Fatigués du caquetage en écho des perroquets et alors que les autruches préparent un drôle d’avenir

Nous n’attendrons pas la révolution pour lutter contre le racialisme

Au bout du clos, bien loin, on voit paître les oies,
Et vaguer les dindons noirs comme des huissiers.
Oh ! qui pourra chanter vos bonheurs et vos joies,
Rentiers, faiseurs de lards, philistins, épiciers ?

Ce dindon a toujours béni sa destinée.
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs :  » C’est là que je suis née ;
Je meurs près de ma mère et j’ai fait mon devoir. « 

Pour la troisième fois, dans la nuit du 21 avril, la Discordia a été attaquée. Un cap est franchi : cette fois, on ne se contente pas des tags. La volonté de nuire est certaine, les vitrines ont été brisées. Un tag est à nouveau tracé à la bombe, « raciste », comme pour se rassurer : la cible est-elle bien la bonne ? En tout cas, une fois que c’est marqué dessus… Il semble pourtant que le sens des mots tourne comme une girouette avec le vent. L’opération est à vocation performative : en vous attaquant comme racistes, racistes je vous fais. C’est nouveau, déconstruit sans doute. L’anarchisme est donc un racisme qui s’ignore, et on ne s’en était pas rendu compte…. Ne nous y trompons pas, derrière ce qui veut se faire passer pour le nouvel anti-racisme, on retrouve des relents du vieux bolchévisme et de ses chantages mal-polarisés, les quelques restes d’un pathétique anti-impérialisme qui de sa cape mitée a déjà étouffé les espérances émancipatrices de beaucoup de révolutionnaires dans ses belles années. L’accusation de racisme est, évidemment, infamante. Pourvoyeur de cette infamie, toi qui avais comme projet d’en contaminer d’autres, sache qu’au moment où tu la portes, ce qui niche dans tes anathèmes commence par infester en premier lieu là d’où tu les profères.

Il ne s’agissait pas d’apporter une drôle de pierre à une quelconque discussion : pas de débat le lendemain. Le message est sans appel, c’est une démarche strictement punitive. Quelques ignorants, emportés par une drôle de foi, cherchent à dissuader cette bibliothèque d’accueillir toutes formes d’expressions révolutionnaires s’opposant à la diffusion du racialisme et à la promotion du religieux.

Quelques ignorants, sans doute. Qui peut sérieusement assumer cette attaque, à part de quelconques hooligans perdus dans l’aire contestataire, la tête bourrée de la confusion en cours ? Soubresaut mécanique d’un muscle crispé par un réflexe pavlovien à la vue du verre ? Le faisceau d’hypothèses est plutôt convergeant. Quand tout ceci aura un peu décanté, le dépôt n’en sera que plus perceptible. Des croyants racontent que Dieu pardonne, et pas le prolétariat. Quant à nous, et sans avoir besoin de toute cette grandiloquence, ces registres ne sont pas les nôtres.

« Les prolos sont naturellement bigots, et c’est pour ça qu’on les aime » ; « pour être anti raciste, il faut commencer par reconnaître l’existence des races » : voilà les messages absurdes qui circulent et sont attrapés par n’importe quel guignol en mal d’adrénaline, bien seul et désespéré certainement de ne plus pouvoir mettre la main sur le prolétariat. Un acte d’allumé trop sûr de lui qui pense peut être ainsi prouver à ses amis qu’il peut courageusement se payer la vitrine d’une bibliothèque anarchiste. Sans doute. Cependant, on aurait tous bien tort de minimiser ce passage à l’acte et de continuer à fermer les yeux face à cette entreprise répressive, qui vise à intimider, à faire taire et à étouffer la contestation du racialisme et de la promotion du religieux. Ces coups de marteaux, qui ne sont en eux-mêmes, qu’un geste à l’allure radicale, s’inscrivent dans la dynamique délétère, normative et normalisante, qui, des plateaux télés aux stands de la place de la République, des éditions La Fabrique aux comptes twitters des militants 2.0, des chaires universitaires aux espaces occupés, des tribunes médiatiques aux sites militants, vient porter sur le devant de la scène une nouvelle bourgeoisie avide d’empowerment, aux méthodes inqualifiables, prête à tout, et surtout à défendre la race, pour asseoir son pouvoir sur une aire militante en perte totale de repères. Reposant sur la culpabilisation et le chantage à la « banlieue », un drôle de marché se met en place. Quelques bourgeois, of color diraient les américains, prétendent être, au delà des représentants, l’incarnation même de la banlieue, de la misère, de la révolte, des violences policières, des opprimés du monde, et, en échange de quelques coups de fouets, autorisent les militants, qualifiés de « blancs », à les soutenir, les financer, leur lécher les pieds, monter des tribunes pour eux, leur organiser des meetings… Que cela ne passe par aucune lutte, que la complainte victimaire et judiciariste envahisse le champ politique, que cela fasse côtoyer des islamistes, que cela éloigne les possibles subversifs et émancipateurs, que cela remette debout le vieux paternalisme et sa cohorte de post-staliniens, que cela foule au pieds l’histoire, plus ou moins récente, des luttes de l’immigration, qu’elles soient liées au travail, au logement, aux papiers, etc. peu importe : du passé des luttes faisons table rase ! Tant pis, cela passera dans la colonne des pertes et profits.

