MEETING DU 7 NOVEMBRE 2006

UN AN DE REVOLTES EN FRANCE, FEDERONS LES RESISTANCES DE LA JEUNESSE !

INTERVENTION DE L’AGEN (Association Générale des Etudiants de Nanterre)

Notre meeting a pour objectif de mieux comprendre les luttes qui ont lieu depuis un an en France et de jeter des ponts entre les secteurs de la jeunesse qui lutte. Actuellement, le matraquage sur les « jeunes de banlieue » participe à les désigner à la vindicte publique, à les isoler du reste de la population, en mettant en avant des faits divers spectaculaires. Le débat est pris en otage. A l’opposé, ce qui nous intéresse ce sont les aspirations des quartiers populaires pour l’égalité et le combat face au consensus sécuritaire.

Nous avançons une première idée claire : depuis 15 ans la fascisation se renforce en France.

La bourgeoisie ne peut plus régner avec la paix sociale. La pauvreté, la précarité, l’exploitation se sont aggravées. Tout en détruisant les droits sociaux et démocratiques la petite couche bourgeoise qui dirige notre pays renforce l’arsenal répressif. Elle n’a pas besoin de Le Pen au pouvoir pour mettre en place des mesures fascisantes. Pour comprendre où nous allons il faut d’abord jeter un œil dans le rétroviseur. En effet, la situation actuelle n’est pas issue d’une génération spontanée, ni de la seule volonté du déplorable Sarkozy.

En janvier 1991, le pouvoir PS, alors aux commandes, décide la mise en place de Vigipirate. Officiellement il s’agit de réduire les risques intérieurs relatifs à l’engagement militaire dans la guerre du Golfe, 29 pays coalisés dont les grandes puissances impérialistes contre un Etat voyou.

A y regarder de plus près, l’activation de ce plan va se faire sur un tout autre terrain que l’antiterrorisme déjà présenté à l’époque comme le problème n°1. Il va être utilisé pour le quadrillage des cités alors que celles-ci sont en ébullition, 1991, c’est l’année des émeutes dans notre vallée de la Seine, base ouvrière accueillant les bras industriels des années 60 et détruisant les vies par des charrettes de licenciements depuis les années 80.

Gennevilliers, Argenteuil, Nanterre, Les Mureaux, Chanteloup les vignes, Mantes la Jolie une même situation sociale, une même histoire du travail, de l’immigration et de leur déstabilisation structure la vie sociale. En mars 91, des émeutes dans la cité des Indes à Sartrouville ont lieu après la mort de Djamel Chettouh, 18 ans, abattu par un vigile dans un centre commercial. En mai c’est la mort au commissariat d’Aïssa Ihiche puis de Youssef Khaïf, 23 ans, tué d’une balle dans la nuque par le policier Hiblot, acquitté il y a 5 ans.

Le permis de tuer est réhabilité sans que grand monde ne s’en inquiète. Ainsi, la séparation entre « bons » et « mauvais » citoyens s’est ancrée dans les esprits. Un message est envoyé à la jeunesse des quartiers populaires : attention ne bougez pas sinon…

Le message est le même que celui des campagnes de diabolisation de la jeunesse populaire. Depuis 2001 cette jeunesse est présentée comme l’unique responsable de l’insécurité (campagne présidentielle de 2002), comme sexiste (grâce à Ni Putes Ni Soumises), antisémite (pendant la seconde Intifada), intégriste (loi sur le voile), bref, elle est inintégrable. Dès lors, ses revendications ne peuvent être retenues comme légitimes.

Guerre contre des pays dominés qu’il faut dépecer et recoloniser, guerre sociale et économique menée tambour battant par la bourgeoisie de gauche et de droite, tel est la situation depuis le début des années 90.

L’AGEN naît d’un groupe de militants qui, sur l’université, vont refuser ces deux guerres : la guerre contre les peuples et la guerre contre les pauvres surtout si ils sont basanés. Engagés dans la lutte pour l’égalité des droits, au coté des étudiants issus des milieux défavorisés, ces militants vont occuper toute la tour administrative (Bât B) en 1993. Notre syndicat, fondé à cette occasion, s’inscrit aussi dès sa naissance dans le combat contre les crimes policiers et pour construire une alternative politique radicale dans les quartiers populaires. Nous le pensons toujours, les batailles sur les universités ne peuvent être isolées des luttes sociales qui agitent le pays,

1991 représente le concentré et les débuts de ce que nous nommons la fascisation de l’Etat. Ce n’est pas le fascisme qui s’installe car l’Etat bourgeois n’a pas en face de lui un mouvement révolutionnaire qui menace son pouvoir, mais il s’agit de mesures de contre-révolution préventive. Les dominants savent que les révoltes sont inévitables et préparent les ripostes.

