Le gouvernement me poursuit dans le cadre de sa répression perlée de la manifestation de soutien à la ZAD du 22 février 2014. Ce n’est pas la première fois que j’ai à faire à la justice. Le contexte de mon interpellation est celui d’une offensive large du gouvernement contre divers milieux politiques engagés dans la lutte à la ZAD et ailleurs.

La manifestation du 22 février correspond à un tournant majeur du combat contre l’aéroport et du monde qui va avec.

A Nantes ce samedi de février, le gouvernement a tenté d’entraver l’expression puissante d’un mouvement aux mille visages, où se développent et se rencontrent des pratiques d’une rare et précieuse diversité.

Les tentatives de division instillées par Messieurs Valls et Ayrault accusant les organisateurs de protéger des groupes quasi terroristes ont lamentablement échoué.

La solidarité tissée et créée autour de la ZAD produit dans le pays une popularité inversement proportionnelle à la côte abyssale du gouvernement Valls-Hollande.

Dans ce contexte et en pleine résistance des cheminots et des intermittents, le gouvernement continue les descentes et les poursuites envers celleux qui refusent les intimidations des derniers mois, qui continuent de militer, de lutter, de vivre malgré la pression judiciaire et policière.

Véritables procédures politiques, les poursuites judiciaires déboussolent peut-être des juristes un brin tatillons, ou d’aveugles démocrates libéraux mal à l’aise face au caractère d’exception des procédures et des condamnations, ou au vu du nombre de personnes blessées  et mutilées le 22 février à Nantes (dont 3 yeux explosés en une seule manif, record battu!) .

Il semble cependant que nous soyons un certain nombre à ne pas être surpris par l’action de contre-subversion mise en place par les autorités. Alors que nos chers gouvernants continuent leur offensive antisociale, qu’ils préparent leur grande fusion du marché capitaliste transatlantique, qu’ils portent haut et fort la propagande ultralibérale, tout autant qu’ils distillent des sentiments racistes de peur et de rejet de l’Autre ; les voilà maintenant qui font planer au-dessus de divers milieux politiques l’épée de Damoclès de l’incarcération ou de la mutilation. 

Peur et stupeur, volonté de paralyser, figer, ralentir, entraver. Oui mais quoi ? Eh bien peut-être l’embryon d’un mouvement historique à la portée révolutionnaire.

A l’heure de la nuit ultralibérale et de son cauchemar sécuritaire, alors que se meurent les abeilles et que s’interroge l’espèce, la ZAD est un phare dans la pénombre. 

Après quatre décennies d’éclatement des luttes, de divisions et de triomphe des ego et des vénalités, là, à deux pas de Nantes, un monde autre, en gestation, fait battre le cœur de tout un pays. Nombreux et nombreuses sont celleux qui lui sont favorables, avec des nuances, des clichés, des craintes aussi, mais le plus important, ce qui transcende, avec le sentiment qu’il y a ici le début d’une réponse sociale aux ravages des capitalistes et des États.

La ZAD assume le caractère politique d’une lutte qui dépasse depuis longtemps la simple question de l’aéroport. Ce que les grèves des dernières décennies ont échoué à réaliser, c’est à dire un mouvement social de vaste ampleur qui assume son caractère politique et révolutionnaire, cela, la lutte à la zadiste pourrait bien le réaliser. 

Tant de gens différents viennent à la ZAD, charpentiers, cheminots, enseignants, chômeurs, exclus des villes et des campagnes, gens en détresse ou porteurs de projets,d’espoirs. Cette convergence ne peut qu’effrayer ceux qui se croient propriétaires du monde et des gens qui habitent dessus. L’absence de ce qu’ils nomment état de droit, qui n’est en fait que l’absence de l’État, ne produit pas le chaos, malgré les multiples tentatives de provocation ou d’infiltration des forces du désordre.

Tous et toutes s’entraident dans la lutte comme au quotidien, ici le paysan devient squatteur, là, le squatteur redevient paysan après trois siècles d’exil social et de prolétarisation, et désormais, il n’est plus question de propriété de la terre. 

La lutte pour la ZAD n’est pas interprofessionnelle, ou transcatégorielle. Elle supprime la dépossession du producteur par le salariat car elle est à la fois  action collective et participation individuelle libre et sans contrainte. On y reprend la maîtrise de sa vie, et donc de son choix non contraint de faire ou de ne pas faire quelque chose. L’acte de production, de construction, de création ou d’entretien cesse d’être une valeur-travail ou un esclavage, il devient l’acte libre de collectivités  autonomes sans cesse renouvelées.

