le site où j’ai trouvé ces analyses
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Les trois textes qui suivent sont extraits du site de la CNT de l’Education et de son quotidien en ligne « Classes en lutte ». Le premier est anonyme, le deuxième de Claude Guillon, le troisième est de Laurent et est paru sur le site « Le réseau des bahuts »

CPE, « lascars » et manifestations de rue : trois analyses

Quelques éléments d’analyse sur les « lascars »

Les groupes de jeunes responsables de la plupart des violences de la manifestation parisienne du 23 mars (y compris des violences à l’encontre des autres manifestants) ont fait couler beaucoup d’encre et ont suscité de nombreuses réactions et analyses souvent erronées.

La terminaison elle-même utilisée pour les désigner n’est pas très claire… « Jeunes des banlieues » ? Les banlieues, c’est aussi Neuilly ou Clamart, et tous les jeunes des banlieues populaires ne se reconnaissent pas forcément dans ces bandes. « Jeunes issus de l’immigration » (comprendre : de l’immigration africaine) ? Ce serait ne pas prendre en compte la diversité des origines des jeunes de ces « quartiers sensibles » : issus de l’immigration pour certains, d’autres sont des immigrés de troisième ou de quatrième génération, d’autres encore issus des dom-tom, d’autres encore des « français de souche ». La fameuse France black-blanc-beur, ce sont eux aussi. « Casseurs » ? Le terme vague s’applique également aux manifestants politisés qui comptent utiliser la violence comme une arme politique dans un cadre revendicatif. « Racaille » ? Le terme sent fortement le mépris sarkozien, même s’il est parfois revendiqué. Faute de mieux, le terme de lascars sera préféré aux autres dans la suite de cet article.

Une affirmation du puissance collective…

La violence des lascars ne peut se comprendre que comme l’affirmation violente d’une puissance collective. Les bandes, qui se constituent dans les quartiers « sensibles », sur une base affinitaire, sont constitués principalement de jeunes subissant de nombreuses exclusions sociales, géographiques, scolaires etc. Le regroupement en bandes violentes est un moyen d’exister, d’acquérir une forme de statut dans le quartier. L’expression de cette violence se fera avant tout contre tous ceux qui se déclarent « adversaires » de la bande : police, voisins excédés… La force des lascars viendra principalement de leur nombre et de leur capacité à agir ensemble, de leur « solidarité » -entre eux uniquement-, avec son corollaire de loi du silence et d’obligation à suivre le groupe. Malgré des rivalités de clocher, parfois entretenues par des luttes d’intérêts pour le contrôle de l’économie parallèle (trafics divers), les bandes de lascars se reconnaissent une identité commune, faite à la fois de signes extérieurs (musique rap, style vestimentaire…) et d’un expérience sociale et géographique de l’exclusion.

L’impossibilité de la Police à réprimer ces bandes, la peur qu’ils inspirent désormais bien au-delà des limites de leurs quartier et l’occasion fournie, principalement à l’occasion de manifestations lycéennes, de se concentrer en grands groupes leur permettent de mesurer une puissance collective de grande ampleur : un groupe social autonome et violent, capable de tenir tête à l’Etat et à la police, capable de semer la terreur. Isolé et cherchant à s' »intégrer », le lascar est source de mépris. En groupe et soutenu par une pratique violente, il devient source de peur pour tous ceux qu’il croise, capable de faire trembler des gouvernements et reculer les brigades de CRS. Par certains côtés, la formation de groupes autonomes capables d’une violence collective à même de dépasser les capacités des forces répressives n’est pas sans rappeler la constituion historique du prolétariat en force potentiellement révolutionnaire. Avec cependant une différence de taille.

… sans perspective positive.

