Armes sales – Sales guerres

Nouveaux apports et implications humanitaires des nouvelles armes utilisées au Moyen-Orient et en Asie du Sud

Mesdames et Messieurs,

Du point de vue armement, La Guerre du Vietnam est le conflit majeur du XXème siècle. Ce conflit oppose les Etats-Unis d’Amérique au Viêt Minh communiste Nord-vietnamien, lui-même soutenu par l’Union soviétique. Ce conflit devient une exportation de la guerre entre les deux superpuissances de la planète : les USA disent vouloir stopper le communisme en Asie tandis que l’URSS l’encourage. Le Viêt Nam est sacrifié, dans un effroyable carnage humain, en laboratoire de la guerre du futur. Il y est déversé entre 3 et 4 fois le tonnage de bombes larguées durant toute la 2ème Guerre mondiale, soit l’équivalent de 450 bombes atomiques d’Hiroshima. Le territoire vietnamien porte les stigmates de vingt millions de cratères conséquents. Bombes de nouvelle génération à explosion, incendiaires, à effet de souffle, à dépression, à fragmentation… Prés d’un demi-million de tonnes d’engins n’ont pas encore explosé. Ces reliquats ont déjà tué entre 100 000 et 200 000 personnes, surtout des enfants puisque durant de longues années plus de la moitié de la population avait moins de quinze ans. A Cu-Chi – qui veut dire “Terre d’acier” en vietnamien – il tombe plus de 10 tonnes de bombes par habitant. L’Amérique s’enlise. Les combattants vietnamiens, invisibles et insaisissables, se déplacent sous leur forêt tropicale. Les archives de l’Armée américaine avouent 8 000 000 de “sorties” d’hélicoptères gorgés de napalm pour débusquer l’ennemi dans les villages de paillotes. Sans résultat. L’Amérique est pressée. Sa jeunesse et celle du monde entier commencent à se soulever contre cette guerre. Aux Américains, on a promis la Lune… au Viêt Nam, ils vont la créer !

Mille neuf cent-soixante-un, le Président Kennedy occupe la Maison Blanche et donne le feu vert à cette gigantesque guerre chimique appelée au départ « Opération Trail Dust » (traînée de poussière) avant de se révéler « Opération Hadès » : Dieu des morts et des enfers chez les Grecs. Puis vite rebaptisée « Opération Ranch Hand » (ouvrier agricole), parce que plus insignifiante. C’est ce troisième nom de code militaire de l’épandage de l’Agent Orange sur le Viêt Nam et les parties limitrophes du Laos et du Cambodge qui reste dans l’Histoire. L’ « Opération Ranch Hand » vise donc à raser la forêt tropicale de la surface de la terre ainsi que d’empoisonner les récoltes, les populations et les combattants. Titanesque écocide qui fera disparaître à jamais de nombreuses espèces terrestres.

Dix années sont nécessaires pour pulvériser 84 000 000 de litres de défoliants.

Dix pour cent de cet épandage se fait à la main, par véhicule terrestre ou par bateau dans les deltas et la mangrove du littoral. Quatre-vingt-dix pour cent de la pulvérisation se fait par voie aérienne, à l’aide d’avions C 123 et d’hélicoptères. Les Vietnamiens n’ont alors pas d’autre protection que celle qui consiste à imbiber un tissu d’urine et à le poser sur le nez et la bouche.

Parmi ces défoliants, il y a l’Agent Bleu contenant du cyanure, particulièrement efficace pour empoisonner les rizières, l’Agent Vert, l’Agent Blanc, l’Agent Pourpre, l’Agent Rose, selon les essences à détruire, puis l’Agent Orange, appelés ainsi à cause des bandes de couleurs sur les fûts contenant le poison. L’Agent Orange représente à lui seul 62% du volume des défoliants pulvérisés au Viêt Nam. L’Agent Orange est contaminé par la Tétrachlorodibenzo-para-dioxine : la Dioxine TCDD, dite 2,3,7,8. à cause de sa composition moléculaire. Les dioxines sont constituées de 2 noyaux de benzène, 2 molécules d’oxygène et 2 molécules de chlore, de fluor ou de brome (quatre pour la variété la plus toxique). La Dioxine TCDD est le plus puissant poison connu – un million de fois plus toxique que le plus nocif poison naturel – et aussi le plus durable.

Si une équivalence n’a rien de scientifique -puisqu’elle s’appuie sur une donnée pour faire une projection comparative- elle a parfois le mérite de frapper nos esprits pour saisir l’ampleur du désastre… Une étude de 2002, de l’Université Colombia de New York, révèle que 80 grammes de dioxine déversée dans le service d’eau d’une ville élimineraient 8 000 000 de ses habitants. Sur cette base, il aurait été déversé sur le Viêt Nam 40 milliards de fois le potentiel mortel pour un être humain.

