Rien que sur le chemin, ça sentait déjà le roussi. Dans les rues parallèles et à l’orée du centre ville, des dizaines de paniers à salades estampillés « CRS » essayaient de se garer discrètement… Signal de ténacité du pouvoir face une foule de manifestants qui en ont de plus en plus raz le bol de ne pas être entendu ? Provocation de ce même pouvoir d’envoyer ses hommes de main tout en restant assis confortablement dans son salon. Banderoles, drapeaux, mégaphones, poussettes, tout est au rendez-vous pour une nouvelle journée de manifestation. Une de plus dans ce combat qui ne cesse de durer. Malgré la présence plus que remarquée des gardiens du pouvoir, il règne une assez bonne ambiance au sein du rassemblement. C’est le marché des bises et des nouvelles. C’est aussi grâce à ce genre d’événement que les gens se rencontrent, que les luttes se construisent et convergent.
Cependant, le fond de l’air est électrique. Depuis l’annonce de vouloir maintenir coûte que coûte ce qui a été décidé dans des sphères inatteignables, certains d’entre nous ont choisi de passer à la vitesse supérieure, de viser des symboles et, nécessairement, d’en découdre avec les « forces de l’ordre ». Ce n’est pas la première fois que ça arrive, et ça ne sera pas la dernière. Enfin tant que le pouvoir existera.
Bling, une première vitrine éclate. Il s’agit d’un local représentant, directement ou indirectement, ce contre quoi nous nous rassemblons aujourd’hui. Mais la manif poursuit son parcours. Les slogans pleuvent et les hélicoptères survolent. L’énergie pessimiste du dernier recours s’allie étrangement à celle, plus optimiste, d’un « c’est pas encore fini ». Quasi-automatiquement, comme pour laisser en tête la foule de manifestants qui ne souhaitent pas utiliser ces moyens de luttes, la foule des résignés s’agglutinent en fin de manif.
Rapidement, de premiers affrontements s’opèrent. Certains manifestants qui n’ont pas encore atteint cet épuisement nerveux qui fait que l’on se sent prêt à tout essaient vainement de faire barrière face aux armures bleues marines. Mais que ce soit du côté des manifestants qui veulent en découdre ou celui des agents des forces de l’ordre qui veulent se farcir du « p’tit anar », la mèche a déjà été allumée il y a plusieurs jours par le Premier Ministre. Apparemment, rien ne le fera changer d’avis, ce qui doit se faire, se fera !
Début de la débandade. Les lacrymo sont lancées. Les pluie de slogans se transforment en larmes bien réelles. Un cran supplémentaire est atteint. Les pavés commencent à se déterrer, les poubelles et tables des terrasses de cafés s’imbriquent en barricades. On sent que bon nombre s’étaient préparés à cette éventualité. Les coups de matraques font pisser le sang et les flash-ball des hématomes. C’est l’affolement général. Tout paraît assez irréel. Poubelles et aubettes crament, pendant que de nouvelles vitrines ont été prises pour cibles.
C’est la confrontation jusque dans les rues commerçantes. Mais là, les badauds lambda du samedi s’en contrefichent, les courses seront faites. La même ténacité, mais hypnotique, que celle du pouvoir. C’est aberrant. D’un côté, les casqués bleus, de l’autre, des manifestants encagoulés, et au milieu, tel des Alzeihmer en phase terminale en train de errer sans but, la masse des consommateurs qui ne comprend rien, qui ne sait rien, qui n’était pas au courant et surtout qui na fait pas de politique.

Du côté des manifestants comme celui du pouvoir et de son bras armé, tout est question de détermination. A croire que c’est exactement ce que cherchait à faire ces derniers. Provoquer, attendre la réaction, si possible en mettant la ville sens dessus dessous, puis parader devant les médias en dénonçant la violence de ces « casseurs ». Et s’assurer que les autres manifestants se désolidarisent de ses derniers… diviser pour mieux régner…

Comme on pouvait s’y attendre, cette journée a été qualifiée de violente par les médias et le pouvoir. Mais quelques jours plus tard, le gouvernement a finalement décidé de retirer le projet de loi sur le CPE. C’était en 2006…