Alors que de plus en plus de monde arrive, trois policiers de la BAC traversent le cortège, tranquillement. Très confiants, matraques métalliques en mains. Un flic attrape un jeune par le sweat pour l’embarquer. Réaction saine et collective : désarrêter le camarade, et virer les importuns de la manif sans ménagement. L’autorité armée et impunie n’est pas la bienvenue dans le défilé.

La manif démarre à l’arrivée du cortège des livreurs en lutte depuis des semaines à Nantes. Les slogans internationalistes fusent derrière une banderole représentant différentes images des révoltes mondiales ces dernières années. Un cortège de tête dynamique dont les rangs grossissent progressivement, avec une banderole de queers révolté-es constellée de t-shirt colorés.

La dimension internationaliste et révolutionnaire est partout présente, avec des drapeaux palestiniens, bretons, pour soutenir les féministes en Amérique Latine ou les YPG au Rojava. Ou encore le mot “Liberté” traduit en arabe. Des tracts pour les 40 ans de la mort de Bobby Sands en Irlande du Nord sont distribués.

Arrivé vers la préfecture, le cortège s’arrête, puis bifurque pour prendre la police par surprise et rejoindre la rue du Roi Albert, zone militarisée et inaccessible aux manifs depuis des dizaines d’années. Premiers gaz de la journée, riposte avec des deux d’artifices.

Le long de l’Erdre, la préfecture inaugure sa barricade en chantier : une palissade protège la construction d’une… future palissade ! Les murs se couvrent de slogans tandis que deux, puis trois lances à eau s’acharnent contre la banderole de tête. La palissade est découpée en plusieurs endroit, les arroseurs repeints de couleurs et le dispositif débordé.

Cours des 50 Otages, la volaille revancharde encadre le cortège dans un climat de pétarade. Les panneaux publicitaires qui polluent la ville se volatilisent. Quelques tentatives d’emprunter les rues commerçantes sont repoussées.

Le trajet annoncé devait passer par la place Royale et la rue Crébillon, mais le préfet a modifié et raccourci au dernier moment le parcours. À Commerce la police se rend soudainement compte que le trajet autorisé passe à côté d’un chantier : une source d’approvisionnement inépuisable comme pour des soldes à Jardiland. Le gazage qui s’ensuit est brutal, et une personne est arrêtée lors d’une charge.

Temps d’arrêt, puis la manifestation continue sur sa lancée, toujours festive et dynamique, bourrée de slogans ponctués d’un peu de verre brisé : banques, assurances ou officines de la mafia immobilière qui tuent la ville. Un magasin Hugo Boss reçoit un tag « Nazis », rappelant que le créateur de la marque habillait les SS.

C’est sous une pluie de confettis et d’applaudissements que le cortège de tête arrive à Graslin, où une partie de la manif commence déjà à s’installer pour les prises de parole. Pendant ce temps, le cortège de tête tente une percée rue Crébillon pour permettre à celles et ceux qui veulent continuer un deuxième tour pendant que le reste profite de la fin de manif sur place. Alors que les manifestant-es se réorganisent à peine, un déluge de lacrymo s’abat immédiatement sur la place.

Graslin est vidée de ses manifestant-es en quelques secondes Plusieurs personnes font des malaises et sont prises en charge par des médics, les enfants sont évacués. Au milieu de la place, dans un nuage épais, ne reste qu’une buvette roulante abandonnée le temps de fuir.

Reprenant leurs esprits, les manifestant-es reviennent peu à peu sur la place, en colère d’avoir vu le premier mai gâché par la bêtise policière. Une personne prend alors la parole au micro, afin d’accuser le cortège de tête d’avoir « gazé des enfants » et d’affirmer que « le premier mai est un événement non-violent ».

Une erreur historique qui provoque quelques huées. Dans une ville marquée au fer rouge par les violences d’état, et où le souvenir de Steve est dans toutes les têtes, c’est l’incompréhension face à un tel discours. Une engueulade façon village d’Astérix a lieu.

Une jeune femmes identifiée comme membre du cortège de tête reçoit trois coups de poings au visage par une personne cherchant à lui faire comprendre le concept de « non-violence ». Ironique. Dommage, le Premier Mai n’appartient pas qu’aux centrales syndicales, mais à toutes les personnes qui luttent, syndiquées ou non. Personne ne comprend vraiment qui se bat contre qui : tout le monde s’est fait gazer, tout le monde est en colère, et seuls les flics en armure à quelques mètres sont goguenards.

Plusieurs personnes du syndicat Solidaires viendront tenter de calmer les esprits, avec plus ou moins de succès. Moment frustrant malgré la réussite numérique et symbolique incontestable de la manifestation.

Retenons l’ambiance bigarrée et offensive de ce défilé ensoleillé. Un Premier Mai comme Nantes n’en avait pas connu depuis des années, qui augure un déconfinement des colères.