La Dioxine TCDD se mesure en picogramme, c’est à dire en millionième de millionième de gramme (10-12 gramme). Elle a une grande stabilité. Au Viêt Nam, elle est dans les sols, dans les eaux, dans les boues, dans les sédiments et passe ainsi dans la chaîne alimentaire.

Dans la chaîne alimentaire, on la retrouve en grande quantité dans les graisses animales, viandes, lait, œufs et poissons. Les scientifiques ont crée une unité appelée TEQ – contraction d’équivalent toxique – de façon à fixer une limite de toxicité pour la consommation des aliments. En France, par exemple, la dose admise par kilo de poids corporel par jour pour une personne est de 1 à 4 picogrammes. Aux Etats-Unis, la dose admise est plus drastique, elle est de 0,0064 picogramme, c’est à dire 160 fois moins que la norme française. Au Viêt Nam, cette dose peut atteindre 900 picogrammes par kilo de poids corporel par jour pour une personne.

Le noyau d’une cellule est protégé par un “périmètre de défense” qui a le rôle d’empêcher les molécules n’ayant pas la structure requise de pénétrer le noyau et donc d’interférer avec son patrimoine génétique. Mais, au sein du cytoplasme cellulaire (c’est à dire l’ensemble des éléments de la cellule à l’exception du noyau) la dioxine se lie à une molécule naturellement présente dans toutes les cellules, le récepteur aryl-hydrocarbone, et va pouvoir pénétrer les défenses du noyau cellulaire en se “faisant passer” pour une hormone. C’est ce complexe dioxine-récepteur qui va brouiller les messages hormonaux de notre système endocrinien (ensemble des glandes endocrines à sécrétion interne qui rejette la substance produite, appelée hormone, dans le sang) et va activer certaines régions de l’ADN, zones dites “sensibles aux dioxines” et entraîner ainsi l’effet toxique.

Les Vietnamiens pratiquent le culte des ancêtres de manière fervente. Ils souhaitent une progéniture capable de perpétrer ce culte. Si ce n’est pas le cas, une grande culpabilité s’installe envers les aïeux. On comprend pourquoi des familles qui avaient un, deux, trois enfants atteints de handicaps lourds en ont conçu un quatrième, un cinquième et un sixième et parfois plus… On estime qu’un grand nombre de naissances ne sont pas répertoriées, les enfants sont “cachés”. Il faut comprendre l’épouvantable torture mentale des parents qui voient naître leur enfant avec deux têtes ou bien avec deux visages sur la même tête ou encore sans les bras ni les jambes, quand ce n’est pas avec les organes externalisés. Et lorsque la Dioxine TCDD ne parvient pas à traverser le placenta de la future mère et que l’enfant naît sain, la maman qui l’allaite l’empoisonne car le lait maternel est la principale voie de déstockage de la Dioxine. De nouveau, pensons à la dévastation psychologique des mères.

Même les gens que l’on pense bien portant souffrent souvent de Dermatoses (chloracné, maladie de la peau caractérisée par des comédons, des kystes et papules ; hyper-kératose, hyper- pigmentation). Troubles hépatiques. Troubles cardio-vasculaires. Atteinte de l’appareil urogénital. Troubles neurologiques (perte de la libido, migraines, neuropathies périphériques, atteinte des facultés sensorielles). Troubles psychiatriques (nervosité, insomnie, dépersonnalisation, dépression, suicide). Suite à l’accident industriel de dioxine à Seveso, en Italie, le professeur Bertazzi et son équipe (Université de Milan) déclarent : “Nous commençons à percevoir d’étranges effets à long terme/…/une étude révèle un renversement complet de la répartition des sexes. Alors que dans la population générale on trouve un rapport de 106 mâles pour 100 femelles, à Seveso elle est de 48 filles pour 26 garçons. Signe d’une profonde mutation des métabolismes hormonaux.” Le sexe masculin a donc presque disparu de moitié. Aujourd’hui, au Viêt Nam, la troisième génération est là et les gens sains de corps et d’esprit engendrent toujours des bébés-monstre avec, parfois, les organes génitaux au milieu du visage.