Des mesures sécuritaires, économiques et politiques contre l’extension des révoltes que génère un système social injuste se multiplient. Les opprimés doivent se tenir tranquilles. Les dégradations des conditions de vie liées à toute la restructuration du capitalisme vont de paire avec la dénonciation d’un ennemi intérieur, véritable cinquième colonne qui menacerait la République. De cette façon les masses populaires sont divisées.

Bref, les luttes qui ont mis en effervescence la France depuis plus d’un an ont des racines profondes.

Les révoltes des quartiers populaires dans 274 villes puis le grand mouvement contre la précarité mené par les étudiants et les lycéens pose la question de savoir comment s’est construit l’apartheid social et ethnique et comment lutter contre lui. Les réponses apportées à ces deux questions déterminent dans quel camp on se situe dans la lutte des classes.

1. Des rodéos de Minguettes en 1981, aux révoltes de 2005. Comment la droite et la gauche ont construit l’apartheid à la française ?

En 1990, Mitterand annonçait, en donnant le Ministère de la Ville à Tapie, que l’on allait régler les problèmes des cités d’ici 5 ans. En 2005, Sarkozy annonçait qu’il fallait plutôt les « nettoyer au Karcher » pour en extirper la « racaille ». La mort de Bouna et Zyed poursuivis par la police aura montré l’abjection des propos du petit chefaillon de la droite, partisan du rapport de force en vue d’engranger les voix des électeurs apeurées.

La différence paraît grande entre ces deux discours. Il n’en est rien. C’est la différence entre des flashballs bien visibles et des balles enrobées de sucre. La gauche bourgeoise vend des illusions. Si les problèmes de la périphérie sont devenus les problèmes centraux, si les quartiers populaires concentrent toutes les plaies sociales c’est que les dirigeants politiques servent les intérêts d’une même classe et mènent la même politique réactionnaire.

A l’unanimité, ils ont défendu le couvre-feu, l’état d’urgence, selon une loi d’exception qui créée en 1955 dans un contexte colonial a permis le massacre des Algériens, en plein Paris le 17 octobre 1961, ou celui de 19 militants indépendantistes kanaks le 5 mai 1988.

Revenons sur cet aspect néo-colonialiste : le 23 février 2005, le gouvernement a dit que le colonialisme avait été une œuvre positive. On s’adresse aux jeunes de France en frappant de plein fouet la dignité de ceux qui sont issus de la colonisation et en déclarant une forme de guerre psychologique. Il s’agit d’affirmer que le combat des parents pour leur dignité et la liberté n’a servi à rien. Ici vous resterez dans des ghettos, parqués, exploités et on pourra vous écraser et vous tuer sans que vous n’ayez rien à dire car vous êtes de la graine de voyous, des moins que rien, vous ne méritez pas d’être français, etc. Ce lien intime entre la réhabilitation du colonialisme et l’oppression sociale relève aussi d’un combat à l’université dans laquelle ses thèses sont élaborées ou relayées (cf. Lefeuvre à Saint-Denis). Nous devons mener une bataille sur cette question du négationnisme colonial. Il faut refuser les profs racistes comme nous l’avons fait en 2003 dans cette fac, proposer une autre version de l’histoire…

Depuis Les Minguettes en 1981, c’est le rapport de forces qui prédomine, une police spécifique comme la BAC a été conçue à cet effet. La gauche électorale a instauré les charters d’expulsions vers l’Afrique, l’idée du « seuil de tolérance » selon laquelle il y a trop d’immigrés, les lois sur la sécurité intérieure de Jospin, la loi sur le voile, etc. Elle a usurpé la voix des marcheurs pour l’égalité des années 80 qui demandait la fin du racisme d’Etat et des discriminations à travers des structures pourries comme SOS Racisme qui ont dilué les revendications dans un folklore pseudo-antiraciste inoffensif. En fait, la déstabilisation du monde populaire est niée par les tenants de la « croisade républicaine ».

Pourtant depuis 25 ans le message est crié sans répit : Assez de crimes policiers impunis, assez d’humiliations, de logements pourris, de justice de classe, de traitement d’exception, de précarité, de chômage. Pour ceux qui n’ont pas entendu ou compris les raisons des révoltes de 2005, nous leur rappelons ces évidences.