Là où la violence du prolétariat des XIXe et XXe siècle se construisait dans la perspective d’une lutte contre le patronat centrée sur l’usine, où, pour les plus avancés, d’une lutte contre l’Etat dans la perspective d’une conquête collective des moyens de production (collectivisation des usines, de la terre…), la violence des lascars ne s’est pas construit de débouchés. Le terrain d’origine de la violence n’est plus l’usine, le lieu de travail, mais le lieu de vie, où la violence va s’exercer avant tout contre le voisinage direct. L’affirmation violente ne se développe plus dans le contexte de luttes sociales contre l’exploitation capitaliste, mais se suffit à elle-même. En tant que groupe désireux de démontrer sa puissance, les lascars finissent par s’en prendre à un adversaire de taille : l’Etat. L’Etat n’est pas visé en tant que défenseur de la bourgeoisie, mais plus en tant que puissance rivale. La violence anti-étatique des lascars ne va pas se limiter à des actions contre la Police, mais va viser tous les aspects de l’Etat, y compris des services publics vitaux que celui-ci maintient : pompiers, écoles, transports publics, centres socio-culturels… La plupart du temps, ces attaques pénalisent avant tout l’ensmeble de la population du quartier, et renforce un peu plus l’exclusion sociale et géographique.

Les lascars ne sont porteurs d’aucun projet positif. Seules quelques vagues revendications pour « la justice en banlieue », contre le racisme et contre l’arbitraire policier émergent, mais sans réel débouché possible. Idéologiquement, les griefs contre l’état font partie d’un ensemble idéologique des plus confus, dont le sexisme (ces bandes son principalement masculines même si quelques filles peuvent les suivre sans réellement participer aux violences), l’homophobie et le consumérisme (voir l’importance des marques dans la tenue vestimentaire) sont les caractères les plus saillants. Du racisme peut parfois venir compléter la panoplie, mais le trait principal restera le mépris de ceux qui ne partagent pas leur mode de fonctionnement. Le rejet général des discours politiciens, de gauche comme de droite s’accompagne assez souvent d’un manque général de culture politique et syndicale. Si la haine des Sarkozy semble bien ancrée, il ne semble pas que les autres politiciens trouvent grâce à leurs yeux.

Des S.A. en baggy ?

Certains voudraient voir dans les lascars des fascistes et font un parallèle avec les S.A. du parti nazi dans les années 20 et 30, spécialisés dans les violences délibérées contre le mouvement ouvrier. Mais la violence des lascars ne s’exprime contre les mouvements sociaux que de façon sporadique. Dans les cortèges syndicaux ou étudiants, les lascars tentent avant tout de s’en prendre à des cibles isolées (ou identifiées comme telles) plus qu’à terroriser volontairement l’ensemble des cortèges en tant que tel. Tant qu’ils se déplacent par petits groupes, ils ne cherchent pas l’affrontement direct avec les SO des cortèges syndicaux. Leur attitudes est plutôt une indifférence totale envers le mouvement syndical, qui peut se muer en aggressivité dans le cas où ils vont chercher à prouver leur supériorité avérée. Quand, comme ce fut le cas Jeudi dernier à Paris, ils se retrouvent regroupés à plusieurs centaines (entre 1000 et 1200 personnes selon la Police) sur la place des Invalides, tout autre groupe constitué devenait une cible potentielle. La comparaison avec les SA tombe à plat, même si la présence de lascars s’en prenant aux manifestants est indéniablement un facteur de démobilisation à même de faire reculer des mobilisations par la peur.

Manipulés par la police ? Par l’extrême-droite ?

De par la violence qu’ils exercent contre les manifestants et de par les effets de la peur sur la mobilisation, la présence de ces bandes semblerait bien arranger le pouvoir. Certains en tirent la conclusion, un peu hâtive et digne d’une bonne théorie du complot, que ceux qui s’en prennent aux manifestants seraient payés ou manipulés par la Police. La théorie ouvre l’avantage de se ménager à bon compte l’illusion d’une unité de pensée entre les manifestants de gauche ou d’extrême-gauche et les lascars.

Malheureusement, suite aux manoeuvres policières, ces derniers en arriveraient à jouer « contre leur camp » et à faire la sale besogne à la place des CRS. L’observation du fonctionnement des bandes et de leur violence quasi quotidienne, condition et vecteur de leur affirmation, laisse penser qu’ils n’ont nul besoin d’être payés ou incités pour venir démontrer leur puissance sur n’importe quelle cible. Le comportement des policiers en civil parmi ces lascars semble plutôt se limiter à la prise d’indice, où à la défense de personnes en train de se faire lyncher. La violence des bandes envers les personnes soupçonnées d’être des policiers en civils n’accrédite pas non plus la thèse du complot.

