Paradoxe de l’existence qui ne manquera pas de surprendre. Comment donc ? Est-ce à dire que le journal de la Fédération anarchiste rajeunit à mesure que passent les années ?

Le prodige mérite un éclaircissement.

La parution de notre hebdo commence effectivement en 1895, sous l’impulsion de Sébastien Faure et Louise Michel. Le journal s’appelle, à l’époque, Le Libertaire. Il est de tous les combats menés par le mouvement anarchiste et connaît diverses périodicités selon les circonstances (quotidienne, notamment, durant l’affaire Sacco et Vanzetti, pendant un peu plus d’un an). Il cesse de paraître durant les deux guerres mondiales, ses positions antimilitaristes, entre autres, lui valant d’être interdit par les pouvoirs publics. Vers la fin des années 40, la Fédération anarchiste s’étant patiemment et solidement reconstituée, il compte même parmi les principaux hebdomadaires politiques édités en France : son tirage avoisine les 35 000 exemplaires, parfois même 100 000 exemplaires ! (à l’occasion des grèves chez Renault en 1947 par exemple).

Mais au début des années 50, un danger invisible plane sur les destinées pourtant prometteuses du mouvement anarchiste et de son journal. Un groupuscule aussi secret qu’improbable mine depuis quelque temps déjà la Fédération anarchiste : l’OPB (Organisation Pensée Bataille).

Improbable : elle tente l’impossible mariage du marxisme et de l’anarchisme, est obnubilée par l’ordre et la discipline, exige l’efficacité révolutionnaire à tout prix, même à celui des pires reniements (on le vérifiera plus tard).

Secrète : agissant dans l’opacité la plus totale, elle impose à ses membres un silence absolu sur sa nature et ses buts (ses statuts vont jusqu’à prévoir l’élimination physique des agents dont le manquement à cette discipline de fer mettrait en danger l’organisation…).

Son but ? Membres de la Fédération anarchiste, les agents de l’OPB ont pour consigne d’en contrôler la structure pour mieux lui faire prendre le virage « marxiste-libertaire » qu’ils appellent de leurs vœux à peine muets.

Au sein de la Fédération anarchiste, on est de moins en moins dupe de la manœuvre et, en 1953, la rupture est inévitable. Mais le mal a déjà bien avancé. Si les anarchistes réunis autour de Maurice Joyeux provoquent la scission et le départ de ceux qui, entraînés par Georges Fontenis, formeront bientôt la FCL (Fédération communiste libertaire), ils voient partir du même coup leur propre journal, Le Libertaire, hélas noyauté depuis un moment.

Il faut repartir de zéro, ou presque. Nous sommes en 1954. Tout manque sauf l’énergie et le courage et en octobre de la même année, le flambeau allumé il y a presque 60 ans est dignement repris par la Fédération anarchiste : le premier numéro du Monde libertaire paraît ! La suite, la connaissez-vous ? Plutôt que de vous conter le reste de l’histoire… nous vous en proposons un aperçu, à travers cette sélection d’articles parus dans le Monde libertaire, qui suit chronologiquement la vie du journal, de 1954 à aujourd’hui.

Plus de 1 300 numéros passés en revue et tant de thèmes abordés, de luttes portées et analysées, d’événements abordés du point de vue libertaire, tant de cris de colère, d’indignation, d’espoir… Il a fallu sélectionner, retenir, trancher. Cela ne s’est pas fait sans une certaine douleur, ou plus précisément sans une certaine frustration : il y a bien des écrits que nous aurions aimé reproduire ici, mais que nous avons dû laisser de côté faute de place. Pardon à ces beaux traits de plume qui ont fait les frais de notre scalpel, nous ne désespérons pas de leur donner une nouvelle vie un jour (pourquoi pas, en effet, la collection intégrale du Monde libertaire librement consultable sur notre site internet ?).

Mais, si la sélection est quelque peu frustrante, elle reste cependant source d’un certain plaisir. Allez, disons-le, d’une certaine fierté. Les idées anarchistes, qui reposent sur le respect absolu de la liberté de l’individu et le rejet de toute autorité, forment la seule philosophie de vie, le seul projet social et politique dont on n’aura pas à rougir dans l’avenir. Cette conviction qui est la nôtre trouve un écho particulier dans les pages qui suivent.

Le temps sanctionne toujours, d’une certaine façon, nos choix de paroles et d’actes. Ce que nous avons porté à travers notre Monde libertaire, nous pouvons le reproduire sans un changement de virgule, avec la certitude toujours intacte d’avoir dit les choses avec force, honnêteté, passion, sans compromission d’aucune sorte.

D’autres titres de la presse politique, qui prétendent défendre un certain sens de l’humanité et qui à l’occasion célèbrent sans vergogne un anniversaire soigneusement débarrassé de tout élément gênant, ne peuvent pas en dire autant.

Le Monde libertaire

Le Monde libertaire n’est pas l’Huma

(in Monde libertaire n°170, Avril 1971)

« Le Monde libertaire n’est pas l’organe d’expression d’un parti mais le creuset où se confrontent des opinions divergentes se réclamant toutes de l’anarchie. Il n’est pas question d’y chercher un dogme officiel.

Dans ce numéro, par exemple, voisinent des articles individualistes anarchistes et anti-individualistes, des articles asyndicalistes et des articles affirmant que le syndicalisme est une nécessité. C’est au lecteur, considéré non comme un sous-développé, mais comme un individu responsable, de faire son choix entre ses optiques opposées, ou même de prendre à chacune pour faire sa propre synthèse.

Si quelques signatures sont vues fréquemment dans ses colonnes, cela ne découle que de la vitalité journalistique de leurs auteurs. Le Monde libertaire, pas plus que la Fédération anarchiste, ne cautionne des personnalités ou ne privilégie des théories. Le Monde libertaire n’est pas le journal d’un seul, il doit devenir le journal de tous.

Manque de cohérence, diront certains. Au niveau de la Fédération anarchiste, et donc de son journal, la cohérence consiste en l’absence d’autorité à l’égard d’autrui et donc en le respect des pensées libertaires différentes. Au niveau des groupes et individualités autonomes qui composent la Fédération anarchiste, la cohérence doit pousser beaucoup plus loin et déboucher sur des praxis radicales en accord avec les postulats du départ. Rien n’empêche à ce niveau, des organisations strictes ou des contrats précis.

L’anarchisme n’est pas un système fini et sclérosé, mais un bouillonnement continu. Comme la méthode scientifique, il ne peut évoluer que par une incessante remise en question. »

Le Monde libertaire hors-série n°26 « spécial 50 ans » dans les kiosques à partir du 27 Septembre jusqu’au 21 Novembre 2004, 104 pages pour 7,50 euros

Le Monde libertaire, hebdomadaire sans Dieu, sans Maître et sans publicité de la Fédération anarchiste, 24 pages en couleurs pour deux euros sur papier recyclé, chaque jeudi dans vos kiosques.

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