Voilà un texte que je voulais rédiger depuis un moment. Mais j’avais besoin d’un temps de réflexion sur la situation à laquelle j’ai été témoin.
Je suis passé dans une ZAD pour un projet perso, et j’apprends quelques jours après qu’il se prépare une réunion concernant la construction d’un poulailler sur zone. À savoir que sur cette ZAD, il y a plusieurs collectifs, certes unifiés contre un projet gentrificateur, mais avec des divergences. Et dans ce contexte-ci, sur la question de la souffrance animale. Je préfère prendre parti dès maintenant : je suis antispéciste. Un antispéciste qui a rompu tout lien avec les associations vegans extrêmement problématiques dans l’état actuel, et qui préfère se concentrer sur autre chose tout en continuant à soutenir de loin.
Il y avait donc pour ce débat trois groupes :

  • Dans le premier groupe, deux modérateurIces : une personne antispéciste et une personne spéciste. Généralement je suis assez contre les cases de neutralité. Mais de ce que j’ai vu, iels avaient plus un rôle de « ok ellui a dit ça, ellui autre chose, on rappelle de temps en temps les avancées et les problématiques soulevées ». Soit.
  • Le second groupe : les personnes spécistes (pro poulailler du coup)
  • Le dernier groupe : les antispécistes.

La réunion succède à 2 anciennes réunions. Ça fait 10 mois que le débat est lancé et saoule tout le monde. Ça fait 10 mois qu’un consensus est recherché. Sauf que voilà… Il est là le problème : un consensus ? Vraiment ?
Un poulailler, dans son existence même, constitue une atteinte aux principes antispécistes. C’est un outil d’exploitation qui prive les personnes qui y vivent de liberté de mouvement. Si vous voulez une introduction douce sans passer par des vidéos L214 très explicites, aller voir la superbe animation Chicken Run qui est trop stylée.
Trouver un consensus, c’est assez galère avec des antispés quand on parle de faire un poulailler. La seule solution selon moi aurait été de laisser les poules libres sur la zone, de tracer tous les mois leurs itinéraires afin de savoir quels sont les lieux privilégiés pour la ponte, faire une caisse collective pour payer les soins vétérinaires, penser à une zone inacessible pour les dogos, et que les personnes « sélectionnées » soient des poules de retraite. Des poules qu’on a sauvées des abattoirs.
C’est déjà un début de solution. Je ne suis absolument pas contre loger des poules chez soi. C’est mieux que les élevages et l’abattoir.
Mais ces solutions n’ont pas été retenues. Le but était de sauvegarder une « race de poule ancestrale ». Apparemment c’est un des combats de la lutte paysanne. C’est totalement questionnable sachant que la sélection a modifiée génétiquement des espèces (cas exemplaires : les chiens, les chevaux, les poules !). Je pars peut-être d’une posture très naïve sur la question, n’étant pas fan de tout ce qui est cette exploitation.
Deuxième point soulevé par les personnes spécistes : le fait que les antispécistes ne prennent pas en compte leurs valeurs en retour alors qu’iels ont fait l’effort de comprendre les ressentis de leurs adversaires.
Le truc, c’est que c’est juste pas possible en fait. Le poulailler, c’est spéciste. Et le spécisme est une oppression systémique. Il est de fait impossible de remettre en question cela, et même avec toute la bonne volonté du monde.
Une personne pro poulailler a pris la parole mais de façon subversive. Celle-ci a lu le livre que son frère, ancien éleveur, a écrit. Grosso modo c’était : les animaux sont heureux dans un élevage bio. « J’aime » mes animaux et je suis toujours triste de les voir « partir ». *Instant gênant*
J’ai mangé des pop-corn dans mon coin tout en observant le visage saoulé d’une personne antispéciste présente sur zone depuis le début de la ZAD et habitué à ce genre de débat. Cette personne garde un calme olympien et adopte une répartie tout bonnement impressionnante en disant qu’elle n’aurait jamais osé lâcher un speech sorti d’un livre pour imposer une idée, d’une façon plus élitiste que dans le cadre de la discussion. Le problème de fond vis-à-vis de ce genre de méthode explicative, c’est que tu ne maîtrises pas ton sujet. Ou que tu as besoin d’une personne plus légitime que toi pour valoriser ta position. Je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais utilisé la thèse d’un nutritionniste.
Une dernière personne a expliqué, et de façon très juste, que renoncer à tuer des bébés mâles et tuer des poules trop vieilles, c’est faire du demi-élevage. Elle a tout-à-fait raison. Et justement, c’est 0 élevage que les antispé veulent. Pour des raisons éthiques, écolo, de santé, etc.
Finalement on a vite compris que le consensus n’était pas possible, et les antispécistes étant minoritaires, ont bien dû accepter le fait qu’il y aurait un poulailler. C’est déjà aller à l’encontre totale de leurs idéaux, rappelons-le.