Une avant-garde révolutionnaire ?

En tant que mouvement collectif autonome, violent et anti-état, lié (parfois pour le pire) organiquement au sous-prolétariat et au prolétariat des cités de banlieues populaires, les lascars sont ce que le mouvement révolutionnaire voudrait être, et ce qu’il devrait être s’il espère un jour faire du mot d’ordre de révolution autre chose qu’un vain slogan relique d’un passé plus glorieux. Du coup, certains gauchistes fantasment et idéalisent les bandes de banlieues, et veulent calquer artificiellement sur elles leurs propres conscience politique. Les lascars s’attaquent-ils aux étudiants parce qu’ils reconnaissent en eux leurs futurs cadres ? Malheureusement, ils s’attaquent surtout à ceux qu’ils reconnaissent comme des victimes sans défense. Un cadre qui s’assume sera d’ailleurs plus respecté qu’un jeune petit-bourgeois au look de baba-cool ou de punk. En attaquant les magasins, en volant les portables dernier cri, s’attaquent-ils à la marchandise ou à la société de consommation ? Bien sûr que non, ils profitent de la situation pour un petit larcin et mieux participer au cycle de la consommation. Le niveau de conscience politique général des lascars est très bas. La solidarité de groupe dont ils font preuve les conduit souvent à suivre le pire d’entre eux. Un membre de la bande est pris à partie après un vol ? C’est toute la bande qui attaquera celui ou celle qui s’oppose. Un membre de la bande commence à casser la boutique d’un traiteur ?

L’instinct grégaire aura fait d’y attirer des dizaines de suivistes. Sans conscience politique et avec une violence s’exprimant sans but au-delà d’une affirmation de pouvoir, on est bien loin de l’utilisation de la violence telle qu’elle a pû apparaître au sein des luttes ouvrières. Il ne faut pas pour autant penser que tous les lascars sont des crétins finis. L’acculturation et l’échec scolaire laissent des traces, bien sûr, et le comportement collectif fait parfois plus penser à celui d’une horde de hyènes qu’au résultat d’une organisation humaine. Mais les membres de ces bandes sont aussi capables de réflexions, avec la conscience que leur force inquiète l’Etat. Certains lascars revendiquent consciemment de lancer ainsi un défi aux responsables de la situation sociale actuelle. La conscience de créer un rapport de force réel avec l’Etat peut aussi aider à faire accepter et à se solidariser des actions lâches et crapuleuses d’une partie des lascars. Notons que le patronat ne fait pas pour eux partie des ennemis identifiés.

Dans la manif du 23 mars à Paris

Dès le début de la manifestation parisienne, des petits groupes de 10 à 30 lascars sillonnaient les cortèges, principalement les cortèges lycéens et étudiants moins organisés. Au menu, un peu de fauche, quelques bagarres sporadiques entre bandes ou contre ceux qui s’opposent à un vol, un peu de casse. Les groupes de lascars, très mobiles, se rendent en têter et y forment une sorte de pré-cortège de plusieurs centaines de personnes. Des heurts commencent avec le SO de tête de cortège, qui a sortie les matraques pour l’occasion. La plupart des cortèges décident de se dissoudre peu après Montparnasse plutôt que de poursuivre jusqu’aux Invalides, où c’est pratiquement un millier de lascars qui tournent dans une atmosphère d’extrême violence, s’en prenant aux personnes isolées, aux policiers en civil ou aux cortèges de manifestants qui ont eu l’imprudence de trop s’avancer. Le cortège de la CNT sera ainsi lui-même pris à partie et forcé de se replier rapidement sous les projectiles (cailloux, bouteilles de verre) et la charge de plusieurs centaines de jeunes hostiles. La plupart des blessés dans les rangs des manifestants ce jour-là (dont deux hospitalisations) auront été le fait des bandes.