Les fausses solutions vendues par la droite et la gauche ne feront pas reculer les inégalités.

Depuis 15 ans, nous avons eu le droit aux contrats locaux de sécurité, au harcèlement policier, à la suppression des allocations familiales pour les familles d’enfants déviants, aux zones franches qui n’embauchent pas, au service civil etc….

Sur le plan politique, le pouvoir veut promouvoir la montée d’une petite élite issue de l’immigration à travers la discrimination positive, les quotas, etc. Il s’agit d’un renouvellement de la classe dominante sans intérêt pour des millions d’opprimés en France Ce communautarisme par en haut est prôné autant par Sarkozy que par le PS dans le « rapport secret » de Malek Boutih. Dans ce rapport l’ex- président de SOS Racisme demandait l’instauration de la carte de séjour à géométrie variable privilégiant des cadres et des étudiants sélectionnés, la suppression du renouvellement de la carte de dix ans, le rejet de la régularisation des sans-papiers, le durcissement sur le mariage,. Ces propositions ont été retenues pour la seconde loi Sarkozy dite CESEDA, Mais Sarkozy n’a pas retenu les propositions les plus répressives de Boutih, salué par le FN pour son « bon sens », comme la suppression de la double nationalité ou du regroupement familial.

La droite et la gauche ont construit les murs de l’apartheid. Il n’y a pas d’alternative entre ces deux expressions de la politique bourgeoise, juste une différence de modalités, de méthodes pour gérer le capitalisme. L’idée que l’inscription sur les listes électorales est la solution miracle est donc erronée si elle ne s’accompagne d’un projet politique radical et indépendant de la bourgeoisie.

Même si on peut comprendre la démarche d’AC le feu pour recueillir les aspirations des habitants des quartiers populaires avec un tour de France, l’initiative tombe dans l’aveuglement et le dérisoire quand on remet un cahier de doléances à l’Assemblée. Les politiques actuels, ceux qui ont voté l’état d’urgence, ceux qui sont responsables de la ségrégation et des discriminations vont défendre les intérêts populaires ? C’est impossible ! La seule solution réside dans un mouvement populaire qui lutte avec lucidité et acharnement contre le pouvoir en place pour arracher des conquêtes et non pas dans des associations qui servent les plats et jouent la pacification en vue d’une alternance électorale.

2. Quel lien entre les anti-CPE et les révoltés de novembre ?

Première question pourquoi la révolte de novembre 2005 a t-elle été si isolée ?

Première raison. Beaucoup à gauche crachent leur venin contre cette jeunesse qui n’aurait pas de conscience politique, qui serait saisie d’une rage sans contenu. Sans faire l’apologie des émeutes en elles-mêmes, force est de constater qu’elles ont posé les questions cruciales dix fois mieux que les moralisateurs qui préparent le retour de la gauche et de l’extrême-gauche plurielle. Voilà une conception tellement négative de la jeunesse populaire qu’elle rend impossible des jonctions. La jeunesse populaire est une partie du prolétariat d’aujourd’hui. Le prolétariat le plus exploité, précaire ou sans emploi, composé pour une bonne partie de l’immigration et de ses enfants.

La deuxième raison de l’isolement est simple. Aucune initiative politique d’ampleur n’a vu le jour durant les trois semaines de révoltes. En mai 68 la marche des étudiants les plus radicaux de la Sorbonne vers Renault-Billancourt, bastion de la classe ouvrière, signifiait la sortie du ghetto étudiant, et entraînait un nouveau niveau de lutte. Nul mouvement de cette sorte en novembre 2005. Il a fallu attendre le mouvement anti-CPE pour que la question soit posée dans les facs. Trop timidement à notre avis.

Durant plusieurs semaines l’AGEN a proposé à la coordination régionale des manifestations vers les quartiers populaires, en portant des revendications communes. En vain. Seule une manifestation à Bobigny devant le tribunal a été possible pour réclamer l’amnistie des condamnés des mouvements sociaux. Alors même que les lycées de banlieue sont entrés dans la lutte et ont permis le retrait du CPE, victoire partielle, beaucoup ne retiendront du contact avec la jeunesse des quartiers que la violence contre les cortèges de manifestants du 23 février aux Invalides ;

Quelles perspectives communes ?

