La « commission du dialogue » a été annoncée lors du week-end du 24 novembre pour « exposer à toutes le parties prenantes la réalité des travaux réalisés » [1]. Au même moment, la carte militaire du traumatisme était jouée sur le terrain : le Rosier [2] était expulsé et rasé, la Châteigne [3] et la forêt de Rohanne attaquées, plus d’une centaine de personnes blessées, de nombreuses autres arrêtées, dont une était interpellée par des flics infiltrés et finissait emprisonnée pour 5 mois. Dans ce contexte, il a semblé plus que clair pour beaucoup d’opposant-e-s que cette commission était un leurre. De nombreuses composantes de la lutte ont donc refusé d’y participer.

Mais cette absence n’a visiblement pas gêné le travail de la commission qui s’est réunie pendant trois mois. Pendant ce temps, les médias s’efforçaient de taire l’occupation militaire en cours, allant jusqu’à la faire passer pour une opération de libre circulation. Cette occupation militaire a malgré tout subi de nombreuses attaques car sur le terrain, nous n’étions pas dupes de sa véritables mission. La commission était mise en scène comme une trêve raisonnable avec ses arguments pour et contre. L’objectif réel du mot « dialogue » est surtout pour le gouvernement PS d’essayer de sauver son masque « sympa » pour soigner un électorat indisposé par les scènes de guerre. L’État a dû inventer un arbitre pour faire tenir l’illusion démocratique, qui était peut-être plus ébranlée qu’à l’accoutumée : être acculé à mettre en place une commission pour maintenir l’illusion du dialogue, ce n’est pas loin d’admettre que le cours normal des choses, c’est un monologue du pouvoir. Le résultat de la commission du dialogue a été rendu en grande pompe. On a là un de ces savants mélanges qui, d’un côté valide la nécessité du projet et, de l’autre, suggère des études « complémentaires » et des modifications de « l’impact ».

Le pouvoir envoie ses expert-e-s assermenté-e-s : celleux qui ont été formé-e-s à se cantonner à leur rôle technique, celleux dont les connaissances permettront de faire un projet plus raisonnable, celleux qui sauront ne pas remettre en question le fond mais seulement quelques bouts de la forme. Et ces expert-e-s valident à leur tour les projets du pouvoir : « changez tel et tel détail et le projet est vert, social et durable. L’expert-e a parlé ». Finalement, nous n’avons affaire qu’à un outil de plus pour faire accepter des projets qui ne passent pas comme une lettre à la poste.

Quant aux conséquences de ces résultats, on parle ici et là, selon les interprétations, d’un délai de 2 mois, 6 mois, 1 an, voire 2 ans… Personne ne comprend vraiment, leur langage opaque a surtout pour résultat de nous embrouiller, de nous forcer à réfléchir selon leurs modèles ou de nous faire nous sentir stupides et de nous en remettre à leur avis.

On sait que la division est à chaque stade d’une lutte l’une des armes les plus efficaces pour le pouvoir. Ici, l’État espère trouver d’un côté, celleux qui reconnaissent le travail de ses expert-e-s, et de l’autre, celleux qui le refusent.

Laisser ces expert-e-s définir des zones à protéger plus que d’autres, c’est accepter leurs critères technocratiques [4] pour mesurer la valeur de ce qui nous entoure. Les experts nous dépossèdent de la parole publique, substituent l’analyse technique à la réflexion politique. On ne devrait s’occuper que d’une hypothétique sphère individuelle privée. Mais même là, il y a des experts pour nous dicter la bonne conduite : experts de la famille, experts du couple, experts de la maison, experts du sexe… Nous voulons apprendre, discuter, éprouver nous-mêmes les choses. Et c’est dans les rares petits vides dans les filet du pouvoir que fleurit la subversion : là où les expert-e-s n’ont pas de place. Dès qu’illes s’avancent, c’est le même contrôle étouffant qui revient avec eux.

Certain-e-s diront qu’il arrive que des expertises de ce genre aient permis l’abandon de projets. D’autres diront qu’il est important pour les porteurs du projet de sortir tête haute du conflit, et qu’on doit alors leur laisser une porte ouverte. Cette porte semble toute trouvée : c’est celle de l’expertise écologique de dernière minute qui rend impossible le projet… ou qui le valide moyennent quelques aménagements. Dans tous les cas, ça leur permet de nier en quoi cette lutte les gène vraiment, car ce qui est combattu dans « l’aéroport et son monde », c’est surtout leur pouvoir. Ça ne nous intéresse donc pas qu’ils sortent tête haute, car nous savons que leur stratégie a une visée beaucoup plus large que cette histoire d’aéroport : il s’agit d’aménager les vies de tou-te-s pour le profit de quelques-un‑e‑s, de développer des métropoles pour essayer de rester « compétitifs » dans une course mondiale pour le contrôle des richesses.

La question de fond qui traverse les esprits ces temps-ci semble être la suivante : c’est quoi la victoire ? On devine déjà dans les têtes des gestionnaires une « zone d’agriculture durable protégée » avec ses règlements et ses contrôleurs, magnifiquement intégrée à l’innovante « Nantes Capitale Verte Européenne ». Allons nous laisser la place à leurs « expérimentations », à leurs tentatives de récupération pour gérer nos révoltes ? Bref, combien de temps les laisserons-nous expertiser et réformer leur monde pour le faire perdurer sur notre dos ?

Hors pistes

Un groupe en lutte contre l’aéroport et son monde né dans le mouvement d’occupation

Mai 2013