Les lascars et nous…

La présence des bandes dans les mouvements sociaux (en particulier dans les mouvements de jeunesse) avec la violence qu’ils y expriment pose un problème concret et immédiat pour la sécurité des cortèges, au moins en région parisienne. L’espoir de faire appel à leur conscience, ou de propager chez eux une conscience politique semble bien lointain dans la situation actuelle : pour les lascars qui sont en permanence dans le rapport de force réel, les généraux sans armées des organisations d’extrême-gauche ou libertaires manquent sérieusment de crédibilité et le maillage militant dans les cités « à problème » est loin d’être suffisant. L’extrême-droite religieuse islamiste elle-même, qui possède un réseau militant bien plus à même de toucher les lascars n’a jusqu’ici pas encore réussi à structurer et à utiliser les lascars. Si une telle fusion devait s’effectuer, le terme de SA en baggy ne serait alors plus vraiment usurpé…

Le rapport entre cortèges de manifestants et bande dépend aussi d’un rapport de force concret. Là où militants violents et lascars sont en nombre comparables, on a plutôt vu les bandes s’allier aux manifestants les plus déterminés dans les affrontements avec la police à Rennes, ou lors des affrontements de la place de la Nation le 18 mars : ce fut le cas lors des manifestations de la semaine dernière ) Les aggressions envers les manifestants n’ont alors pratiquement pas eu cours. L’espoir d’une politisation des lascars passe-t-il par là ? Quoi qu’il en soit dans des situations identiques à celles de la manifestation parisienne du 23 mars ou les bandes sont présentes en grand nombre et s’en prennent aux manifestants, nous devons nous préparer. Si nous ne sommes pas capables d’assurer la sécurité des manifestants et des cortèges, c’est le danger d’un recul du mouvement qui s’annonce. L’organisation de SO capables d’écarter les dangers des petites bandes et d’anticiper les risques liés à la constitution de groupes de plusieurs centaines de lascars en organisant une dispersion en bon ordre est essentiel. La tentation d’un affrontement direct est à proscrire, comme la collaboration avec la Police, qui conduira à long terme à une identification totale mouvement social-mouvement syndical-flics, qui conduira les bandes à s’organiser sciemment dans le but de casser des cortèges, et rendra plus difficile encore l’espoir d’une prise de cosncience d’identité d’intérêts entre les lascars et le mouvement social. Ni ennemis, ni adversaires, ni alliés, les lascars constituent à l’heure actuelle, là où ils se dissocient des manifestants, une risque et un danger dont le mouvement social doit être capable de se prémunir. Plus qu’une chasse aux jeunes, une présence dissuasive peut avoir son efficacité. La politique délibérée des grosses centrales syndicales, qui ont décidé de ne pas agir la semaine dernière et de laisser les étudiants et lycéens seuls en lutte n’est pas pour rien dans le visage parfois inquiétant qu’a pris le mouvement.

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Un texte de Claude Guillon

Sur quelques récents publicitaires de la démocratie parlementaire

J’avais, comme nombre de militant(e)s, été écœuré en lisant sous la plume d’anciens libertaires, diffuseurs en 1990 du tract « Ce casseur qui nous ressemble », des lamentations sur l’inefficacité des CRS et un appel à une « Commission d’enquête parlementaire », propos qui les auraient fait dégueuler quinze ans plus tôt (précisons qu’ils étaient déjà adultes et « parents d’élèves »).

Contrairement à ce qu’ils prétendent aujourd’hui, lorsqu’on écrit dans un même article… « Nous qui avons fait nos premiers pas dans les luttes sociales à la fin des années soixante-dix sommes bien placés pour savoir que la jeunesse a besoin d’affirmer son autonomie politique et que les lycéens n’ont pas les moyens de s’auto-organiser efficacement pour affronter cette violence, sauf à se transformer eux-mêmes en milices d’autodéfense, ce que nous ne pouvons leur souhaiter. […] » et encore : « Ces violences n’auraient pu avoir lieu sans la complicité passive des forces de l’ordre, qui ont assisté aux scènes de lynchage, souvent à quelques mètres, sans intervenir. Tout indique que le gouvernement a laissé faire, dans le but de briser la mobilisation lycéenne, au risque de nombreux dégâts collatéraux. » ..

