Après la chute d’Aristide. Impérialisme hors de Haïti.
Par Gustavo Dunga (1) .
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Dimanche 29 février, le gouvernement de Jean-Bertrand Aristide est tombé. Un jour après avoir abandonné le pays dans une situation confuse, le président déchu a accusé, depuis son exil centrafricain, le gouvernement états-unien de Bush d’avoir orchestré sa chute. D’après lui, les forces spéciales nord-américaines l’auraient obligé à signer une lettre de démission et à partir. Les déclarations d’Aristide ont eu un certain écho auprès de plusieurs dirigeants démocrates états-uniens, ouvrant ainsi une véritable « guerre des communiqués » entre ceux qui accusent Bush d’avoir organisé une sorte de « coup d’État » contre Aristide alors que le Département d’État dément cette version. Ces différentes versions qui ont semé le doute se basent en fait sur les rapports de longue date qu’entretiennent certains membres de l’administration Bush avec la soi-disant « opposition démocratique non-violente » et les « rebelles » armés, pour la plupart issus de l’ancienne armée haïtienne dissoute ou des escadrons de la mort de la dictature des Duvalier.
Au-delà des différentes versions, ce qui est certain c’est que les troupes impérialistes ont à nouveau pris pied en Haïti. Dès le premier mars, un contingent composé de marines américains et de troupes françaises et canadiennes a commencé à débarquer. La collaboration étroite de la France avec Washington pour trouver une issue à la crise haïtienne est un signe clair de la tentative de rapprochement entre les deux gouvernements à la suite de la guerre en Irak qui avait fortement mis à mal les relations entre les deux pays. Le Conseil de sécurité de l’Onu a voté à la hâte l’envoi d’une force de paix et les États-Unis sont en train de chercher d’autres appui au sein de la communauté internationale.
En tant que révolutionnaires internationalistes, nous dénonçons l’intervention états-unienne, française et des autres puissances qui portent la responsabilité de l’arriération et de la barbarie dans laquelle se trouve plongé l’île. Nous dénonçons l’occupation étrangère qui, comme le démontre l’histoire haïtienne passée et récente, n’a pour but que de servir les intérêts de la bourgeoisie haïtienne et des monopoles et des entreprises impérialistes. De plus, cette avancée états-unienne dans la Caraïbe peut constituer un dangereux précédent visant à adopter une ligne politique encore plus offensive à l’égard de Cuba, ainsi qu’à légitimer une politique d’ingérence impérialiste en Amérique latine contre des régimes que Washington considérerait comme ennemis.

La crise du gouvernement Aristide.

Aristide occupait la présidence haïtienne depuis l’an 2000, pour un second mandat, à la suite de l’intervalle de Préval, son homme de paille. Le pays s’enfonçait alors dans une profonde crise économique et sociale. Il s’agissait-là de la conséquence des compromis économiques et financiers qu’avait pris Aristide à l’égard de Washington lorsque Clinton le rétablit au pouvoir en 1994 par le bais d’une intervention militaire. Aristide n’accepta pas seulement alors de payer la dette extérieure contractée sous la dictature des Duvalier, mais il ouvrit de surcroît le pays aux exportations agricoles américaines grassement soutenue par Washington, ce qui aboutit à faire plonger l’ensemble du secteur agricole, une des principales ressources économiques du pays.
La situation tragique de ce pays semi-colonial, profondément dépendant des diktats des puissances impérialistes, s’est aggravée à la suite de l’arrivée de Bush au pouvoir. L’administration républicaine conservait effectivement de nombreux liens avec l’ancien establishment du précédent régime, notamment au sein de l’Armée et de la police qui en 1991 avaient organisé un putsch contre le premier gouvernement Aristide. En s’appuyant sur la fraude électorale de 2000 et des cas avérés de corruption de membres du gouvernement, les États-Unis ont empêché le déblocage d’un crédit de 400 millions de dollars approuvé par la Banque Interaméricaine de Développement. En juillet 2003, Haïti fut ainsi contraint de payer 32 millions de dollars pour s’acquitter du service de la dette. Afin de complaire au FMI et régler la facture, Aristide élimina ainsi les subventions sur l’essence et opéra de brutales coupes sombres dans le budget de la santé et de l’éducation.
Cela provoqua une première vague de protestations qui fut brutalement réprimée par le gouvernement et les partisans d’Aristide.

Le caractère pro-impérialiste de l’opposition.

