Civitas contre le mariage gay

Mais c’est bien sûr dans le cadre de la mobilisation contre le Mariage pour Tous que Civitas prend véritablement son envol et devient incontournable dans le milieu national-catholique. Dès juin 2012, soit trois mois avant la création du collectif La Manif pour Tous (LMPT), Civitas, dont Alain Escada vient d’être nommé président, avait déjà lancé sa campagne anti-mariage gay. Le 18 novembre de la même année, Civitas appelle à une manifestation « contre la dénaturation du mariage » devant le Ministère de la Famille à laquelle participent plusieurs mouvements d’extrême droite, comme le Parti de la France, le Renouveau français, l’Action française, ainsi que d’autres associations nationales-catholiques, comme Chrétienté Solidarité, ou de groupes anti-IVG comme SOS Tout Petits.

Par ailleurs, le site antifasciste Fafwatch a publié des documents internes de Civitas montrant sa volonté de  trouver des appuis politiques, et quelques jours avant la manifestation s’était tenue une réunion regroupant de nombreuses personnalités politiques : Bruno Gollnisch (FN), Frigide Barjot (LMPT), Bernard Antony, Jacques Bompard…. Mais aussi des membres de la droite parlementaire comme Laurent Wauquiez, François Rochebloine, Xavier Lemoine, Elisabeth Monfort, et même le maire socialiste Bernard Poignant, lui aussi opposant au mariage pour tous.

Mais alors que se prépare la grande mobilisation du 13 janvier 2013, la Manif pour Tous n’a pas l’intention de laisser Civitas et ses « fous de Dieu » tirer la couverture médiatique, et le collectif emmené par Frigide Barjot refuse de défiler avec ceux qu’elle considère comme « homophobes », soupçonnant même le pouvoir de vouloir sciemment faire l’amalgame « avec des gens qui refusent d’enlever leur banderole ou des signes identitaires ». Le site antifasciste REFLEXes a fait un compte rendu circonstancié de la manifestation de Civitas, qui regroupe une fois encore toutes les chapelles de l’extrême droite radicale : MNR, NDP, Renouveau français, Parti de la France, Œuvre française… Ainsi que quelques Identitaires, qui n’avaient cependant pas officiellement annoncé leur participation.

Civitas s’ouvre et se referme

Alors que le mouvement contre le mariage pour tous commence à s’essouffler, Civitas poursuit ses activités, qui deviennent de plus ou plus ouvertement politiques (même si ses militants continuent à participer à des prières de rue ou à des rassemblements anti-IVG). Civitas se définit en effet comme « un mouvement politique œuvrant à promouvoir et défendre la souveraineté, l’identité nationale et chrétienne de la France en s’inspirant de la doctrine sociale de l’Église, du droit naturel et des valeurs patriotiques, morales et civilisationnelles indispensables à la renaissance nationale ». Pour cela, l’Institut poursuit sa collaboration avec plusieurs mouvements ouvertement néofascistes.

Ainsi, en 2014, on retrouve Civitas défilant en janvier lors de la mobilisation foutraque « Jour de Colère », derrière une banderole « catholiques en colère », puis s’invitant aux manifestations en l’honneur de Jeanne d’Arc, aux côtés de l’Œuvre française. En septembre, Civitas est à l’initiative d’une manifestation en soutien aux chrétiens d’Orient, un nouveau combat dans lequel l’association s’est engagée depuis l’été : aux côtés d’Alain Escada, à la tribune, Jany Le Pen, la femme de Jean-Marie, et Elie Hatem, candidat RBM mais surtout cadre de l’Action française. Plus aucune trace en revanche de la musulmane Farida Belghoul, qu’on avait pourtant vue lors du défilé de mai, aux côtés d’Escada et de l’abbé Beauvais : l’obsédée de la théorie du genre à l’école a en effet partagé quelques mois la route de Civitas, mais très rapidement les réflexes islamophobes ont repris le dessus, alors même que Belghoul commençait à se fâcher avec la frange de l’extrême droite dont elle s’était rapprochée.

