et l’élimination de la dépendance alimentaire et
la stimulation de l’établissement de zones rurales dotées de services, avec
accès à la santé, à l’éducation et à un habitat décent.

Ce processus de changement a fortement influencé la vie de Juana et Enérea,
appelées « las muchachas » (les jeunes filles) par leurs compagnons de la
coopérative. Avec leurs 65 ans, elles ont décidé de prendre leur vie en main
elles-mêmes et de travailler avec dignité pour vivre autrement et collaborer
à la sécurité alimentaire du pays.

Chaque vendredi au soir, elle participent à l’assemblée de la coopérative où
elles reçoivent les informations de ce qui se passe à Caracas et dans les
autres Etats du pays, débattent des problèmes de la coopérative et partagent
avec leurs compagnons les conquêtes, les doutes, les illusions et les peurs
de ce processus. Les hommes et les femmes de la coopérative de paysans de
Belén sont en train de construire leur petit morceau d’histoire, la
Révolution bolivarienne augmentant leur estime de soi et leur dignité. Ils
ont réinventé les luttes pour l’égalité et la justice d’Ezequiel Zamora dont
le mot d’ordre fut le « respect envers les paysans et un système de terres
et d’hommes libres ».

En ce moment, à Belén, on attend de manière imminente l’arrivée des cartes
agraires qui consignent que la parcelle de terre dans laquelle les membres
de la coopérative sèment, suent et récoltent, est enfin la leur. Ils pensent
organiser une grande fête dans laquelle « nous danserons le joropo comme on
le faisait avant ».

Les paysans de Belén sont conscients de ce que, avec la remise des premières
cartes agraires au Venezuela, ont commencé les premiers attentats et menaces
de mort contre les leaders et les représentants du mouvement paysan dans les
Etats de Zulia, Cojedes, Carabobo… Malgré tout, ils continuent fermement
et se reconnaissent eux-mêmes comme des interlocuteurs capables de prise de
décision dans les politiques de développement agraire et d’élevage tout
comme dans les stratégies d’indépendance alimentaire de l’Etat vénézuélien.
Juana et Enérea, tout comme leurs compagnons, sont prêtes à défendre par
tous les moyens nécessaires ce processus qui en finit avec l’invisibilité
d’une grande partie de la société vénézuélienne, une partie de la société
dont on n’a jamais tenu compte pendant des décennies.

Elles savent qu’il est pour cela nécessaire de dénoncer ceux qui sabotent
les progrès réalisés à la campagne et qui, bien tristement, se trouvent
souvent au sein même des institutions bolivariennes. Elles savent également
qu’il faut exercer une pression constante pour arriver à arrêter les grands
éleveurs de bétail qui tentent d’organiser des groupes paramilitaires afin
de terroriser le mouvement paysan et de maintenir leurs privilèges.

En regardant les visages de ces paysannes, le message répété par les
télévisions privées du Venezuela en devient encore plus ridicule et
pathétique. Ces femmes feraient partie, selon eux, des « hordes chavistes
violentes et dangereuses » qui terrorisent les gens bien comme il faut des
collines de Caracas et qui sont un prétexte pour une multitude d’entreprises
de sécurité pour accumuler des bénéfices plantureux en blindant les
privilèges d’une minorité qui se nie à accepter que des temps nouveaux sont
arrivés au Venezuela.

Ce sont de femmes telles que Juana et Enérea dont se gaussent et sur
lesquelles ironisent les forces vives de l’opposition putschiste au
Venezuela. Mais, elles, elles s’en moquent et regardent avec enthousiasme
vers l’avenir. Elles ont la force de l’illusion pour le changement, le
soutien et la confiance mutuelles de leurs compagnons et l’admiration et la
reconnaissance de nombreuses personnes à travers le monde et cela parce
que’elles et leur lutte sont la démonstration palpable de ce qu’un autre
monde est possible.

Traduction de l’espagnol :

Ataulfo Riera

, pour

RISAL

.

Article original en espagnol :[ “Las cooperativas campesinas avanzan en
Venezuela”->http://www.rebelion.org/otromundo/030903belen.htm], Rebelion,
03-09-03.

© COPYLEFT Rebelion 2003.

Source : RISAl

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Interview de Maurice Lemoine, reporter & rédacteur en chef
adjoint du Monde Diplomatique

Extrait

Thierry Deronne *

{{A côté des réformes agraires en tout genre que tu
as connues au Salvador, au Nicaragua ou au Guatemala, comment t’apparaît
celle du Venezuela ? }}

Maurice Lemoine

. – On sait qu’une des étincelles qui a provoqué le coup
d’État de 2002, ce furent les 49 décrets-lois, et parmi elles la Loi des
Terres. Je voulais donc juger sur pièces cette loi, en passant deux semaines
dans les États agricoles de Cojedes, Barinas, Yaracuy, Alto Apure, et
Portuguesa.

Première évidence : la nécessité de cette réforme, au-delà de
toute idéologie. Des dizaines de milliers d’hectares entourés de barbelés,
où broutent deux cent têtes de bétail, c’est absurde dans un pays qui
importe 70 % de son alimentation ! Économiquement absurde ! Même du point de
vue capitaliste ! Et tu vois des dizaines de milliers de paysans, 17 % de la
population, qui ne disposent pas de la moindre parcelle, pas même pour en
vivre..

Deuxième évidence, que j’ai pu observer : les paysans appuient cette
réforme de tout leur coeur, de toute leur force. Les vieux te disent :
“c’est la première fois dans notre vie”, du haut de leur soixante-dix ans
les vieilles paysannes aussi qui ont vécu toute leur vie dans les
difficultés, te le disent : “pour la première fois nous allons avoir quelque
chose, un lopin de terre, nous allons pouvoir travailler la terre”. Et ils
ne te le disent pas seulement de leur point de vue égoïste, ils te disent :
“nous allons produire pour tout le pays, pour la ville, les quartiers
pauvres, les cantines des hôpitaux” ! Ce qui te montre qu’ils ont déjà en
tête un projet général de développement. M’a impressionné le haut degré de
conscience de beaucoup de paysans. M’a impressionné la rapidité du
processus, au point de me préoccuper un peu.

Distribuer deux millions
d’hectares en si peu de temps, c’est clair que cela produira quelques
erreurs. Sentir tant de volonté collective t’éloigne de l’idée que “tout ça,
c’est Chávez”. Bien sûr qu’ils te parlent, toutes les cinq minutes, de
“notre commandant Hugo Rafael Chávez Frías” mais en même temps ils te
rappellent “nous étions prêts pour cela”. Que ça fait des années qu’ils
bataillent pour la terre, affrontent la répression de la Garde Nationale,
des polices. Et bien sûr tout n’est pas couleur de rose, il faut encore des
crédits pour ces paysans, approfondir la culture de la coopérative, sachant
que comme tous les paysans du monde, le Vénézuélien est individualiste.

Ce
n’est pas si simple d’entrer dans une histoire neuve, celle du travail en
commun, mais indéniablement le processus est lancé. Il peut connaître des
échecs, mais il peut aussi conduire à de grands succès. Et aujourd’hui les
paysans te parlent d’un “succès global”.

Lire la suite [DES NAUFRAGÉS D’ESQUIPULAS À LA RÉVOLUTION BOLIVARIENNE 9 septembre 2003
->http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=638]

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Thierry Deronne

est fondateur de l’École populaire de cinéma de
Maracay et cofondateur de la télévision communautaire Teletambores, Maracay,
Venezuela

Photos : Rassemblement chaviste Caracas 23 août 2003,

Frédéric Lévêque

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