« Vous ne connaissez pas Dieudonné »

D’abord militant de gauche, humoriste engagé dans la lutte contre Le Pen, il a progressivement dérivé dans les années 2000 vers l’extrême droite suite à un sketch se moquant des colons israéliens.
S’estimant persécuté il se lie d’amitié avec Jean Marie Le Pen et se rapproche de l’extrême droite radicale notamment de l’ancien leader des fascistes du Groupe Union Défense (F. Chatillon) avec qui il voyage dans les dictatures du proche Orient pour soutenir les régimes Iranien, Libyen, Syrien. Il s’entoure aussi d’Alain Bonnet de Soral, rejeton mondain d’une famille bourgeoise, passé par le Parti Communiste avant de travailler pour le Front National, ou même du vieux routard du négationnisme Faurisson.

Le parcours de Dieudonné n’est pas exceptionnel : rappelons-nous l’anarchiste Rassinier qui avait évolué vers le négationnisme dans les années 1970, ou le dessinateur Konk qui était passé du quotidien Le Monde au journal d’extrême droite Minute dans les années 1980.

«D’accord, mais Dieudonné fait de l’humour, pas de la politique »

Ce qui est exceptionnel, c’est qu’en plus de dix ans de militantisme aux côtés de l’extrême droite radicale, Dieudonné soit parvenu à maintenir une ambiguïté sur ses positions, en jouant sur la nuance entre humour et politique, et accentuant sa popularité par un cercle vicieux : « Si je suis exclu c’est que j’ai raison, etc… »

Alors, humour ou politique ? C’est un faux débat, l’humour peut être une arme politique servant à faire passer des messages au même titre que la musique, le théâtre ou même le dessin : c’est un outil -parfois même plus efficace que les autres-, et Dieudonné l’a bien compris.

En tant que fondateur d’un parti politique en 2009 (le Parti Anti- Sioniste) et attaché de presse de divers régimes totalitaires, même Dieudonné ne se risquerait plus à prétendre qu’il ne se mêle pas de politique.

« La quenelle c’est drôle, et puis c’est juste un bras d’honneur »

D’un point de vue strict, cette gestuelle gracieuse est un mime de la pratique sexuelle du fist fucking, il s’agit donc d’un bras d’honneur et non d’« un salut nazi inversé » comme on a pu l’entendre ici et là dans les médias.

Un brasd’honneur adressé à qui ? Au « système » mais pas uniquement, le geste s’est répandu dans de larges franges de la population, notamment par le biais de sportifs célèbres ou de chanteurs, sans forcément avoir d’autre sens qu’un sens récréatif, frondeur ou moqueur.

Avec sa quenelle, Dieudonné a ainsi réussi un coup marketing de génie : réunir des flics cagoulés, des
militaires fachos, des footballeurs millionnaires, et de nombreux anonymes notamment issus des quartiers
et de l’immigration derrière un même geste à la signification floue.
Qu’est-ce qui réunit ces gens ?

Quels sont leur intérêts communs ? Aucun.

Ceux qui se proclament anti-système aujourd’hui sont donc les garants de l’ordre social en uniforme, ou encore l’armée qui veille à la sauvegarde des intérêts de la Françafrique ?

On a vu apparaître dernièrement sur le net de nombreuses quenelles devant des synagogues, des écoles juives et même un mémorial de la Shoah, à Nantes des militants d’extrême droite -issus de bonnes familles de la bourgeoisie traditionaliste locale- posent en reproduisant la quenelle : un signe quel qu’il soit prend la signification que lui donnent ceux qui le propagent.

Ici, c’est évidemment un sens antisémite. La quenelle n’est pas ‘neutre’. Le salut romain était ‘apolitique’
jusqu’à ce que Mussolini ne le réactualise au 20ème siècle, le transformant en salut fasciste : son sens a
évolué avec l’usage qui en a été fait. Il en est de même pour la quenelle.

Il ne s’agit pas d’accuser tous ceux qui ont pratiqué le geste d’être des antisémites ou des nazis.
Seulement la quenelle est devenue au mieux un geste ambigu, au pire un signe ouvertement antisémite.

« Vous êtes des flics de la pensée. Moi il me fait rire »

Comme après l’assassinat de Clément Méric qui avait conduit à une dissolution -médiatique et inutile- de groupuscules fascistes, l’État français souhaite l’interdiction des spectacles de Dieudonné.

Ce choix est doublement contre-productif : en plus d’être juridiquement difficile, la mise en scène de « l’affaire » met un coup de projecteur considérable sur l’humoriste juste avant sa tournée. Jusqu’alors connue et suivie par un (large) cercle d’initié-e-s, la carrière de Dieudonné -et de son entourage- vient de faire un bond inattendu grâce au ministre de l’Intérieur. Dieudonné et ses supporters vont encore une fois pouvoir se poser en martyrs, en rebelles.

