ACT 5 Le Samedi 15 décembre 2018. #GJintergalactique

Au départ, il s’agissait d’une colère contre les politiques climatiques néolibérales, d’une révolte contre une taxe injuste sur le carburant qui fait payer aux travailleurs plutôt qu’aux riches et aux multinationales les plus coupables le prix de la pollution de notre planète. Aujourd’hui, quatre semaines plus tard, c’est devenu un soulèvement populaire pour la dignité, une rébellion contre l’élite et son monde, un cri pour l’égalité. Elle s’est transformée en un puissant refus de la représentation, des porte-parole, des partis politiques et des syndicats. Nous avons tous été dépassés par ce qui s’est déroulé, les gens sont devenus plus qu’eux-mêmes ; parce que nous sommes impossibles à définir, le seul code que nous ayons est un code couleur, tous les autres sont brisés. Nous sommes trop divers et décentralisés pour être appelés un mouvement, trop différents pour être regroupés sous une appellation, disons simplement que nous sommes un soulèvement ! Certains en Europe ont tenté de faire de celui-ci un emblème de leurs idées d’extrême-droite, tentant d’instrumentaliser notre hétérogénéité. Le gilet jaune était initialement un outil de sécurité routière, c’est aujourd’hui un événement sans précédent qui ouvre la ligne de faille qui trace notre avenir, un gouffre que nous devons combler, entre justice sociale et justice environnementale. Il nous invite tous à faire un choix entre les classes politiques et le peuple, entre la fermeture des frontières et l’ouverture des possibilités, entre désespoir et espoir.

Ce samedi 15 décembre sera un moment clé, l’ACTE 5. Chaque samedi a été appelé un acte, comme une reconnaissance que le plus beau théâtre populaire a lieu dans les rues, quand nous sommes vêtus de costumes d’un jaune fluorescent, grouillant comme des abeilles désobéissantes. Pendant les jours de semaine, nous avons appelé à bloquer le flux de l’économie – routes, raffineries de pétrole, usines, etc. Déjà, le ministre de l’Économie dit que plus de 10 milliards d’euros ont été perdus et que la croissance économique de la France en sera affectée. Tous les samedis, la consigne est d’entraver la consommation – supermarchés et centres commerciaux – et de se rassembler à proximité des symboles du pouvoir d’Etat – le palais présidentiel à Paris et les préfectures dans les régions. Alors que toutes les caméras du monde se sont concentrées sur les Champs-Elysées, notre essaim de gilets jaunes ne vient pas des métropoles, mais des périphéries oubliées, et le soulèvement continue avec des blocus dans les villages et les villes du pays. Ceux d’entre nous qui ne peuvent pas passer leurs journées et leurs nuits dans les cabanes de fortune qui ont surgi sur les ronds-points occupés, ou rejoindre ceux qui ferment les péages des autoroutes, apportent des gâteaux, des palettes pour alimenter les feux, du café chaud le matin ou des conseils juridiques à ceux qui n’ont jamais enfreint une loi auparavant.

Au théâtre, l’acte 5 est le dernier, qu’il se termine par la catastrophe ou la victoire. Ce samedi, l’avenir de cette rébellion est en jeu, c’est pourquoi nous vous invitons, à travers le monde et au-delà, à nous rejoindre, à revêtir votre gilet jaune et à agir solidairement. Par le passé, la France a déjà fourni l’étincelle qui a mis le feu aux poudres de l’histoire. Celle d’aujourd’hui requiert un souffle venu d’ailleurs pour se maintenir allumée. Ce samedi, nous devons démontrer que l’acte 5 ne sera pas final. Nous sommes en train d’écrire le scénario, en redevant acteurs de nos vies.