L’union sacrée entre les différentes chapelles de l’extrême droite radicale semble d’ailleurs avoir vécu, même si Escada est encore prêt à avaler quelques couleuvres pour garder le contact avec ce milieu très hétérogène. Ainsi, lors des dernières journées de Synthèse nationale en octobre 2016, le président de Civitas, invité à la tribune pour la première fois (même si Civitas y tient un stand depuis plusieurs années), s’est retrouvé entre le néo-païen Pierre Vial et surtout Pierre Cassen de Riposte laïque : Escada est devenu tout rouge quand ce dernier a commencé à affirmer avec force la séparation de l’Église et de l’État (faut-il le rappeler, Civitas milite pour le rétablissement d’un État catholique) ou quand il a déclaré que, pour l’IVG, «on verra plus tard» !

En route vers le parti de Dieu

Alors que les nationaux-catholiques de Chrétienté Solidarité ont déserté les rangs du Front national depuis une décennie, que sa présidente Marine Le Pen n’a que la laïcité à la bouche, certains catholiques traditionalistes se sentent orphelins politiquement, et un espace semble s’ouvrir pour Civitas. Dans le même temps, les liens entre la Fraternité Saint-Pie X (qui tente toujours de réintégrer l’Église catholique) et Civitas se distendent, entre autres en raison d’une approche trop politique du travail mené par les troupes d’Escada, et de leurs fréquentations hasardeuses.  En 2015, conscient des réticences de certains de ses fidèles à entrer dans l’arène politique, Civitas consacre son université d’été (qui a rassemblé moins de trente personnes) au travail d’entrisme que ses membres doivent mener «afin de s’impliquer dans la politique communale et dans l’action culturelle et sociale locale» (Revue Civitas n°57). Quelques mois plus tard, l’abbé Gabriel Billecocq, cette fois dans le n°58 de la revue éponyme, les exhorte à ne pas se réfugier dans la prière en attendant que Dieu fasse tout le travail mais à agir selon ses moyens, à l’échelle locale, en faisant de la politique.

Aux élections municipales de 2014, plusieurs membres de Civitas s’étaient d’ailleurs présentés, le plus souvent sous l’étiquette Front national, comme Jean-Louis Robin ou le jeune Gonzague Malherbe, parti en Syrie avec SOS Chrétiens d’Orient. Mais c’est le 23 avril 2016 que Civitas franchit (discrètement) le Rubicon en changeant de statut, passant de celui d’association à celui de parti politique : ses généreux donateurs pourront faire des déductions d’impôts, et Civitas pourra désormais présenter des candidats sous son propre nom… et même percevoir des fonds publics de « la Gueuse » ! D’ailleurs, il y a des raisons financières à ce changement de statut : l’association Civitas proposait déjà des déductions d’impôts mais de façon indue, en prétendant un peu vite être «d’intérêt général», si bien que, suite à un contrôle, Civitas a été sommé de rembourser au fisc 55 000 euros ! En assumant sa nature partisane, Civitas espère aussi se mettre en règle d’un point de vue fiscal.

Contre la démocratie, Civitas veut se faire élire

Toujours en juin, Civitas consacre le dossier du numéro 60 de sa revue aux «mensonges démocratiques». Il ne s’agit pas ici de dénoncer les promesses non tenues de tel ou tel candidat, mais la démocratie en tant que telle, qui pour Civitas se caractérise par trois mensonges fondamentaux quand elle prétend être :
1) «la souveraineté du peuple» : d’abord car la seule autorité souveraine légitime, c’est Dieu. Ensuite, «comment le peuple peut-il posséder une puissance coercitive sur lui-même ? Seule une contrainte extérieure au peuple peut être efficace, extérieure en tant que cette contrainte ne peut être soumise en permanence au bon vouloir, à la pression du peuple.» Puis, reprenant la formule maurassienne, Civitas enfonce le clou : «l’anarchisme est la forme logique de la démocratie.» Si seulement c’était vrai !
2) «l’aptitude du peuple à désigner de bons dirigeants» : reconnaissons-le, il est difficile de ne pas partager ce point de vue, mais encore faut-il voir ce que Civitas entend par là, alors qu’Escada, dans le dernier numéro de la revue, se réjouit de la victoire de Donald Trump. Ce que veut dire Civitas, c’est que les gens sont trop ignorants pour prendre les bonnes décisions, incapables de prendre leur destin en main. Ce serait «péché d’orgueil» que de penser le contraire !
3) «un rempart contre le totalitarisme» : s’appuyant sur l’opuscule de Jean Madiran, Les deux démocraties, Civitas nous explique que la démocratie moderne est en réalité d’essence totalitaire, un «totalitarisme mou», certes, mais un totalitarisme quand même, car elle défend une vision de l’État qui régente tout, «la vie sociale, économique, morale et spirituelle»… Là encore, pourquoi pas : mais ce que Civitas lui reproche, c’est surtout de remettre en cause l’autorité du chef d’entreprise (à travers les syndicats), l’autorité du père de famille (à travers le divorce et la répudiation), l’autorité du dictateur (quand elle fait la leçon à Poutine ou Bachar Al Assad)…
En dépit de toute cette rhétorique anti-démocratique, Escada annonce en juin qu’en septembre, Civitas pourrait annoncer quel candidat à l’élection présidentielle de 2017 aura le soutien de l’institut : lors de la primaire de la droite, Civitas déclare soutenir Jean-Frédéric Poisson, seul candidat à promettre l’abrogation du mariage pour tous et l’inscription des «racines chrétiennes de la France» dans la Constitution.

