LE PROJET DE LOI DE PROGRAMME POUR LA RECHERCHE
QUI DOIT ETRE ADOPTE PAR L’ASSEMBLEE NATIONALE LE 4 AVRIL

EST PORTEUR D’UNE PRECARITE D’EMPLOI BEAUCOUP PLUS FORTE
QUE LES CONTRATS DITS « PREMIERE » ET « NOUVELLE » EMBAUCHE

NOUS DEMANDONS LE REPORT DU VOTE PARLEMENTAIRE
ET UNE REFLEXION ACTUALISEE SUR LA RECHERCHE

Déclaration de la Plateforme « Indépendance des Chercheurs », 2 avril 2006

On peut lire notamment, à propos des « fondations » de recherche, dans la Loi de Programme pour la Recherche qui sera soumise au vote des honorables députés le 4 avril pour adoption définitive :

« Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les réseaux thématiques de recherche avancée et les centres thématiques de recherche et de soins.

Art. L. 344-1. – Plusieurs établissements ou organismes de recherche ou d’enseignement supérieur et de recherche, publics ou privés, y compris les centres hospitaliers universitaires ainsi que les centres de lutte contre le cancer, et dont au moins un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, peuvent décider de regrouper tout ou partie de leurs activités et de leurs moyens, notamment en matière de recherche, dans un pôle de recherche et d’enseignement supérieur afin de conduire ensemble des projets d’intérêt commun. Ces établissements ou organismes peuvent être français ou européens.

Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur sont créés par convention entre les établissements et organismes fondateurs. D’autres partenaires, en particulier des entreprises et des collectivités territoriales ou des associations, peuvent y être associés.

Ces pôles peuvent être dotés de la personnalité morale, notamment sous la forme d’un groupement d’intérêt public, d’un établissement public de coopération scientifique (…) ou d’une fondation de coopération scientifique …
(…)

Art. L. 344-10. – Les fondations de coopération scientifique mentionnées aux articles L. 344-1 et L. 344-2 sont des personnes morales de droit privé à but non lucratif soumises aux règles relatives aux fondations reconnues d’utilité publique dans les conditions fixées notamment par la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat

Art. L. 344-11. – Les statuts des fondations de coopération scientifique sont approuvés par décret. Leur dotation peut être apportée en tout ou partie par des personnes publiques.

Art. L. 344-12. – La fondation de coopération scientifique est administrée par un conseil d’administration composé de représentants de chaque membre fondateur. Il comprend en outre des représentants des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs exerçant tout ou partie de leurs fonctions au sein de la fondation. Les statuts peuvent prévoir la présence de personnalités qualifiées et de représentants de collectivités territoriales ou du monde économique. »

(fin de citation). Les « fondations » de recherche auront donc entre autres un rôle de « mécénat », avec participation du secteur privé, mais peuvent recevoir des fonds publics. C’est donc la porte ouverte à la généralisation du travail « sans statut » pour des chercheurs de tous les âges, utilisant des fonds publics traditionnellement destinés à la création d’emplois titulaires au sein des organismes.

Ce n’est qu’un exemple des voies vers la précarisation de l’emploi de chercheur qu’ouvre un tel projet de loi. Or, les événements des dernières semaines à propos du Contrat Première Embauche ont clairement mis en évidence les problèmes que poserait une politique de généralisation de la précarité.

Il nous apparaîtrait donc opportun que l’actuel projet de loi sur la recherche soit retiré et que les honorables parlementaires engagent le pays dans une réflexion actualisée sur la recherche, prenant en considération cette nouvelle situation mais également d’autres paramètres récents que nous avons soulignés dans nos précédents communiqués (crise récente de la direction du CNRS, naufrage des experts dans l’affaire d’Outreau, affaires de résultats falsifiés…).

En effet, l’adoption tel quel de l’actuel projet de loi sur la recherche dans le présent contexte français et international risque de déboucher, non seulement sur des situations de plus en plus conflictuelles en ce qui concerne l’emploi des chercheurs, mais aussi sur : a) une transposition à la recherche française de nombreux éléments du système scientifique dit « anglo-saxon » qui traverse une crise profonde sur le plan international ; b) un renforcement du pouvoir discrétionnaire des hiérarchies à tous les échelons, un mode de fonctionnement également en crise en France comme à l’étranger.

Deux topiques fort peu scientifiques s’étaient répandus au cours des deux dernières décennies et leurs effets ont été très négatifs. Le premier, sur le caractère prétendument « stimulant » de la précarité d’emploi : mais, dans la pratique, le jeune chercheur ainsi recruté devient une sorte d’OS confiné dans des activités sans emprise sur le programme de recherche global et à faible qualification par rapport au métier qu’il est censé exercer. Le deuxième topique tend à marginaliser la créativité scientifique et à nier le rôle du travail original et de terrain, au bénéfice de tâches de « direction », « gestion », « coordination », « administration »… qui se voient accorder la primauté. On entend même dire que, dans la recherche de notre époque, « l’important est d’être un bon meneur d’hommes, de savoir faire travailler… ». Cette conception conduit à l’asservissement pur et simple du travail intellectuel et constitue un véritable fardeau pour la recherche. Elle instaure une autre forme de précarité : le créateur et le professionnel compétent se trouvent exclus des cercles décisionnaires et peuvent à tout moment être dépouillés du fruit de leur travail et de leurs acquis professionnels par un « gestionnaire ». Un travail de recherche peut être arrêté ou bloqué de façon autoritaire pour des raisons étrangères à sa valeur réelle et à l’intérêt général. Les deux formes de précarité (emploi d’une part, prérogatives professionnelles de l’autre) sont complémentaires et tendent à se répandre.

Nous pensons qu’il est nécessaire et urgent d’opérer un retour aux sources, de façon à rétablir une réelle indépendance des chercheurs, l’accès effectif des créateurs scientifiques et techniques aux prises de décisions au plus haut niveau, la stabilité d’emploi garantissant la possibilité d’effectuer un travail dans la durée… Pour y parvenir, il est impératif de juguler la « course au management » qui s’était développée inspirée par l’idéologie officielle d’un « modèle d’entreprise » d’autres pays, vétuste et en crise depuis longtemps. L’ensemble des tendances négatives risque de s’aggraver avec la mise en application de la LOLF (loi organique de 2001 relative aux lois de finances), loi de renforcement des pouvoirs discrétionnaires à tous les échelons des hiérarchies. C’est pourquoi notre action tend également à l’abrogation de cette loi.

NOUS DEMANDONS DONC LE RETRAIT DE L’ACTUEL PROJET DE LOI SUR LA RECHERCHE, LA SUSPENSION DE L’APPLICATION DE LA LOLF ET LA MISE EN PLACE D’UNE REFLEXION ACTUALISEE, OUVERTE ET TRANSPARENTE, SUR LES PROBLEMES DE LA RECHERCHE.

Indépendance des Chercheurs (attn. Luis Gonzalez-Mestres) 17 rue Albert Bayet, appt 1105 , 75013 Paris
Infos : , Port. 0620601187