Depuis 2005 et le TCE, la question de la souveraineté française dans l’union européenne est lentement redevenue un thème de débat sérieux. Ou plutôt le débat sur la question de la souveraineté dans l’UE est sérieusement devenu n’importe quoi. Là où jusqu’à présent seuls des illuminés remettaient en doute la réalité de la souveraineté de la France dans l’UE, on peut désormais entendre régulièrement des politiques de premier ordre pérorer sur le prétendu asservissement de la France à une puissance étrangère. C’est même toute une partie de la gauche de la gauche et de l’extrême gauche qui se retrouve à troquer son anti-impérialisme contre l’anti-impérialisme fantoche de la lutte contre l’Union Européenne.

Il faut dire que c’est pratique, ça permet de faire retomber les fautes sur un ennemi qui présente les deux avantages : d’être extérieur et d’avoir des contours précis. Plus besoin de s’interroger sur les rapports de classes complexes qui traversent les sociétés capitalistes avancées, plus besoin de détisser les liens d’exploitation/domination multiples qui définissent les rapports sociaux. Non, là on a un méchant, il est même pas vraiment d’ici, il a un nom et on peut tranquillement le détester sans se poser de question. Finalement c’est un bon ennemi comme on nous a appris à les aimer dans les films hollywoodiens. Et ça, c’est pratique quand la pédagogie et le débat ont été remplacés partout dans les médias mainstreams par la communication et le bavardage.

Bon, il faut dire que cette haine, l’UE l’a bien cherché quand même. Depuis 30 ans elle a suivi avec obstination la voie libérale la plus obtuse. En même temps, planqué dans un sommet international ou au fin fond d’une commission à Bruxelles, on entend pas bien les gens qui gueulent dans la rue, c’est pratique. Et les types ont pu s’en donner à cœur joie. On a donc vu les pactes, traités, processus et lois les plus crassement libérales se succéder en même temps que contre les étrangers se construisait l’Europe Forteresse de FRONTEX. Ce ne sont pas quelques maigres avancées pour les libertés publiques obtenues au passage qui parviendront à effacer ce constat. S’il était encore besoin de noircir le tableau, on a eu la bonne idée de soumettre le TCE à référendum avant de s’assoir sur le résultat. Ce qui, dans un premier temps, a été décrit comme un formidable moment de démocratie, où la population s’était dressée contre l’avis d’une presse et d’une classe politique quasi unanime, a fini dans le fiasco de l’application en catimini de ce qui avait été refusé au grand jour. L’Europe est alors devenue synonyme du truc où on décide sans nous.

Pourtant soyons sérieux deux minutes, les institutions européennes ne fonctionnent pas comme des entités détachées des états dont elles sont l’émanation. Il n’existe pas de population apatride européenne qui trusterait une vaste organisation internationale qui aurait pris le contrôle des états depuis l’extérieur. Ce sont bien nos dirigeants qui ont ratifié chaque ligne de chaque traité à la base de l’UE. Chaque fonctionnaire européen est là en vertu de décisions qui ont été ratifiées par des gens que nous avons à un moment ou à un autre élu. Si les décisions de l’Europe sont si nuisibles aux populations européennes, ce n’est pas en vertu d’un pacte secret signé sur notre dos, mais bien le résultat du processus démocratique habituel de nos sociétés. La classe politique Européenne n’est rien d’autre que l’addition des classes politiques des différents pays européens. Les médiocrités qu’on y retrouve sont les mêmes et surtout, les intérêts défendus sont les mêmes. Comme partout on y décide sans nous.

Si il y a un Nous qui est absent des décisions européennes, ce n’est sûrement pas celui de l’État français. Pour tous les européen⋅e⋅s l’Europe est synonyme de la puissance du couple franco-allemand, et il n’y a bien qu’en France qu’on pense que l’Europe c’est l’Allemagne. C’est bien contre cet axe Paris-Berlin que les Anglais du Brexit ont voté, et c’est encore cet axe que Trump défie quand il s’en prend à l’Europe. Le PIB de la France et de l’Allemagne est plus important que le PIB réuni de toute l’Europe de l’Est, ne nous inquiétons pas pour la place de la France dans ce rapport de force.

Si il y a un Nous qui est absent des décisions de Bruxelles, c’est le même que celui qui est absent des décisions françaises : c’est le nous de ceux et celles qui n’ont que leur travail pour vivre et qui n’ont pas l’indécence de faire celui de politicien. A faire tomber Bruxelles, il n’y a aucune chance de voir nos intérêts être mieux représentés qu’ils ne le sont aujourd’hui. En France ce seront toujours les mêmes institutions et les mêmes dirigeants qui décideront pour nous. La rigueur, les privatisations, les délocalisations : tout ça serait la faute de l’Europe, mais c’est bien dans les programmes des formations politiques que nous élisons, que nous avons d’abord vu ces propositions.

Et c’est bien là que se situe tout le problème avec ce discours sur la prétendue perte de souveraineté face à l’Europe, c’est un bon moyen de nous faire oublier qu’ici comme là-bas la classe politique ne nous représente pas. Ici comme là-bas elle défend les intérêts de ceux qui ont l’argent et les entreprises, il n’y a aucune libération à trouver face à l’Europe. Derrière chaque prétendue application de politique européenne il y a des politiciens bien français qui agissent. Les même politiciens ne se sont pas gênés pour ne pas respecter les 3 % de déficit pendant des années. Ce sont eux qui font voter les décisions qu’ils font ensuite semblant d’appliquer à regret. En parlant d’Europe on ne parle pas du vrai problème, le partage de la richesse. Il est bien plus facile, pour un politicien, de s’en prendre à l’Europe qu’à ceux qui ont l’argent et qui financent ses campagnes.

Il n’y a pas de salut à trouver dans le repli national, l’union européenne a permis de domestiquer le rapport de force entre les différentes bourgeoisies des pays qui la compose. Grace à l’UE elles ont cessé de nous envoyer régulièrement nous entretuer les uns contre les autres sur leurs champs de bataille pendant que montaient leurs profits. Partout, le nationalisme c’est la guerre. Et les guerres c’est nous qui allons y mourir. C’est le rapport de force politique qu’il nous faut changer pour que ceux qui n’ont que le travail pour vivre soient partout représentés. Détruire l’Europe ou la quitter ne mènera nulle part. Ce sont les mêmes maîtres qui continueront à édifier les lois, à posséder nos entreprises, à nous envoyer à la guerre…