La voilà, l’origine du problème. On la trouve bien plutôt, d’abord, chez tous ceux qui sont en train de profiter du vide théorique et pratique actuel pour vendre, en évacuant radicalement la délicate question des perspectives révolutionnaires, un prêt à penser complètement normatif, anti-émancipateur au possible, qui part de l’assignation de chacun à sa prétendue race, ou à une prétendument nécessaire appartenance religieuse qu’il faudrait défendre comme telle. En accord avec la dynamique actuelle des pires courants gestionnaires au pouvoir, du parti socialiste, au parti communiste, éternellement en cours de rénovation, à la droite voire à l’extrême droite, on défend une nouvelle norme identitaire, qui cherche à se donner pourtant les allures de la radicalité. Et là, quand la norme et la réaction se radicalisent, on peut tous commencer sérieusement à s’inquiéter.

Aux quelques égéries racialistes, tout est permis, jusqu’au chantage à la dissociation quand il s’agit de réagir à la répression et que leur monopole n’est pas assuré, comme pour la solidarité avec ceux qui subissent la répression du mouvement en cours par exemple : soit vous acceptez notre présence et reprenez notre com’ racialiste, soit on ne s’associera pas au soutien face à la répression du mouvement social. Ce chantage pourtant inacceptable est accepté, voire applaudi, et les perroquets s’apprêtent à obéir aux injonctions intolérables de cette petite bande, pendant que les autruches enfoncent un peu plus profond la tête dans leur trou.

Voilà ce à quoi l’aire à prétention contestataire risque de se retrouver cantonnée si on ne réagit pas, et si chacun continue à faire l’autruche, ou le perroquet. Ce qu’on aura laissé faire aujourd’hui à la Discordia, on le paiera très cher plus tard. D’ailleurs, à supposer que la lâcheté cesse de servir de boussole, chacun le sait très bien, en particulier tous ceux qui ne cessent d’affirmer comme une évidence, mais dans les couloirs, un refus intransigeant du racialisme, sans pour autant le faire exister, en parole ou en actes, d’une manière ou d’une autre, ouvertement.

Alors, puisqu’il faut que cela cesse, ce dont tous les révolutionnaires, camarades ou compagnons, habitués ou pas de la bibliothèque, conviendront, il va falloir aussi cesser de fermer les yeux, comprendre ce qui se passe, et trouver le moyen, efficacement et à nombreux, chacun à sa manière sans doute, de s’y opposer.

Empêcher la diffusion et la circulation de ces manières mortifères de penser et de voir le monde est d’ailleurs une urgence si on veut contrer l’atmosphère irrespirable qui est en train de se déployer dans ce qu’il reste de l’extrême gauche. Bien loin de nous éloigner des combats actuels et à venir, c’est la condition nécessaire et préalable pour y prendre part.

Rouvrir la possibilité du débat, d’une élaboration commune et variée dans un champ fermement opposé aux communautarismes et aux positionnement identitaires, d’où qu’ils viennent, voilà ce qu’on se doit tous, d’où qu’on vienne, de défendre. Et c’est justement la manière dont la Discordia prend part, sans concessions, mais avec une ouverture certaine, à ce combat vital qui la désigne aux pitoyables bras vengeurs des défenseurs de la race, de leurs amis et de leurs fans.

Que les autruches sortent la tête des trous dans lesquels elles se sont enfouies depuis trop longtemps, que les perroquets s’émancipent pour contribuer à élaborer la langue des révolutionnaires, dans laquelle on se parle, on travaille accords et désaccords, on construit et on confronte des hypothèses subversives pour comprendre le monde et le transformer, qu’on se retrouve, enfin, pour contrer les racialistes, leur monde et leurs arrières mondes, et tout le reste.

On ne laissera pas la Discordia et ceux qui l’animent seuls face au verre brisé, aux menaces et à d’éventuelles nouvelles attaques. Manifestement les débats que ces attaques veulent empêcher doivent avoir lieu, à propos de la religion et de sa défense, à propos du racialisme, de la ségrégation et de sa promotion – qui a le vent en poupe, comme le montre le « camp d’été décolonial » qui se prépare pour cet été et dont le site publicitaire est instructif. Mais pas avec n’importe qui, et pas sur n’importe quelles bases.

Plus largement, ce qui se passe, et ne se passe pas, actuellement, est le signe clair que c’est un chantier bien plus vaste qu’il faut ouvrir, et peut être commencer par mettre à bas les fausses évidences, les accointances politiciennes, et les transactions de milieu. Soyons donc à la hauteur de la situation ! L’époque l’exige, il nous faut retisser le fil rouge pour sortir du dédale, remettre sur pied une aire révolutionnaire, avec ce qu’elle peut contenir de critiques, de propositions politiques, de pratiques à rejoindre, et cela se fera contre les racialistes, les défenseurs de l’ordre, qu’il soit religieux ou républicain, ou ne se fera pas.

Nous n’attendrons pas la révolution pour refuser les assignations raciales et religieuses dans lesquelles on veut nous enfermer.

Les oiseaux de passage