Le mécontentement croissant de la population en raison du manque de libertés démocratique, de la faim et de la répression qui régnait dans le pays, l’opposition au gouvernement d’Aristide a essayé de le canaliser dès le début à travers la Plate-forme Démocratique à laquelle participent notamment la Convergence Démocratique et le Groupe des 184. On y retrouve des représentants de la droite traditionnelle, du patronat et même certains partis de gauche. Son principal porte-parole est André Apaid, un états-unien d’origine haïtienne, principal bourgeois local qui se trouve à la tête de la Chambre d’Industrie.
La situation a connu un tournant à partir de début février lorsque pénétra sur le territoire haïtien une force paramilitaire « rebelle » composée d’anciens membres de l’armée dissoute en 1995 ainsi que des escadrons de la mort connus pour leurs sinistres agissement sous les dictature des Duvalier et de Cédras. Ces bandes armées ont rapidement pris possession des principales villes du pays. Les leaders de ces « opposants » ne sont autres que Guy Philippe, ancien militaire réfugié dans la police, ex-putschiste, d’anciens chefs Tonton Macoute, les troupes de choc de la dictature des Duvalier, Louis-Jodel Chamblain (2) , ainsi que d’autres membres des anciennes forces armées entraînés par les forces spéciales américaines au début des années 1990. Ces génocidaires entretiennent d’excellentes relations avec certains membres de l’administration américaines comme John Negroponte, Otto Reich ou Roger Noriega, membres du Département d’État pour l’Amérique latine et la Caraïbe. Ces obscurs personnages, formés au cours des années Reagan, sont ceux qui ont armé la Contra au Nicaragua pour écraser la Révolution sandiniste, n’ont pas hésité à financer « l’opposition » et à armer ces mercenaires depuis leur exil, qui, à la faveur de la crise que traverse le pays, se sont transformés en les principaux acteurs au cours de la chute du régime profondément décomposé d’Aristide.

Troupes impérialistes hors d’Haïti. Aucune confiance dans les alliés locaux de Washington et de Paris.

Dès leur entrée dans la capitale, les assassins du peuple haïtien ont clairement affiché leurs ambitions réelles. Ils comptent restaurer l’armée et établir un gouvernement inféodé aux États-Unis. D’après le New York Times, alors que Chamblain remerciait ouvertement les États-Unis, Guy Philippe, qui s’est autoproclamé « chef de la police » a déclaré que « les soldats américains sont comme nous, nous somme frères. Nous les remercions pour leurs services rendus à notre nation contre les terroristes d’Aristide ». Il a poursuivi en annonçant sa ferme volonté de reconstruire l’armée haïtienne.
Dans l’immédiat les puissances impérialistes chercheront avant tout à stabiliser la situation en cherchant à unifier les différentes fractions de l’opposition à travers un gouvernement que pourraient même intégrer certains partisans d’Aristide (3) . Mais au-delà des formes que pourraient adopter le prochain gouvernement, il est évident qu’en raison de leur poids actuel, les secteurs ouvertement réactionnaires joueront un rôle clef dans la recomposition du futur régime qui maintiendra les conditions d’exploitation et de misère dans lesquelles vivent l’immense majorité du peuple haïtien ainsi que les privilèges dont jouit la petite élite dominante locale. Cela laisse présager que loin de clore la situation de crise, la possibilité de nouveaux affrontements est parfaitement envisageable.
Les masses d’Haïti ne peuvent rien attendre de bon de l’intervention impérialiste. L’expérience de 1994, celle de la « démocratie » d’Aristide et des marines, en est la plus parfaite démonstration. Elles ne peuvent rien attendre non plus de l’opposition pro-impérialiste et des bandes armées. C’est pour cela que pour en finir avec l’oppression impérialiste et prendre le chemin de la libération nationale et sociale, les travailleurs et les paysans de Haïti ont besoin de se mobiliser et de s’organiser de manière indépendante afin d’affronter la nouvelle occupation impérialiste et toutes les variantes bourgeoises responsables de la l’état de délabrement dans lequel se trouve le pays.

L’échec du « gauchiste » Aristide

1986 – 1990. Une révolution déviée

La chute révolutionnaire du régime dictatorial de Duvalier en 1986 a été le corollaire de deux années de mobilisations et de rébellions ouvrières et populaires dans les principales villes du pays. Le moteur des mobilisations était la lutte contre la faim et pour les libertés politiques. Le gouvernement de Reagan avait retiré son soutien à baby Doc’ en préférant sacrifier le dictateur afin de préserver les intérêts américains et de l’élite haïtienne. Dès lors, une active opération politique dirigée par l’ambassade américaine en collaboration avec l’église catholique et les partis traditionnels, comme le PC, a été mise en oeuvre pour dévier et canaliser le soulèvement des masses qui exécutaient les redoutables tontons macoutes (paramilitaires des Duvalier), qui occupaient les grandes exploitations agricoles et pillaient les propriétés des riches. Finalement, secouée par plusieurs grèves générales, la junte militaire qui a succédé aux Duvalier a été obligée d’appeler à une assemblée constitutante et à des élections générales.