 On est sorti de l’usine, on a quitté le bureau, on s’est levé (parfois péniblement) du trottoir, on a abandonné la passivité de son appartement-avec-télé-internet-illimité et maintenant on lutte pour reprendre le cours de notre brève existence sur une planète qui est parfois si jolie. 

Quand les dirigeants et leurs appareils de propagande veulent nous noyer dans la morne fatalité du repli sur soi et de la peur, la ZAD nous fait redécouvrir le goût des autres, et aussi, le goût de nous-mêmes. Elle nous apaise moralement et nous aiguise politiquement. Quand il attaque, l’État y déploie sa puissance de mort et de violence, il y est honnête, il apparaît tel qu’il est, débarrassé de son vernis démocratique qui de toute façon craquelle de toute part. 

A la ZAD l’État est très violent il grenade, tire des balles en plastique à vous arracher la tête, il utilise toutes les ruses et les bassesses, et pourtant rien n’y fait, c’est que le désir de liberté est puissant, et qu’une fois dans la lutte, on a dépassé un stade.  En provoquant les affrontements de Nantes l’État souhaitait justifier ses pratiques, quiconque analyse un peu la situation n’est pas dupe de la manœuvre. 

Manuel Valls c’est Daladier, le Front populaire en moins. Il liquide, réprime, attaque tout le corps social pour en extirper les restes de droits sociaux et politiques, y débusquer celleux qui résistent, peu importe la forme. Il arrive en champion du sécuritaire dans une Europe où partout la démocratie libérale laisse un boulevard à la dictature. Il ne faut pas oublier le geste de Valls en novembre 2012, livrant à la monarchie espagnole Aurore Martin militante basque poursuivie par Madrid pour appartenance à un parti légal en France. Une petite odeur de franquisme flottait à Beauvau.

Il n’a pas honte  non plus d’être raciste, Valls, envers les roms, les noir-e-s, les arabes. Bien sûr il en fréquente, mais ce sont soit des dictateurs, soit des capitalistes. De temps en temps un footballeur. Mais à côté de ça il traque et expulse à tour de bras. Il pointe du doigt l’ennemi, l’autre, l’étranger, mais jamais l’actionnaire de chez Bayer, le patron de PSA ou le flic qui vient de tuer un arabe. A Nantes il accuse des éléments étrangers d’avoir été à la manœuvre le 22 février, et pourquoi pas des juifs allemands aussi ?

Les attaques sociales et politiques actuelles sonnent l’hallali, on ne va pas attendre 2017 et un second tour où seront présentes deux saletés du trio Valls – Sarkozy – Le Pen pour réagir. Les coups des socialistes frappent plus durement les travailleur-euse-s que la droite, car sans perspective révolutionnaire et de lutte directe, on ne leur propose plus que le repli dans l’abstention passive, ou le vote fasciste.       

C’est pourquoi aujourd’hui devant l’arbitraire des poursuites engagées contre les partisan-e-s de la ZAD, la question individuelle de la confrontation à un tribunal ne me paraît pas opérante, je suis plutôt une fraction individuelle d’un mouvement social large qu’on essaie d’affaiblir par de multiples coups. 

Au tribunal l’État tente d’isoler une personne, pour punir tout un groupe. Peu lui importe à la limite, la vérité des faits, ou l’appartenance au groupe, du moment qu’elle a un profil. Face aux juges, on peut choisir différentes postures. Pour ma part voici ma position. S’ils veulent juger les gens qui ont participé à la manifestation, qu’ils le fassent. Nous étions 40.000. S’ils croient que je vais condamner la résistance des manifestant-e-s au déploiement de l’appareil de répression policier, qu’ils se fourrent un doigt dans l’œil ils verront si ça fait du bien. 

Si le gouvernement veut affaiblir des milieux politiques déterminés à lutter, il faut retourner sa force contre lui-même. Ne pas avoir peur, savoir rire et s’amuser, chanter, se balader, et continuer à se battre. Les puissants nous promettent un monde de travail salarié jusqu’à la mort, leurs tribunaux sont remplis de tarés obsessionnels de l’ordre et de la propriété, qui condamnent à la chaîne pauvres et petits malfaiteurs, quand dehors les vrais salopards écrivent les lois et encaissent les pots de vin.  Il n’y a pas à avoir honte face à eux, nous valons plus toutes et tous. Nous avons une humanité qu’ils on perdu, absorbés qu’ils sont par le côté obscur de la force.

ZAD partout ! (Malheureusement parfois en taule aussi) 

Résistance et sabocage !

O.