Le “Rapport Stellman”, qui est l’étude référence incontestée sur l’utilisation des défoliants au Viêt Nam, estime jusqu’à 4 800 000 le nombre de victimes potentielles ou silencieuses sprayées. Attention, ce chiffre ne tient pas compte des victimes empoisonnées ultérieurement par la chaîne alimentaire durant plus de quarante ans, ni de la progéniture des trois générations qui ont suivi jusqu’à ce jour. Les victimes passées et présentes sont des millions. Combien sont à venir ? L’utilisation de cette Arme de Destruction Massive (ADM) chimique et indélébile par l’Armée américaine demande “réparation”. “Il faut des preuves scientifiques”, répondent les Américains qui ont reconnu et dédommagé “leurs” vétérans de la Guerre du Viêt Nam eux-mêmes atteint par l’Agent Orange ainsi que leur progéniture. C’est une façon de laisser le Viêt Nam seul y faire face. A l’époque de cette réponse américaine, une analyse pour rechercher la dioxine dans le sang coûtait entre 3000 et 4000$. Même si aujourd’hui ce coût a baissé, comment le Viêt Nam qui cherche les moyens de son développement peut-il assumer pareil budget ? Le lien de cause à effet est reconnu pour certaines maladies et la liste s’allonge chaque année. Il est grand temps de reconnaître les maladies et malformations dans leur ensemble imputables à l’Agent Orange. En effet, le faisceau de présomption est suffisamment large, les victimes vietnamiennes, celles du Laos et du Cambodge, présentent les mêmes maux que les vétérans américains de la Guerre du Viêt Nam (4 200 000 GI’s ont servi au Viêt Nam), que ceux de Corée du Sud (300 000 envoyés), de Nouvelle Zélande et d’Australie ayant combattus à leur côté, les mêmes maux que les victimes qui vivent près des zones de stockage aux Philippines, sans compter certaines personnes ayant travaillé ou résidant dans des espaces ayant servi aux essais de l’Agent Orange au Canada. Il en est de même pour la progéniture de tous ceux-là. Bien sûr nous devons continuer à étudier les conséquences nocives de ces poisons, mais il est grand temps de reconnaître l’indéniable. De plus, à la différence de la plupart des victimes citées, les Vietnamiens vivent et se nourrissent sur le poison depuis plus de quarante années.

La Constitution des Etats-Unis d’Amérique ne permet pas de se retourner contre les responsables politiques de l’époque ni contre les actes de guerre perpétrés par l’Armée américaine, même s’ils ne sont pas “autorisés” par les Conventions de Genève.

Il reste les fabricants du poison qui, en pleine connaissance de la composition de leur produit et de sa destination – dès juin 1965, c’est à dire au début de l’épandage de l’Agent Orange, une alerte sur l’exceptionnelle toxicité de la dioxine TCDD est émise par le laboratoire de recherche de biochimie d’un des principaux fournisseurs – et pour leur plus grande fortune, ont fourni l’US Army. Parmi les 37 sociétés qui ont fabriqué le poison, les principales sont Monsanto, Dow Chemical, Uniroyal, Diamond, Thompson, Hercules, entre autres. JUSTICE

Le 31 janvier 2004, quelques jours avant que soient échus les 10 ans de levée de l’embargo qui interdiraient de ce fait tout recours selon la loi étasunienne, l’Association des victimes de l’agent orange/dioxine Vietnam et 5 victimes à titre personnel déposent une plainte au Tribunal de Première Instance de la justice fédérale Américaine de New York dont le siège se trouve à Brooklyn Est, Etat de New York. Au mois de septembre 2004, 22 autres victimes viennent s’ajouter à une liste qui risque d’être sans fin… La plainte vietnamienne engage une grande et complexe procédure. Grande car il y a beaucoup de plaignants, beaucoup d’accusés et beaucoup de faits se déroulant pendant une longue période. Il y aura des implications sociales, économiques et financières. Ce procès sera complexe tant au point de vue juridiction appliquée que de juridiction théorique. Le procès des personnes impliquées dans l’Agent Orange sera une première dans l’histoire de la justice américaine et un procès dont on n’a pas de précédent légal. Le 10 mars 2005, un juge, celui-là même qui défendit les vétérans américains victimes de l’Agent Orange et obtint “réparation” pour eux, rejette la plainte des victimes vietnamiennes ! Ce juge dit qu’il n’y a rien dans les textes de la Loi internationale qui puisse interdire l’utilisation des herbicides. Hormis le fait que les défoliants n’existaient pas lors de la rédaction de certains textes de la Loi internationale en vigueur signés par les Etats-Unis d’Amérique, la vraie question n’est pas de savoir si l’Agent Orange répandu sur le Viêt Nam est un poison ou un défoliant, la vraie question est de savoir si ce défoliant contient du poison ? “OUI” répond la communauté scientifique internationale universellement unanime. Un poison terriblement tératogène.

Le 30 septembre 2005, les victimes vietnamiennes ont déposé leur dossier à la Cour d’Appel.