Cela ne signifie pas que ces deux mouvements soient hermétiques l’un à l’autre du moment que l’on pose les bonnes questions. La base sociale est différente. Les étudiants qui représentent un brassage social, la jeunesse des quartiers populaires qui fait partie du prolétariat. Les modes d’action diffèrent aussi, entre un affrontement direct et les outils traditionnels de la mobilisation.

Ce qui rapproche c’est que le mouvement contre la loi LEC, dit anti-CPE, a refusé la récupération par les organisations officielles liées au pouvoir. Le refus d’être encadré par les organisations habituelles de la gauche et de l’extrême-gauche institutionnelle est un point de départ indispensable. Le mouvement de février à avril a montré un potentiel puissant de lutte. Le blocage des facs et lycées, l’occupation des voies de communication, les actions sur les intérims, les jonctions avec les salariés, avec les précaires et les sans-papiers ont été déterminantes.

Des réformistes de tous poils ou les trotskystes de la LCR veulent faire croire que c’est la menace d’une grève générale qui a fait reculer le gouvernement ainsi que le front uni syndical. Alors pourquoi tous les mouvements comme la grève unitaire de 2003 avaient échoué depuis 1995 ? L’unité syndicale dont ils parlent ne représente que la garantie d’alliances pour la gauche bourgeoise en vue des élections. En fait, on veut cacher le fait que c’est l’entrée de la jeunesse populaire dans la lutte contre le CPE qui a été déterminante, c’est la peur d’une reprise de novembre, cette fois-ci démultipliée par un large mouvement social.

Deuxièmement il y a eu une prise de conscience que la forme de lutte plus radicale était légitime et que la violence n’était pas un moyen qui ne mène nulle part.. Cela fait partie de la lutte sociale. Les affrontements avec la police ont été nombreux dans les deux cas. Ces formes de lutte sont aussi partagées par les dockers comme à Bruxelles ou à Marseille à la SNCM, et par d’autres ouvriers lorsque l’on ferme les industries. Une chose est sûre, tous les changements sociaux importants sont venus de combats violents, d’insurrections, d’actes déterminés par lesquels une classe en renverse une autre. Tout affrontement n’est pas révolutionnaire, mais aucun changement radical n’a jamais été possible sans confrontations.

D’un côté une lutte pour les conditions de vie, de l’autre un mouvement contre une dégradation possible. Les sacrifiés du système et ceux qui risquent de le devenir ont en commun une lutte contre la précarité organisée. Sur cette base et malgré les difficultés réelles nous voyons qu’une situation nouvelle peut naître et qu’une volonté de s’organiser existe. A nous tous de trouver la bonne voie.

3. Nous devons construire un mouvement révolutionnaire de la jeunesse

Un grand révolutionnaire comme Mao a dit que la complexité du marxisme pouvait se résumer à la maxime suivante : on a raison de se révolter. Voilà ce que la jeunesse qui lutte a compris même si elle n’est pas encore guidée par la pensée révolutionnaire. Après des années de défaites et de désarroi, les luttes récentes redonnent de l’espoir, du baume au cœur

Il y a quelques jours, un des innombrables reportages sur les affrontements en banlieue parlait d’un jeune de Neuilly-sur Marne de 16 ans qui allait être jugé pour sa participation présumée aux violences de novembre. Devant la caméra de Soir 3 il disait « Ce qu’on a fait était politique. On veut un changement. En politique je ne connais que Le Pen et Sarkozy, les seuls qui parlent de la banlieue »En effet, La révolte était politique, elle exprimait de façon radicale les intérêts d’une classe, une génération est arrivée en politique en affrontant les hordes policières et leurs commanditaires. Actuellement, l’alternative qu’on nous propose est de voter pour ceux qui sont en place depuis 30 ans ou de subir l’arrivée de Le Pen. Nous refusons cet horizon et ce chantage. La lutte politique basée sur les intérêts de la classe la plus opprimée doit se renforcer. Voilà la solution.

Le combat contre l’Etat policier et la répression, le combat contre l’exploitation et la précarité, pour la régularisation des sans-papiers, contre les expulsions de logement et le mal-logement, celui contre la réhabilitation du colonialisme doivent se réunir comme les affluents d’un même fleuve. Pour cela nous avons besoin d’un mouvement de la jeunesse qui définisse une poursuite de la lutte, une démarcation révolutionnaire qui prend les problèmes à la racine.

En souvenir de Bouna et Zyed qui continuent à vivre dans les luttes de la jeunesse de France !

A bas la fascisation et son Etat policier !

Que mille révoltes éclatent pour briser l’apartheid en France ! http://www.agen-nanterre.net/