Mis à part cet épisode que j’ai trouvé vraiment intéressant, et de façon plus générale, jusqu’où pouvons-nous cohabiter dans une zone où une oppression n’est pas reconnue ? Jusqu’où pouvons-nous trouver un consensus ? Jusqu’où pouvons-nous aller sans finir par agir dans la violence ?
La question est beaucoup plus large et la situation n’est absolument pas binaire.
Quand tu vis avec des personnes qui viennent d’autres pays avec une autre culture qui comprend la consommation de personnes spécisées, on ne peut pas avoir la même approche. Ce serait juste reproduire des codes coloniaux et xénophobes envers des personnes qui sont souvent minoritaires et racisées. Car oui le veganisme, c’est clairement un truc de blanc en France. Je précise en France.
J’ai pas de réponses à ça et c’est sûrement pas à moi d’en donner une. J’ai un héritage juif qui implique de consommer, voire sacrifier des personnes spécisées, mais je reste blanc et j’ai toujours vécu en France. J’ai une double culture et j’ai pu plus facilement m’émanciper de certains codes puisque la société n’est pas constamment contre moi contrairement à d’autres. Je n’ai pas ce devoir de me montrer solidaire envers ma culture natale pour ne pas aller à l’encontre de mon identité car celle-ci est déjà comprise comme faisant partie prenante des normes de la société.
Il faut donc rester très attentif à quel public on s’adresse quand on cherche à expliquer les arguments antispécistes. Beaucoup de personnes qui viennent d’Afrique consomment majoritairement des produits végétaux. Les termes végétarienNes, VégétalienNes et VeganEs ont moins de sens à leurs yeux.
Des amiEs d’enfance descendantEs d’immigréEs portugaisEs des bidonvilles de Champigny m’ont bien fait comprendre que continuer à consommer des chaires de personnes de façon régulière reste dans la continuité d’une culture imposée par une société française inégalitaire des années 1960 où la seule façon de se procurer le minimum de calorie passait par la consommation de viande, de fromage, etc. Des aliments très gras mais qui te maintiennent en vie. Je me verrais mal aller vers elleux en mode « coucou tu manges des gens, arrête stp ». Ça demande un peu plus de rigueur et de réflexion sociologiques.
On peut encore continuer longtemps sur la question de l’accessibilité du végétalisme. Mais quand il s’agit de personnes blanches qui n’ont a priori pas grandi dans la misère (et là je retourne à mon récit sur le fameux poulailler), il n’y a que peu d’excuses sur le fait de dénigrer une souffrance réelle qu’on pourrait éviter.
Je pense que j’aurai toujours ce souvenir en tête. Je suis parti avec un pote dans un squat en Bretagne histoire de profiter de mes vacances. La première discussion que j’entends, c’est deux gars qui parlent de comment égorger un cochon et comment l’un s’y est pris. Concrètement : l’intérêt de faire ça dans une situation où la bouffe ne manque pas, aucun. La seule raison justifiable, c’est que la personne soit chasseur. Est-ce qu’on a vraiment envie d’entretenir des liens avec des chasseurEuses ? Des gens qui tuent pour leur foutu plaisir ? Pour en avoir vu à l’œuvre en m’amusant à saboter des pièges dans une partie de chasse de groupes d’extrême droite, les entendre jubiler de plaisir à la vue du sang, c’est juste effroyable en fait. Concernant les chasseurSes, je vais être très clair. Ce milieu craint de ouf politiquement et éthiquement. L’excuse de la régulation de l’écosystème, c’est faux et archi faux étant donné que c’est nous qui détruisons via un spécisme systémique notre écosystème.
Le débat sur la question animale est donc un débat qu’on doit avoir dans tous les lieux de résistance : squat politiques, ZAD. C’est quelques choses que les camarades ne peuvent plus éviter. Et à l’inverse, les antispécistes doivent ratisser fort sur les autres questions sociales dans une démarche intersectionnelle.

Quand on vit dans des zones où l’on a accès à absolument tout le confort en termes d’alimentation végétale assez calorique pour subvenir à nos besoins, c’est quoi l’intérêt de continuer de graille des produits d’origine animale à part parce que « c’est trop bon » ?. Je préfère rappeler (parce que ce n’est toujours pas clair) que la B12, ce n’est pas quelque chose qui se reproduit spécifiquement dans la chaire. Elle se reproduit de façon très infime et les agriculteurEs capitalistes (bio ou non) rajoutent de la B12 dans la consommation des personnes spécisées. La synthétisation de la B12 ne s’est pas faite il y a 10 ans quand le mouvement a recommencé à prendre de l’importance.

Les antispécistes ne resteront pas dans une forme de non-violence sur ces questions-là indéfiniment.

J’ai vraiment essayé de rester le plus cool possible vis-à-vis des camarades pro poulailler. J’ai discuté avec elleux et c’est des gens vraiment cool. On aime touTes le poulet grillé. Simplement quand on continue d’obscurcir une oppression systémique alors qu’on a toutes les cartes en main et les réflexions nécessaires pour arrêter, le feu et le pied de biche s’imposent tard le soir pour casser des planches de bois rassemblées en forme de prison.

Note

PS pour les camarades des squats autour de Paname : après avoir été au marché de Rungis faire des récup avec les potes, les fruits et légumes, c’est pas ce qui manque.