Agir ou subir…

La première revendiquée parfois comme asociale et anarchiste individualiste revient à se poser dans les espaces libérés en attente du chantier, sans trop chercher à nouer des liens, quitte à confronter ses valeurs avec le mode de vie des habitants locaux (chasseurs, éleveurs ou salariés, propriétaires ou locataires) quitte à dégager sous d’autres cieux si la pression devient intenable. La deuxième vise la durée en recherchant une autonomie relative ( habitat auto construit, nourriture à prix libre, etc) avec des collectifs comme Sème ta ZAD, Abracadabois, Curcuma – atelier de mécanique agriole… autour de dynamiques politiques communes (liens avec les habitants qui résistent, agriculteurs ou salariés de la métropole en lutte, populations des bourgs environnants,…) en créant une relation de confiance et de respect réciproques…

Une fois la lutte contre l’aéroport remportée, ces deux options ne pouvaient plus coexister, divergeant complètement dans leurs perspectives. La réouverture de la route des chicanes en fut le signal en mars. L’Etat et sa police ont d’ailleurs avalisé ces deux positions ; la plupart des lieux d’habitation qui ont accepté de dialoguer pour négocier le maintien des occupations n’ont pas été rasés. Ces lieux avaient aussi construit avant des liens élargis, bénéficiaient de solidarités extérieures. En étant simplement plus intégrés et moins en confrontation avec les villageois, leur destruction était simplement moins urgente et moins facile. La destruction des Cent noms le 9 avril ( lieu représentatif de certains projets à long terme ) l’a un peu illustré avec une mobilisation élargie les jours suivants.

Hors piste, CMDO, CHIPS, POMPS…

Les tensions fortes qui perdurent aujourd’hui sur la ZAD reposent aussi sur le rôle qu’un groupe a joué pendant plusieurs années. Secret ou informel au début dés 2012, il a choisi depuis bientôt un an de s’assumer comme tel et regroupe une quarantaine de personnes d’une dizaine de lieux, mais aussi à Nantes. Il s’est finalement appelé par auto-dérision CMDO ( Comité pour le Maintien Des Occupations, du nom d’un groupe créé en mai 68 par les situationnistes) et a notamment publié deux textes ( le 10-02 « ZAD will survive » et le 14-05 « Tank on est là ») lisibles sur le site de la ZAD. Si d’autres groupes se sont bien constitués en réponse à côté, POMPS (Pas Ouvert Mais Pas Secret), CHIPS, ils sont plus que discrets.

Face à l’inertie, la lenteur et une certaine incapacité collectives, le CMDO a fini par fonctionner comme une avant-garde auto proclamée, énergique, assurant la communication, l’écriture, une bonne partie des initiatives zadistes ; mais des actions brutales sont aussi attribuées à certains de ses membres à tort ou à raison, entraînant inévitablement réactions, rejet, défiance.

Un mode de fonctionnement ni efficace, ni démocratique

Les assemblées générales de la ZAD sont censées fonctionner au consensus, à l’unanimité. Mais ce mode de décision, théoriquement satisfaisant du point de vue du respect des individus, se révèle voué à l’impuissance puisqu’une seule personne parmi plusieurs centaines peut tout bloquer en s’opposant à une décision (exemple du fonctionnement de la FA). Un remarquable texte de Murray Bookshin – Anarchisme mode de vie contre anarchisme lutte de classes, un abîme infranchissable- (disponible en brochure téléchargeable sur le site de l’OCL) illustre l’impasse du fonctionnement de la ZAD, et se prononce pour un fonctionnement majorité-minorité évitant l’impuissance collective. L’élaboration de contre-propositions par les minorités et un cheminement collectif en dépassant les désaccords auraient pu éviter de tomber dans la pratique zadiste qui s’est finalement mise en place : des Ags cadrées par des ordres du jour précis, des propositions très travaillées et difficilement discutables, des conclusions préparées à l’avance et soutenues avec enthousiasme… Bien sûr ça a donné des assemblées très efficaces mais c’était clairement démotivant pour s’impliquer plus, et les Ags ont été progressivement désertées par de plus en plus d’occupant-e-s. Mais peut-être que la réalité de la ZAD, avec ses deux options de départ (voir plus haut) ne pouvait pas avoir une autre issue que celle qui s’est instaurée, compte tenu de l’absence, ou de l’échec, de dynamiques politiques plus globales en France (loi travail, grève des cheminots, mouvement scolarisés,….

En-dehors des AG, des commissions étaient ouvertes officiellement à toutes les bonnes volontés et mandatées pour rédiger les textes ; une personne de l’extérieur qui s’y hasardait avait rapidement l’impression de poser des mauvaises questions à des personnes s’étant déjà vues avant. Mais après tout, les zadistes sont tout le temps ensemble ?! Et puis la manie du secret contre les infiltrations policières, avec le refus de s’appeler autrement que Camille, incitait à ne pas poser de questions sous peine de devenir suspect…. Il faut sûrement voir dans ce côté opaque des relations avec l’extérieur, l’explication du désinvestissement total de la ZAD par le milieu politique nantais libertaire ou d’extrême gauche organisé, sinon pour certaines « grandes » occasions. Pourtant, l’affaire de Tarnac l’a démontré, ces cloisonnements n’empêchent pas l’infiltration de vrais indics. Elles gênent par contre fortement le débat politique du mouvement, renforçant la structuration de pouvoirs en l’absence de critiques.