.On laisse bien entendre qu’une intervention des CRS aurait été légitime d’une part et efficace d’autre part. Naïveté de la part de jeunes (hier et aujourd’hui), c’est un mensonge délibéré de la part de militants qui ont l’expérience des violences de rues. Les CRS auraient évidemment cogné dans le tas, arrêtant ceux qui courent le moins vite, comme d’habitude, comme durant les émeutes de novembre, comme lors des dernières manifs et émeutes autour de la Sorbonne. Frédéric Goldbronn écrit aujourd’hui dans un mail à Adrien (sur la liste du Collectif de soutien aux victimes de la répression du mouvement lycéen) : « Si je dénonce la complicité de la police avec les bandes, je ne compte évidemment pas sur elle pour protéger les prochaines manifestations, mais plutôt sur les bons vieux SO (bien équipés et organisés si possible) des lycéens, étudiants et salariés. » Goldbronn était de ceux qui s’affrontaient aux « bons vieux S0 » syndicaux ; il a donc bel et bien « changé de côté ». Et voilà que les lycéens peuvent former des SO ! Ce ne sont donc plus des « milices d’autodéfense » qu’on ne pourrait leur souhaiter ! Au contraire, Goldbronn le leur souhaite. Il écrit donc bel et bien aujourd’hui mot pour mot le contraire de ce qu’il écrivait dans un article… qu’il continue à revendiquer et dont il se vante.

Devinette : quel est l’exercice dans le cours duquel il arrive qu’on s’emmêle un peu les bras dans les manches ?

Sur les événements des Invalides et les problèmes qu’ils soulèvent (notes rapides) Pour ce que j’ai vu, les bandes qui étaient les plus violentes étaient composées de garçons plus âgés que les membres de celles qui avaient sévi au printemps contre deux manifs lycéennes. Leur violence était de ce fait plus « efficace » encore. La violence a eu, en partie dès le départ (des groupes de lycéen(ne)s prenant le métro), et surtout aux Invalides, pour effet de disperser la manifestation. Et ce plus violemment que ne l’auraient fait les gendarmes mobiles. C’est d’autant plus regrettable que des AG étudiantes avaient lancé le mot d’ordre de ne pas quitter la rue ce soir-là. Au printemps, des centaines de jeunes en bandes avaient arrêté une manif, en la coupant et en occupant en groupe compact la chaussée.

Phénomène à ma connaissance jamais vu qui constituait clairement une « contre-manifestation ». Aux Invalides, il y avait plutôt un signe « égal » mis entre latter un mec, piquer un sac, latter un mec pour lui piquer son sac, caillasser le barrage de police, piquer un portable, etc. Les violences visaient, d’après ce que j’ai vu, sans « motif » rationnel, un bouc émissaire « choisi » intuitivement hors du groupe (coiffure rasta sur un « Blanc », cheveux longs) ; dès lors qu’il était désigné par le sang marquant son visage, n’importe qui pouvait venir de l’autre côté de l’esplanade et ignorant tout de l’incident initial, mettre son coup de pied dans la tête (ce que j’appelle le « mode requins »). Impossible d’intervenir individuellement et efficacement à ce moment précis ; attendre pour évacuer le gars aussitôt que possible. C’est une des souffrances causées par ce type de situation : on a le choix entre le sacrifice inutile et la passivité momentanée. Des cortèges et groupes de manifestants (en fin de cortège) ont été attaqués et caillassés, uniquement à leur arrivée aux Invalides : les bandes avaient fait de l’esplanade un « territoire » (navrant, mais très réel exploit !) sur lequel tout groupe constitué apparaissait comme une bande rivale à chasser.

Dès que la violence s’est cristallisée sur les gendarmes, elle a baissé ou disparu complètement sur l’esplanade. Ces violences dirigées contre des manifestant(e)s posent le problème de l’autodéfense des cortèges (y compris lorsque ce sont des fafs qui les exercent), pb probablement insoluble dans l’immédiat, notamment du fait de l’oubli des habitudes des années 70 où tous les manifestant(e)s venaient aux manifs équipé(e)s du minimum de matériel de protection individuelle (casque, gants). Plus on entretient l’illusion que la police d’État ou les SO d’orgas ont pour vocation naturelle de protéger la veuve et l’orphelin, plus on désarme les manifestants, matériellement et théoriquement. Au début de la dernière manif, le « bon vieux SO » CGT a chargé des groupes de jeunes sur simple délit de sale gueule (dans le passé, j’ai vu le SO de la Ligue protéger des banques et des bâtiments militaires de la colère de certains manifestants…). Quant à la compréhension du phénomène, il est important et très difficile de bien distinguer « comprendre » au sens d’« analyser » et au sens d’« excuser ».