La transformation des excentricités antisémites de ‘l’humoriste’ en véritable « affaire d’État » ne profite pas à la cause anticolonialiste, ni aux gazaouis bombardés par l’armée Israélienne mais uniquement au pouvoir en place, à Manuel Valls, le premier flic de France qui se déguise ainsi en « rempart contre le racisme » et à Dieudonné lui-même, qui ne s’attendait sans doute pas à une telle publicité.

Il n’y a plus un jour sans que les médias ne relaient les dernières frasques de Dieudonné et de ses soutiens.
Encore une fois, des gesticulations réactionnaires hyper-médiatisées viennent occulter totalement les luttes sociales et les vrais problèmes politiques. Alors que la répression des luttes et les violences policières dans les quartiers ne sont presque jamais relayées dans les médias, un battage médiatique hallucinant accompagne cette affaire.

Dieudonné ne sert qu’à détourner l’attention de la guerre sociale en cours : violences policières, casse sociale, poussée de racisme, problèmes de fric et d’emplois précaires…

Derrière la quenelle, la matraque

Dieudonné ne représente qu’une petite partie de l’offensive réactionnaire en cours : les manifestations homophobes, le renouveau militant de l’extrême droite radicale, l’islamophobie, les politiques racistes et anti-sociales contribuent aussi au repli identitaire, à la destruction des solidarités et des luttes. Les idées réactionnaires sont en train de remporter la bataille culturelle.

Alors que les néo-conservateurs cathodiques à la Zemmour « décomplexent » la parole raciste et homophobe de la bourgeoisie de droite traditionnelle, Dieudonné, lui, travaille à amener vers l’antisémitisme et le fascisme des franges de la population jusqu’ici imperméables aux idées d’extrême droite. Un marché que le rebelle de salon Alain Soral n’aurait jamais pu conquérir sans son ami comique.

Et pendant que les médias font mine de découvrir, horrifiés, les quenelles, on oublie que c’est bien le Parti Socialiste au pouvoir qui rase des camps Roms, qui rafle et expulse des dizaines de milliers de « sans papiers », qui envoie sa police tirer sur des manifestant-e-s, qui soutient la politique israélienne, qui saccage l’environnement.

Contre le colonialisme et l’antisémitisme : solidarité entre les peuples

Dans cette polémique, on n’entend que la parole des pro-Dieudonné d’un côté, des pro-israéliens et du pouvoir de l’autre : la quenelle étouffe la voix des véritables opposants à la politique de l’État d’Israël et au sionisme. Ces deux parties se nourrissent, se répondent : d’un côté Dieudonné soutenu par des antisémites, des frontistes, de l’autre des sionistes comme Arno Klarsfeld, réserviste dans l’armée israélienne et accompagnateur de la politique d’expulsion sous Sarkozy.

Finalement, ce sont deux courants de la droite extrême qui se font face. Dieudonné et ses amis sont
des outils extraordinaires pour légitimer le sionisme et faire taire les vrais anticolonialistes.

Pendant que l’on braque les projecteurs sur Dieudonné, personne ne parle de ceux qui résistent au colonialisme en France et dans le monde, des associations de défense de la Palestine aux Anarchistes contre le mur (un groupe de militant-e-s israélien-ne-s luttant contre l’apartheid) en passant par l’Union Juive Française pour la Paix (des juifs progressistes qui s’opposent au sionisme). Omer Goldman, une jeune femme de 19 ans a été emprisonnée en Israël pour avoir refusé de prendre part aux violences de l’armée d’occupation, un groupe d’israélien-ne-s dénonce actuellement les exactions de Tsahal en Palestine…

Les victimes de la Shoah dont se moque Dieudonné étaient bien souvent des juifs Polonais ou Russes du mouvement socialiste du Bund opposés au sionisme. Ce sont ces même victimes qui sont salies par Dieudonné, et non la politique israélienne.

Des militant-e-s qui combattent le sionisme et qui subissent la répression du système, il y en a. Parmi eux : Georges Ibrahim Abdallah encore incarcéré, Rachel Corrie, écrasée par un bulldozer de l’armée israélienne en 2003. Ne vous trompez pas, les résistants ne remplissent pas les Zéniths, ils croupissent en prison.

Il n’y a plus rien d’amusant dans le cynisme d’un Dieudonné dévoré par ses obsessions. Il n’y a rien d’anti-système à faire la même quenelle qu’un flic, un militaire ou un millionnaire. Les sketchs de Dieudonné ne sont qu’un moyen de propagande malsaine comme un autre.

L’antisémitisme comme les autres formes de racisme se nourrit d’ignorance, de désespoir social, d’absence d’alternative.

A nous tou-te-s de reprendre l’offensive créative, de mener le combat culturel pour l’émancipation, la liberté, l’égalité.