Non-blancs, racisés, décoloniaux…
Et Nous, les Algériens

Si vous avez déjà parcouru la prose des racialistes de tous ordres, vous savez que selon leur doctrine, l’humanité se découpe en races sociales dominées et en races sociales « possédant des privilèges ». Or il se trouve que les races sociales privilégiées sont les « Blancs » et les « Juifs » (qui font tantôt partie des « Blancs », tantôt non, tantôt sont pires, tantôt moins pires… comme tu veux tu choises). Jusque-là, ça a l’air simple. Mais en fait, dans le même mouvement où l’on classifie et sépare les personnes non pas selon une grille de lecture habituelle – comprenant la fonction dans la production (prolétaire/middle-class/bourgeois) ou le statut juridique (sans-papiers/immigré légal/ ressortissant français) -, mais d’après un registre communautaire, on a débité en tranches le racisme pour faire correspondre à chaque race son antiracisme particulier. De ce fait, il n’y plus aucun combat commun à mener : sont à l’ordre du jour l’« Islamophobie », la « Négrophobie », l’« Arabophobie » et la « Rromophobie »… Si vous vous attendiez à un Et caetera pour finir cette énumération des racismes à combattre, sachez qu’il n’y en a pas. Comme l’ennemi principal est désigné sous le terme « racisme post-colonial » on comprend très vite que le sujet qui doit s’organiser derrière, devant ou sur le côté des racialisateurs (ça dépend s’ils sont des bourgeois maghrébins comme le PIR, les gauchistes du NPA, ou des petits « blancs » complexés issus du milieu alternatif) semble devoir être les ressortissants et les descendants des anciennes colonies françaises.

Pourtant, tout au long de l’ouvrage de Bouteldja, le sujet « décolonial » ne s’incarnera que dans la figure du « musulman arabo-berbère » et plus exactement dans celle de l’Algérien musulman. Elle citera bien les Amérindiens ou les Afro-américains (sujets suffisamment exotiques) et les Iraniens (jamais colonisés) mais point l’ombre d’une référence aux origines diverses des immigrés provenant des anciennes colonies françaises… Ce qui pourtant semblait devoir être le sujet de son pamphlet.

Dans cet opuscule vous ne risquez pas de rencontrer les termes de « sans-papiers » – sauf page 24 pour parler du regard de ces « crève-la-dalle de harragas » qu’elle ose affronter -, de « centre de rétention », d’« expulsion du territoire », et à y regarder de plus près, Houria Bouteldja a même oublié de parler de « négrophobie », ou de « rromophobie » (c’est pas bien, Houria, maintenant ces subdivisions apparaissent pour ce qu’elles sont fondamentalement pour le PIR, un écran de fumée). « Noirs » et « Rroms » sont renvoyés à leur rôle de subalternes, ce qu’ils ne cesseront jamais d’être pour ceux qui découpent l’humanité en races. Quant aux autres « non-blancs », ils sont tout simplement « invisibilisés ».

Le fumeux concept de « racisme post-colonial » apparaît clairement pour ce à quoi il doit servir. Il doit avoir pour effet de singulariser une fraction de l’immigration. Il y a donc une immigration issue des ex-colonies et il y a les autres. Les autres dont on ne parle pas : les Tamouls, les Chinois, les Turcs, les Pakistanais, les Albanais, les Serbes… tous ceux qui, privés de carte de séjour, peuplent majoritairement les ateliers clandestins, ceux qui sont réellement invisibles tant dans le discours d’intégration que dans celui de la nouvelle oumma qui doit nous sauver de l’Occident. Donc il y aurait selon nos racialistes un racisme structurel qui s’attaquerait en priorité aux personnes ayant migré des ex-colonies françaises, et même selon la racialiste en chef – Houria Bouteldja – un archétype de victime de ce racisme incarné par le descendant d’Algérien musulman, bien plus victime que toutes les autres. Puisqu’ils s’agit de « son clan, sa famille », ce que l’on « doit » défendre.

La réalité historique de l’immigration familiale maghrébine (comportant une forte composante algérienne) est qu’elle se situe chronologiquement entre l’immigration intra-européenne (Polonais, Italiens, Espagnols…) – qui après avoir subi un racisme exacerbé se verra progressivement intégrée – et une immigration devenue difficile par l’arrêt des politiques migratoire en 1974, constituée, elle, par des populations de provenances diverses mais comprenant une forte majorité d’hommes (vu les restrictions apportées au regroupement familial). Aujourd’hui constituée principalement de descendants des travailleurs « importés » par le capitalisme français dans les années 60, la population d’origine maghrébine est composée d’individus détenant la nationalité française, maîtrisant parfaitement la langue (puisque c’est leur langue maternelle), ayant suivi une scolarité, et possédant des diplômes dans des proportions assez similaires au reste de la population. On ne les rencontrera pas dans les ateliers clandestins, ni spécifiquement dans les boulots payés en deçà des normes. Une grande majorité sont français (ou binationaux), nombreux sont ceux qui ont déserté les barres HLM pour s’installer dans les pavillons de banlieue ou ont eu accès à la propriété. Si l’on suivait le raisonnement des grilles de lecture racialistes, la spécificité de cette catégorie – celle d’origine algérienne – serait qu’elle détient un certain nombre de « privilèges » par rapport aux autres « non-blancs » (et même par rapport à la grande majorité des immigrés des pays de l’Est hors UE, que l’on devrait pourtant, si la colorimétrie prévaut, ranger parmi les « blancs »), certes elle reste en butte à un racisme bien ancré dans la société française (mais est-ce bien à son endroit qu’on pourrait discerner un « racisme d’Etat » systémique?). Certes il est vrai que la middle-class et la bourgeoisie un peu trop basanée rencontrent plus d’obstacles pour parvenir, mais est-ce vraiment notre problème, ou celui de ces « classes dangereuses » qu’ils prétendent représenter, quand ils ne se font pas les porte-parole des entrepreneurs en mal de réussite ?