Extrême caricatural : je lis dans un message sur Indymedia que les jeunes des bandes ont simplement « volé leur futur patron ». Il est bien possible que, confusément, LE dépouilleur de lycéenNE (c’est souvent dans ce rapport de genres) manifeste une sorte de « conscience de classe » fruste mêlée à beaucoup de ressentiment contre quelqu’un qui a une « chance » de « réussir » dans un système scolaire qui l’a rejeté et que lui rejette. Bien présomptueux qui prétend pouvoir dire qui est le plus rejetant, du jeune ou de l’institution ! Où le dépouilleur et son approbateur sont dans l’illusion , c’est s’ils croient réellement que la lycéenne de banlieue (blanche de peau de préférence) va « réussir » quoi que ce soit. Elle est de plus en plus consciente qu’elle n’arrivera à rien, mais elle n’a aucun moyen d’échapper à la « stigmatisation à l’envers » que sa condition de lycéenne et sa couleur de peau lui valent de la part des bandes. Si l’on acceptait la métaphore du futur patron (qui peut se décliner en futur larbins des patrons, etc.), pourquoi ne pas violer sa future patronne (ou sa future secrétaire) ? Ce serait également impeccable vu d’un tel « point de vue de classe »… !

Stigmatisation raciste héritée du colonialisme, précarisation croissante généralisée, enclavement géographique et social des banlieues sont autant d’éléments d’analyse des violences qui sont apparues dans les grandes manifestations de jeunes depuis 1990. Il ne s’ensuit pas que toutes les formes de révoltes qui apparaissent contre ces situations révoltantes sont sympathiques ou ont vocation à s’intégrer dans un mouvement social révolutionnaire. Les révoltes s’expriment souvent dans des formes qui appartiennent au système auquel elles s’opposent. Selon les moments historiques et les secteurs de la société, ces formes aliénées peuvent être antagonistes entre elles : « pacifisme » de certains étudiants hostiles à toute violence en réplique aux violences policières / violences « viriles » des garçons en bandes. Les incidents graves des Invalides (dont on observera certainement les répliques dans les mois ou les années à venir) ne doivent pas faire oublier :

la politisation et la radicalisation d’un certain nombre d’étudiant(e)s et de lycéen(ne)s dans le récent mouvement « anti-CPE », y compris dans les établissements de la banlieue parisienne.

le fait que, depuis l’occupation de la Sorbonne, des jeunes de banlieue sont venus de plus en plus nombreux participer aux manifestations et aux émeutes au Quartier latin, sans rivalité débile entre groupes ou bandes, dans le plaisir partagé de la rue conquise par toutes et tous et de l’affrontement avec l’État. Sans préjuger des mesures de sauvegarde individuelle et collective qui pourront être imaginées dans les manifs, la ligne politique la mieux à même de réduire le fossé entre différents secteurs de la jeunesse en lutte me paraît être 1) le soutien politique aux émeutes à partir d’une position révolutionnaire anticapitaliste (soutien qu’aucune organisation politique n’a osé afficher) ; 2) le soutien matériel et juridique aux jeunes poursuivi(e)s à l’occasion des manifestations et des émeutes ; 3) la lutte contre le système pénitentiaire qui prend une place croissante dans le dispositif de contrôle social des pauvres, des jeunes, et particulièrement des jeunes pauvres. Il s’agit – liste non-limitative – des axes principaux sur lesquels se sont retrouvés un certain nombre de militant(e)s, sans parti ni organisation (même si certain[e]s militent par ailleurs dans un syndicat ou un groupe politique) après les émeutes de novembre 2005.

Ces personnes ont constitué l’Assemblée dite de Montreuil (parce qu’elle se réunit tous les jeudi à 19h à la Bourse du Travail de Montreuil, M° Croix de Chavaux ; mail : reunionmontreuil@no-log.org) qui tiendra jeudi prochain sa 19 ème séance. Lors des AG à l’EHESS occupée, et dans certaines AG de facs, l’idée a été émise de manifestations en banlieue. L’Assemblée de Montreuil en a organisé au moins 3, depuis novembre dernier (je n’ai pas pris le temps de vérifier le chiffre précis). Deux manifestations ont été organisée à Paris, l’une le 31 décembre 2005, de St Michel à la prison de la Santé. Cette manif et d’autres précédentes ont été organisées sous l’état d’urgence et sans demande d’autorisation.