Cependant, en septembre, lors de sa conférence de presse, Civitas estime que «le mépris à l’égard des catholiques s’est répandu dans la classe politique» et ne cite aucun candidat susceptible de représenter ses idées. Pas très original, Civitas prétend évidemment  «incarner un message anti-système», pour s’opposer «aux lobbies interlopes, aux promoteurs du vice, aux fores occultes, aux représentants de la haute finance vagabonde et aux tenants de la haine de Dieu, de la Patrie et de la Famille», loin de la «logorrhée molle et consensuelle» de ses concurrents. Présentant son projet comme une «troisième voie entre socialisme et capitalisme», pour «replacer Dieu au centre de la société», Civitas s’inspire beaucoup de la révolution nationale de Pétain, en proposant  de rétablir les corporations «pour sortir de la lutte des classes», en priorité dans le monde rural ; en remplaçant le droit du sol par le droit du sang et en instaurant la préférence nationale. Mais Civitas veut aller plus loin en abrogeant la loi de séparation de l’Église et de l’État, que Vichy avait simplement remis en cause. Enfin, en plus d’abroger les lois Veil et Taubira, Civitas prétend non seulement «arrêter toute immigration d’origine extra-européenne» mais aussi mettre en place la «remigration»,  popularisée par le Bloc identitaire en 2014.

Cette profession de foi de Civitas ne s’incarnera probablement pas pour l’élection présidentielle : ce sont plutôt les législatives qui sont dans son viseur. Il faut s’attendre à voir Civitas s’allier à la Ligue du Sud, au Parti de la France de Carl Lang et aux Comités Jeanne de Jean-Marie Le Pen, voire au Parti nationaliste français si ce dernier parvient à sortir de sa léthargie : cela permettrait à Alexandre Gabriac de retrouver ses anciens amis ! En effet, il est le deuxième candidat officiel de Civitas, dans la deuxième circonscription de l’Isère, la première étant Marie d’Herbais (ex-femme de Frédéric Chatillon et ex-FN, très proche de Jean-Marie Le Pen) qui se présente elle dans la 2e circonscription de la Sarthe. Sachant qu’il reste donc encore 575 candidat à trouver, Civitas lance une grande campagne de recrutement de volontaires : s’il sont tous du même niveau que Gabriac ou d’Herbais, ça nous promet une belle cour des miracles !

On le voit, Civitas a fait du chemin, et son ambition est bien plus grande que celle de ses prédécesseurs : reste à savoir si ce «nouveau» parti politique trouvera son public, ou tout du moins parviendra à faire infléchir la ligne «républicaine» du Front national. Un échec de Marine Le Pen en mai 2017 et son remplacement à la tête de la formation par sa nièce Marion seraient deux atouts majeurs pour nos cathos traditionalistes. Reste à savoir également si une prise de conscience collective du danger que représentent ces «fous de la messe» permettra la mise en place d’une riposte égalitaire, féministe et antifasciste à la hauteur.

La Horde