L’Ascension d’Aristide au pouvoir

Jean-Bertrand Aristide et son parti, la Famille Lavalas, ont gagné les élections en 1990. Bien qu’il n’ait pas obtenu un franc soutien de la part de Bush père et de l’oligarchie haïtienne, il a été à ce moment-là le seul instrument pour dévier le processus révolutionnaire en cours. Aristide, prêtre salésien, embrassait la Théologie de la Libération, un courant né durant les années soixante avec un programme de réforme sociale et de collaboration de classes, qui a influencé la direction sandiniste nicaraguayenne et qui est encore revendiqué par le Movimento Sem Terra du Brésil. Aristide disposait du prestige d’être un militant anti-dictatorial de la première heure, son discours radical lui permettant de gagner la confiance des masses. Toutefois, de par ses limitations de classe -et bien qu’il ait emprisonné des figures emblématiques du vieux régime- il a été incapable de s’attaquer dès le départ à la source du retard matériel du pays, c’est à dire le pouvoir économique de la bourgeoisie et de l’impérialisme. Par contre, il s’essayait à désactiver l’ascension des masses semant des illusions dans les institutions démocratiques bourgeoises afin de donner une solution aux nécessités urgentes de la population. Les Forces armées – intégrées par des partisans des Duvalier- aidées par la CIA et l’élite haïtienne qui avait peur de perdre ses privilèges le renversent cependant en 1991 et établissent un régime de terreur contre le mouvement de masses.

La démocratie des Marines

En 1994, Aristide retourne à Haïti grâce à une invasion des Marines américains et de l’ONU et renverse le dictateur Raoul Cédras. Cette opération faisait partie de la politique extérieure de Clinton qui sous le drapeau de la « démocratie » couvrait ses interventions impérialistes dans des points chauds de la politique internationale. Cette invasion a non seulement assis les bases pour la mise en oeuvre des plans néo-libéraux dans le pays mais a aussi fini de décapiter le processus révolutionnaire ouvert en 1986. En effet Aristide comme son successeur Préval, homme de paille de la Famille Lavalas, ont appliqué les plans du FMI pour payer la dette extérieure et ont favorisé les transnationales avec l’installation de « maquiladoras » à la frontière avec la République Dominicaine. Durant le second mandat d’Aristide -et bien que celui-ci fasse appel à une certaine rhétorique anti-nord américaine pour faire plaisir à sa base sociale- les conséquences de sa politique ont plongé le pays dans une inflation galopante, avec une famine généralisée et des milliers d’exilés qui cherchaient rejoindre, dans des radeaux de fortune, les côtes du Mexique et des USA. Ainsi, alors qu’il perdait sa base sociale face à la contradiction entre son discours au service des pauvres et sa politique néo-libérale, alors qu’il pillait les ressources de l’Etat, il montait des bandes armées pour soutenir le pouvoir, les fameuses « chimères ». La banqueroute totale d’Aristide, confirme les limites de la stratégie réformiste pour résoudre les contradictions aiguës des pays semi-coloniaux d’Amérique latine, sans rompre les liens avec l’impérialisme.

Pour plus d’informations, nous vous renvoyons au site internet de la Fraction Trotskyste Stratégie Internationale, www.ft.org.ar
Ainsi qu’au site de la FT-Europe, www.ft-europa.org

1. »Tras la caída de Aristide. Fuera el imperialismo de Haití », article publié dans La Verdad Obrera n°134, Buenos Aires, 03/03/2004. La Verdad Obrera est le journal du Parti des Travailleurs pour le Socialisme (PTS) d’Argentine. Le PTS fait partie de la Fraction Trotskyste Stratégie Internationale [NdT].
2. Francis Kpatindé, journaliste de Jeune Afrique, dit de lui qu’il s’agit « d’un ex-sergent de l’armée, exécuteur des basses œuvres de la dictature de Cédras [1991-1994], rsponsable présumé de la mort, de la torture, et de la mutilation de centaines de partisans d’Aristide. Comdamné à la prison à vie par contumace pour un massacre commis en 1994 [etc.] (…) ». Voir « Haïti, une tragédie à l’africaine », in Jeune Afrique l’intelligent, hebdomadaire international, n°2252, 7-13/03/04 [NdT].
3.Bien qu’il ait annoncé dans un premier temps sur RFI qu’il envisageait d’intégrer des ministres Lavalas à son gouvernement de réconciliation nationale, Gérard Latortue, actuel premier ministre, est revenu sur sa parole comme le démontre la composition de son équipe rendue public le 16 mars [NdT].