Des actions de soutien et de collecte d’informations ont été menées au tribunal de Bobigny et à la prison de Fleury Mérogis. Il ne s’agit pas ici de « publicité », l’Assemblée de Montreuil n’étant pas une orga en position de recruter des militant(e)s (on remplit à peu près la salle dont on dispose). Elle est par ailleurs, du fait de son hétérogénéité même, incontrôlable par quelque groupe ou individu que ce soit (ceci dit à tout hasard !). Pas de pub donc, mais un exemple de ce qu’on a pu faire, et qui pourrait certainement être (mieux) fait et dans beaucoup d’endroits, en se gardant, au moins dans les productions collectives (je ne sonde pas les âmes !), de la fascination pseudo-radicale pour la violence comme des réactions purement émotionnelles, identification ou rejet hystérique. Les poursuites continuent contre les émeutiers de novembre (certains ont été arrêtés ces dernières semaines !) et les émeutes reprennent dans le mouvement anti-CPE sous une forme plus large avec les occupations de lycées et les bagarres quotidiennes dans la banlieue parisienne.

Le Combat à Durée Indéterminée contre la barbarie capitaliste se poursuit. Tâchons de puiser dans ses moments exaltants l’énergie pour supporter les dégueulasseries que produit ce monde y compris chez ses victimes. Aux combattant(e)s, salut et fraternité ! Claude

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Ne pas abandonner la rue

Nous aurions tort de croire que tous les jeunes partagent actuellement une idéologie ou une position politique. Par contre, permettre à ceux qui viennent « faire leur marché » ce type d’expérience, c’est aussi les installer tranquillement dans une posture et une identité. ils sont étiquette « casseurs » et ça devient une identité valorisante ; ils font l’expérience de la violence en réunion, ils vivent la peur qu’ils inspirent et en ressentent une fierté insolente (tout comme le passage en prison). Que nous travaillons par nos mobilisation et nos luttes à permettre à tous de prendre une place d’acteurs, une place pleine et valorisante ne passe sans doute pas par une caution de ces actions et de ces expériences. Déclarer qu’il s’agit d’être en guerre contre la pauvreté ne peut être symétrique d’une immunité accordée à ces « jeunes ». Là encore, ceux qui travaillent dans ces milieux populaires et aux côtés de ces « élèves » et de leurs familles, nous savons que leur rapport au devenir est plus que restreint mais que leur seul imaginaire, leurs seuls désirs passent par ce qui brille et par les marques. Les apparencesfinissent par être tout.

Quand on ne peut acquérir, on prend. Quand on est convaincu de ne jamais pouvoir accéder à ces signes extérieurs de richesse, on pille et on violente. Alors trêve d’angélisme, la facilité de la violence, de quel camps qu’elle vienne n’est qu’une preuve de faiblesse, point. Quand elle sert les responsables de la pauvreté généralisée, on ne peut que dénoncer et expliquer encore. Et faire preuve d’imaginaire pour que notre avenir soit plus solidaire et ne provoque plus ce type de situation. Et c’est bien pourquoi la CPE n’est qu’un détonateur qui doit permettre de dépasser la question posée et qu’il serait temps que chacun d’entre nous appui sur nos décideurs pour que, non seulement la question du travail, mais celle de notre système social, de ses bases et de ses objectifs soient posés. Sinon, la tendance nihiliste et schizophrène envahira tous les espaces et nous ne pourrons que dénombrer les pertes, tout en comptant les victimes des règlement de compte, des jalousies, des envieux … tous ces « pauvres » qui s’élimineront entre eux sans que les responsables n’y mettent les mains. Les prochaines manifestations auront sans doute une autre allure mais ce n’est qu’une forme de lutte, il ne faudrait pas abandonner la rue en abandonnant du même coup de vue ce à quoi nous tendons.

Laurent (source Réseau des bahuts)