Dans la perspective de l’ACTE 4, samedi dernier (8 décembre), l’Etat français a tenté d’éteindre l’incendie avec l’arme de la peur, “les gens vont venir avec des armes à feu… ils sont prêts à tuer”, a déclaré le ministre de l’Intérieur aux caméras. Il a annoncé la plus grande mobilisation policière de France depuis mai 68 – 89.0000 policiers à travers le pays, douze véhicules blindés à Paris, des hélicoptères tirant des gaz lacrymogènes, des canons à eau. “La république est en sécurité”, a-t-il dit pour rassurer la nation. Puis ils ont commencé à arrêter et à humilier les lycéens qui s’élevaient contre la réforme du système scolaire et ceux qui avaient fait appel aux réseaux sociaux qui ont été l’élément vital de ce soulèvement. Mais ça n’a pas marché, nous ne sommes pas restés à la maison, des dizaines de milliers d’entre nous sont sortis pour l’acte 4 et ont continué à réclamer la destitution de Macron. 1700 d’entre nous ont été arrêtés (des centaines à titre préventif), plus de 200 ont été blessés, la police a empêché certains journalistes de faire leur travail, et des émeutes ont éclaté dans plusieurs villes.

L’élite et leurs chaînes de télévision en direct sont frappées de mutisme, ils essaient d’étiqueter, de comprendre, ils cherchent des porte-parole, un représentant, des revendications claires. Mais ils regardent l’ancien monde, nous créons le nouveau. Leur plus grande crainte est qu’en dépit de leurs tentatives de nous diviser, de prétendre que nous sommes d’extrême-droite, ou d’extrême-gauche, des “hooligans violents “, des “professionnels du chaos “, la population reste avec nous, 72 %, alors que seulement 18% sont en faveur de Macron, selon de récents sondages. A leurs ridicules étiquettes fantaisistes, beaucoup d’entre nous répondent que nous sommes simplement révolutionnaires, que nous sommes ceux qui n’étaient autrefois rien aux yeux du pouvoir, et que nous le faisons maintenant trembler.

Lundi soir, le président Macron, dont le mépris profond a jeté de l’huile sur le feu, a rompu son silence, 23 millions de personnes l’ont regardé en direct alors qu’il tentait de feindre l’autorité et de calmer la colère. Il a promis des choses qu’il avait juré de ne jamais abandonner deux jours plus tôt : une petite aide pour les travailleurs au salaire minimum, aucune taxe sur les heures supplémentaires. (La taxe sur l’essence a déjà été réduite la semaine dernière). Il n’a jamais mentionné le mot écologie et s’est assuré que les riches et les capitaux ne seraient pas taxés. Mais peu ont été dupés par les miettes qu’il nous a jetées, tandis que les gilets jaunes regardaient l’écran, chaque annonce a été huée : “Il se fout de nous…” ”Macron n’a pas saisi l’ampleur de ce qui se passait”, a dit l’un d’eux à la presse, “Nous demandons maintenant de changer le système !”

Se blottissant autour d’un feu de joie au milieu d’un rond-point, l’un d’entre nous a rappelé à tous la force de l’amitié que nous avons nouée ce mois-ci : “On se rencontre, on s’embrasse. Notre silence nous a tués, dit-il, nous sommes restés silencieux trop longtemps. Nous étions invisibles. Le jaune nous a sauvés.” Pendant ce temps, sur les murs gribouillés et chantés partout, on peut lire les mots “nous ne voulons pas seulement survivre, mais vivre”.

Samedi dernier à Paris, un flic a dit à l’un de nous : “Si tu veux rester en vie, rentre chez toi.” Ses paroles effrayantes font simplement écho à la violence que tous les gouvernements sont prêts à utiliser lorsqu’ils ont l’impression que le peuple est devenu ingouvernable. Le gilet jaune était autrefois un banal symbole de sécurité, une couleur pour éviter le danger, maintenant il est devenu une cape magique de visibilité, une force fluorescente qui demande : qui sera chargé de sauvegarder notre avenir fragile ? Soit ceux qui le voient comme une opportunité de faire de l’argent, d’augmenter leur contrôle sur la population, soit le peuple…. Nous étions autrefois invisibles, juste rien, nous sommes maintenant partout….

Samedi 15 décembre, ACTE 5, cette fois-ci c’est intergalactique, tout est bloqué (surtout les multinationales françaises, symboles de l’Etat français et les banques dans vos territoires).

signé….

La Maison du Peuple, st Nazaire

ps

Alors que nous terminons cet appel à l’action, nous apprenons que les autorités égyptiennes ont ordonné aux points de vente commerciaux de restreindre la vente des gilets jaunes, craignant que les manifestants égyptiens ne nous imitent, surtout à l’occasion du huitième anniversaire du printemps 2011…