La « victime » comme témoin

Houria Bouteldja écrit des livres et parle au nom des autres à la télévision, elle connaît son sujet, elle l’a vécu dans sa chair. Elle sait ce que c’est que de voir sa cousine algérienne égorger un poulet et de se sentir immédiatement « traître à sa race » et « blanche », elle sait aussi ce que c’est que de s’identifier aux Indiens quand elle regarde un western. Elle a été en vacances en Algérie, alors elle sait… Mais Houria Bouteldja est une inculte qui ne s’est même pas rendu compte que de la campagne il y en a partout, et qu’il n’y a pas 36 moyens de tuer une poule. Houria Bouteldja est une conne (ou désignée comme telle) qui n’a pas remarqué qu’a minima tous les enfants de la gauche bien pensante s’identifient aux Indiens et que pour jouer aux cow-boys et aux Indiens il faut bien que la moitié des participants préfèrent endosser ce rôle.

Mais là où Houria Bouteldja voit des phénomènes qui n’existent que dans sa tête bouffée par son idéologie raciste, certains éléments auraient pu lui mettre la puce à l’oreille pour douter du caractère homogène de la « communauté algérienne » qu’elle a bien connue lors de ses vacances d’été. Elle aurait pu profiter de ses passages au bled pour entendre parler du printemps berbère de 1980, elle aurait pu se tenir au courant des émeutes qui ont enflammé le pays de 84 à 88 pour finir par celle d’Alger qui vit 500 jeunes exécutés en pleine rue par l’armée, l’armée décoloniale ! Bon, admettons que’lle était trop jeune et « bobo » à l’époque. Il serait étonnant que personne ne l’ait mise au courant, même au fin fond de la rive gauche parisienne, du fait que, dans son Algérie fantasmée homogène, une guerre civile a fait rage pendant près d’une décennie (1991-2001). Que la question de l’islam ne faisait pas l’unanimité là-bas… Qu’au sein de « la communauté des croyants » des barbus assassinaient les femmes non voilées qui osaient se promener dans les rues… Que des centaines de milliers de civils furent massacrés tant par les islamistes que par les forces de sécurité (250 000 morts et disparus selon les estimations)… « Allahou akbar ! » Comme elle dit. Son projet d’amour révolutionnaire a déjà été testé en Algérie… par le FIS, le FLN et leurs déclinaisons futures et actuelles, à coup de répression et d’ordre moral. Mais elle ne veut pas le savoir puisque pour elle l’histoire de l’Algérie commence en 1830 et se termine en 1962, cela doit être ce qu’on appelle une grille « décoloniale ». Avant il ne s’y passait rien, et pas davantage après l’indépendance.

Et comment expliquer que dans sa grille de lecture qui découpe l’humanité en catégories, puis en sous-catégories, elle n’ait pas trouvé une place pour caser la « race sociale » des Berbères subissant les « privilèges » des « Arabo-musulmans ». Constituent-ils la trace par trop évidente que le projet colonial n’est pas l’exclusivité de l’« Occident » ? Les Indigènes de la République chercheraient-ils à « invisibiliser » la féroce répression du soulèvement kabyle de 2001-2002 qui fit 126 mort et plus de 5000 blessés ? S’agit-il de parler « à la place des premiers concernés », qu’ils se définissent par leur « berbérité » ou plus simplement par un refus du centralisme d’Alger ?

Ou peut-être les Berbères sont-ils trop « blancs » ? Peut-être que dans la race/classe des « musulmans arabo-berbères » ils constituent des moutons noirs car pas assez bons musulmans ? Ne font-ils pas le jeu du colonialisme en divisant la nation algérienne, le projet panarabe et la oumma des croyants ? Attention, ne voyez ici que du « racisme édenté » ! Pour l’instant, car le moment venu Houria Bouteldja ou un(e) autre racialisateur(trice) promoteur de la communauté des croyants (ou de l’anti-impérialisme) trouvera certainement un concept adéquat (même tiré par les cheveux) pour les renvoyer aux poubelles de l’Histoire des Races, seul avenir envisageable pour l’humanité (ou du moins pour une partie d’entre elle), selon eux.

Car au fond ce que montre cette prédominance d’une catégorie issue de l’immigration d’après la colonisation, par définition en concurrence avec les autres, c’est bien que, sous couvert d’antiracisme, ce communautarisme particulier que constitue le racialisme a sa dynamique propre : la fuite en avant vers toujours plus de « pureté » de la race, d’homogénéité de la communauté et de subdivision en sous-catégories hiérarchisées toujours plus poussée.

Les amis de Juliette et du printemps

La race comme si vous y étiez !
Une Soirée de printemps chez les racialistes

Section 7

Automne 2016

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Section 3 : Être l’homo du PIR, ou ne pas l’être – Un ultimatum
https://bxl.indymedia.org/spip.php?article14702

Section 4 : Appellistes et racialistes : mariage blanc, mariage de raison ou mariage d’amour ?
https://nantes.indymedia.org/articles/37976

Section 5 : Le messie sera-t-il racisé.e ? Un Segré bien gardé…
https://nantes.indymedia.org/articles/38114

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http://colorblindisbeautiful.now.im/