Un autre trait, qui a renforcé ce côté secret et manipulateur, rebutant et démotivant pour des non-habitants en particulier, est l’investissement à long terme du non-groupe dit « appeliste », venu de la Maison de la Grève de Rennes pour les plus anciens. Cette avant-garde politique et élitiste, qui se veut invisible tout en construisant des bases d’appui comme à Tarnac ou à la ZAD, et qui publie régulièrement (l’insurrection qui vient, l’appel, à nos amis, etc ) a bien sûr intégré le groupe large téléguidant la ZAD. Aussi les désaccords et rejets pré-existants à l’égard des appelistes se sont reportés sur le groupe plus large.

A force d’être incontournable pour tout ce qui comptait dans la direction de la lutte, les initiatives – parfois trés bonnes -, la communication, avec toujours les mêmes individus mandatés, les mêmes tics de langage ampoulé, d’écriture emphatique , et les mêmes méthodes, la combine s’est éventée, le groupe « secret » ne l’était plus.

Un champs… de ruines

Il n’y a donc pas que les cabanes qui sont en ruine sur la ZAD. Comment refaire confiance à des personnes qui arrivent en réunion avec une tactique cachée pour imposer des choix, verrouillent des assemblées, transformées en simples chambres d’enregistrement, à moins d’arriver soi-même avec une motion déjà écrite, un projet déjà bien ficelé, un tract ou une affiche déjà tirée,..? Plus inquiétante encore est la contradiction que porte ce genre de pratique. Par souci d’efficacité, par recherche de gain de temps – il y a tellement de réunions sur la zad qui concernent tellement de sujets… – il est très rare de pouvoir creuser toutes les implications d’une décision.

Pourtant le collectif permet en théorie de mieux traduire des intérêts communs. Mais alors où est le projet politique d’un fonctionnement horizontal, sans spécialiste prenant en otage le débat, sans être « en guerre » avec son interlocuteur… On comprend mieux les nombreux départs de la ZAD, moins par manque de toit que par perte de…foi ?! Si l’urgence ne permet pas un fonctionnement démocratique satisfaisant, il est important que cela soit décidé le plus collectivement possible pour revenir dés que possible à un processus horizontal.

S’organiser, une nécessité, mais pas n’importe comment…

Si à posteriori, le fait de s’organiser pour éviter le naufrage du fonctionnement collectif en 2012 apparaît légitime et même nécessaire, les implications de la façon de procéder adoptée par le futur CMDO sont une impasse pour un projet politique révolutionnaire anti autoritaire. Le fait d’agir secrètement dans les assemblées générales, comme dans le maintien de l’ordre sur la ZAD pour arriver à ses fins, instaure un pouvoir séparé du collectif, une hiérarchisation interne au mouvement (ceux et celles qui savent, et les autres qui ignorent la vérité) qui mine les indispensables unité et cohésion du mouvement de lutte. Cette façon de procéder secrètement dans un processus collectif s’apparente plus à une avant-garde auto-proclamée qui a décidée comment il fallait agir pour le bien du collectif, quitte à s’imposer à la volonté du collectif si celui-ci s’oppose ou résiste. Historiquement les échecs de telles pratiques révolutionnaires, prônées par les groupes marxistes léninistes notamment, ne peuvent qu’inciter à les rejeter. Si un groupe intervient ouvertement en tant que groupe séparé dans une assemblée, avec proposition d’analyses et de pratiques, l’assemblée peut s’en emparer ou pas mais conserve sa liberté du choix final. Ca nécessite aussi qu’il n’y ait pas de rejet à priori des groupes organisés, ce qui est malheureusement dans certains milieux post-modernes une forte tendance. Mais il n’y a pas d’autre choix pour éviter d’en arriver à la situation actuelle et la crise de confiance sur la ZAD. Car d’autres difficultés se précisent.

Les citoyens se débinent

Le mouvement d’opposition à l’aéroport était d’abord un mouvement paysan. Avec la relance du projet début 2000, les citoyennistes de l’ACIPA ( Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport) se sont rajoutés. Enfin à partir de 2009 un mouvement squatt a mis sa touche finale, bordélique et transgressive, quotidienniste et éruptive, au pudding d’opposition formé d’une cinquantaine de groupes. Ce mille-feuille inédit ancré sur un territoire, contradictoire en soi ( avec sa population nomade ou agricultrice) et indigeste pour les méthodes classiques de contrôle, a fait reculer l’Etat et les porteurs de projet. A méditer face aux échecs actuels des luttes sociales.

Les contradictions internes se soldent ainsi depuis février 2018 avec les départs et les rejets violents, les ruptures et anathèmes. La composante paysanne, ses problématiques et ses enjeux, revient au premier plan avec la question des terres, accumulées par les institutions. L’ACIPA s’est auto-dissoute au début de l’été, estimant son but citoyen atteint. Cette décision révèle surtout au grand jour deux positions internes qui se lisent dans les votes, 12 contre 10, du bureau de l’association. Les pro-dissolution comptent jeter la clé, les fichiers d’adhérent-e-s et le reste, après avoir fermé la porte derrière eux-elles. Pour le dernier porte-parole, le mot d’ordre Contre l’aéroport et son monde n’est plus d’actualité. Au moment où les zadistes tentent de structurer leur maintien sur zone, avec des projets agricoles, culturels ou artisanaux, face aux agriculteurs de la FNSEA et aux forestiers du département qui veulent accaparer toutes ces terres « disponibles », la dissolution de l’ACIPA – au nom du mot d’ordre minimal Pas de ça chez moi exaucé par l’état – est un beau lâchage des habitant-e-s de la ZAD qui tentaient de maintenir des relations de respect mutuel avec les populations environnantes.

C. B.