Le 16 janvier 2006, la défense des 37 compagnies a remis ses arguments devant “sa” justice. La défense des compagnies chimiques américaines prétexte déjà que l’utilisation de l’Agent Orange avait pour but de protéger les soldats US, alors qu’ils ont été eux-mêmes victimes de l’Agent Orange ainsi que leur progéniture. Cette défense ajoute que ces compagnies ne pouvaient pas se soustraire à une commande de leur gouvernement comme si chacune d’entre-elles était obligée de fournir les ingrédients d’un Crime contre l’humanité. La défense cherche donc à déplacer la responsabilité sur les dirigeants politiques de l’époque puisque ces derniers ont disparus ou sont constitutionnellement inaccessibles. La Cour d’Appel de New York devait se prononcer au mois de mars 2006, puis elle a reculé sa décision en évoquant que les chimistes n’étaient pas près pour les arguments oraux. Puis elle a repoussé de nouveau son verdict de plusieurs mois. Si les victimes vietnamiennes de l’Agent Orange étaient de nouveau déboutées, il s’agirait d’une deuxième injustice à la face du monde. Une impunité qui fermerait définitivement la porte aux futurs plaignants (je pense aux victimes de l’Uranium Appauvri) et ouvrirait toute grande la voie aux futurs grands massacres de ce jeune millénaire. Enfin, si la plainte des victimes de l’Agent Orange était repoussée, on s’acheminerait vers un pourvoi devant la Cour Suprême des Etats-Unis d’Amérique qui vient de subir un grand renouvellement. DEMANDE D’AIDE URGENTE A L’ONU

Selon l’interprétation des textes, certains juristes considèrent que ce titanesque écocide est un génocide, doublé d’un génocide à retardement. Pour d’autres, il s’agit d’un crime contre l’humanité et donc, au minimum, d’un crime de guerre. Cependant, tous s’accordent sur un point : l’épandage de l’Agent Orange au Viêt Nam est une gigantesque atteinte à l’intégrité physique et psychique de tout un peuple. Cette violation massive et flagrante des droits de l’homme est devenue le plus grand oubli à cheval sur deux siècles. Ce nouveau Conseil des droits de l’homme doit faire connaître ce grand malheur du peuple vietnamien. Un malheur qui n’appartient pas au passé puisque les victimes continuent de naître à l’heure où je vous parle. L’Agent Orange déversé sur le Viêt Nam n’est pas seulement un cataclysme du passé mais aussi une catastrophe du présent. Au-delà des arcanes et des nuances et autres complexités du Droit international, la première justice à rendre aux victimes de l’Agent Orange est la solidarité internationale. Aujourd’hui, le Conseil des droits de l’homme doit être non seulement la passerelle entre les victimes et l’opinion internationale que nous alertons, mais aussi et surtout l’outil qui déclenche une aide de la part de l’Organisation des Nations Unies (ONU). L’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Kofi Annan, a écrit : « De même, le Conseil des droits de l’homme aiderait à établir des fonds volontaires d’affectation spéciale et a obtenir un appui à ces fonds et des contributions, notamment pour aider les pays en développement. » Au nom du « Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange » (CIS), je demande solennellement à l’ONU, une aide financière urgente, conséquente et adaptée. Ces victimes, nos semblables, supportent des souffrances physiques et psychiques particulièrement horribles. Il faut les moyens financiers de faire un état des lieux afin de répertorier les victimes dans les campagnes. Il faut construire des centaines de « Village de la paix », établissements qui accueillent les victimes de l’Agent Orange au Viêt Nam. Il faut les équiper, accompagner la formation de personnel médical spécialisé. Actuellement, on estime entre 150 000 et 300 000 enfants victimes de l’Agent Orange. Si un « Village de la paix » accueille entre 150 et 300 victimes – ce qui est énorme compte-tenu que les handicaps lourds demandent une présence de personnel jour et nuit – il faudrait donc, au minimum, 1000 « Villages de la paix » tout de suite pour les seuls enfants ! Actuellement, le Viêt Nam en compte onze, et seulement deux peuvent-être considérés comme des établissements adaptés : « Le Village de l’Amitié » de Van Canh à côté d’Hanoi et le « Village de la paix » de l’Hôpital Tu Du d’Ho Chi Minh-Ville.

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs des 47 pays siégeant au Conseil des droits de l’homme, les enfants du Viêt Nam sont souriants comme beaucoup d’enfants du monde mais, malgré les efforts conséquents des autorités, plus de quarante ans après le début de l’épandage de l’Agent Orange, ces enfants du Viêt Nam “crèvent la gueule ouverte !”

Ils attendent votre aide.

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