Annoncé comme une avancée puisque les organisations patronales et syndicales, condamnées à se mettre d’accord, avaient enfin réussi à accoucher d’un texte signé en commun, l’ANI est finalement fortement décrié. Alors que l’accord, aujourd’hui transposé dans un projet de loi, et voté en première lecture à l’Assemblée le 26 avril, s’apprête à passer devant le Sénat le 14 mai, plusieurs voix s’élèvent à gauche et à l’extrême gauche pour dénoncer ce qu’ils qualifient de recul social majeur. Qu’en est-il concrètement ?

Tout partait pourtant d’un bon sentiment. Il fallait trouver un moyen de lutter contre la précarité au travail, améliorer le maintien dans l’emploi en période de crise et faire face aux évolutions du marché du travail.

1-de nouveaux droits pour les salariés ?
L’ANI prévoit de généraliser les mutuelles de santé et de prévoyance pour toutes les entreprises. Ce système permet aux salariés et à leur famille de disposer d’une mutuelle santé à moindre frais (voire gratuite dans certaines grandes entreprises). En ces temps où les mutuelles augmentent chaque année un peu plus leurs cotisations pour absorber ce que la Sécurité Sociale ne rembourse plus, cela reste un avantage non négligeable. Objection faite que cela est déjà très répandu dans les grandes entreprises et les PME, les employeurs se servent également souvent de ce nouvel acquis pour ne pas augmenter les salaires…
L’autre avantage concerne la mise en place d’un compte personnel de formation que tout salarié conservera jusqu’à sa retraite, même en période de chômage. En réalité, ce n’est qu’une transposition de ce qui existe déjà à l’heure actuelle avec le DIF. Les salariés à temps complet cumulent chaque année 20h au titre du Droit Individuel de Formation (plafond limité à 120h), et qu’en principe chacun peut utiliser librement. Problème là aussi, faute de budget dédié au DIF, les salariés ne peuvent bien souvent se financer que des cours d’anglais…

2-majoration des cotisations d’assurance chômage sur les CDD
Cette mesure est déjà contestée par certains entrepreneurs et du côté de la droite. Elle vise à appliquer un taux de cotisation patronale de 7% sur les CDD d’une durée inférieure à un mois au lieu de 4% à l’heure actuelle. Autrement dit, il s’agit de pénaliser les entreprises qui ont recours à des petits contrats. Seulement voilà, la plupart des CDD sont exclus par cette mesure qui ne concerne en réalité que les contrats pour surcroît d’activité, ce qui à l’heure actuelle, il faut bien le reconnaître, ne court pas les rues. Tous les CDD de remplacement et tous les contrats saisonniers ne seront pas visés alors qu’ils constituent la plus grande partie des motifs de recours…

3-Réaménagement des contrats à temps partiel
A partir de 2014, l’accord prévoit de payer de 10% plus chères les heures supplémentaires (appelées complémentaires dans le cas présent) pour un salarié à temps partiel. A titre d’exemple, à l’heure actuelle, un salarié qui travaille 120 heures par mois peut effectuer jusqu’à 12h de plus (10% de son temps de travail maxi) en étant payé au taux normal. Il ne sera payé en heures supplémentaires à 25% qu’à partir de la 13ème heure. Seul hic, l’accord autorise aussi qu’à partir de 2014, ces heures supplémentaires pourront être payées non plus à 25%, mais à 10%… Autrement dit, qu’il fasse 1h ou 40h de plus, un salarié à temps partiel ne gagnera que 10% de plus contre 25% aujourd’hui… Pire, il sera par conséquent toujours plus avantageux pour une entreprise d’avoir ainsi recours à des salariés en temps partiel puisque une heure supplémentaire d’un salarié à temps complet est automatiquement majorée de 25%, et jusqu’à 50% dès la 44ème heure.

Toujours à compter de 2014, les contrats à temps partiel ne pourront être inférieurs à 24 heures hebdomadaires. Pour les contrats existants inférieurs à cette durée, une période de transition s’étendra jusqu’au 31 décembre 2015 pour permettre aux entreprises de les réaménager. Le salarié qui demanderait à bénéficier de cette durée minimale dès 2014 pourrait aussi se le voir refuser si l’entreprise invoque des raisons économiques.

Ces deux principales mesures qui étaient censées lutter contre la précarité du travail, et imposer une durée minimale aux travailleurs à temps partiel qui souvent subissent des plages horaires très contraignantes sont en réalité vides de leur substance quand on y regarde de près.

4-Mesures concernant la mobilité des travailleurs
L’ANI prétend que de nombreux salariés souhaiteraient pouvoir tester un nouvel emploi chez un autre employeur tout en conservant la garantie de ne pas perdre le poste qu’ils occupent. L’accord prévoit donc d’offrir cette possibilité aux salariés… ayant deux ans d’ancienneté dans une entreprise d’au moins 300 salariés. Cela réduit déjà considérablement le spectre des possibilités.
De l’autre côté, l’accord permet aux employeurs d’imposer une mobilité interne à leurs salariés qui, en cas de refus, s’exposent à un licenciement pour motif personnel ! L’accord laisse aux représentants du personnel des entreprises le soin de négocier notamment les modalités géographiques de mobilité… On peut dès lors imaginer ce que cela donnera pour une entreprise française implantée à l’international qui souhaite délocaliser un site de production en Europe ou ailleurs et qui pourra ainsi s’appuyer sur un tel accord…

5-Accords de maintien dans l’emploi
C’est l’article emblématique de l’ANI et aussi le plus controversé. En cette période de grave crise conjoncturelle, l’ANI prévoit de revoir au sein d’une entreprise en difficultés les fondements de son organisation sociale : rémunérations et horaires de travail de ses salariés. Bien que soumis à la négociation avec les représentants du personnel (délégués syndicaux), l’accord individuel de chaque salarié reste indispensable. Cependant, là encore, en cas de refus, le salarié s’expose à un licenciement pour motif économique. En cas d’absence de délégués syndicaux dans une entreprise, il est prévu de permettre à un ou plusieurs salariés de représenter le personnel pour négocier. L’ANI rappelle aussi, sans rire, qu’en cas de révision à la baisse des rémunérations des salariés dans une entreprise, elle ne saurait descendre en dessous du SMIC ! On est soulagé de l’apprendre… L’entreprise ne pourra pas non plus déroger à la durée légale et maximale (quotidienne et hebdomadaire) du travail. Ni toucher aux congés payés. Et seul le 1er mai devra rester un jour férié chômé, mais quid des dix autres jours fériés ? Un tel accord signé dans une entreprise ne pourra enfin durer plus de deux ans. En contre partie de tous ces efforts, les salariés auront la garantie de conserver leur emploi. Aucune obligation symétrique n’est cependant précisée quant à la réciprocité de tels efforts demandés aux dirigeants de l’entreprise ou à ses actionnaires. Cela nous renvoie directement à ce qui vient de se négocier au sein du groupe automobile Renault.

Deux autres points qui figurent dans l’ANI prévoient notamment d’alléger les procédures de licenciement collectif pour motif économique, et d’impliquer les représentants du personnel (CE, délégués du personnel, délégués syndicaux) dans la stratégie de l’entreprise quitte pourquoi pas, à terme, de les associer à la responsabilité de cession ou de fermeture d’une entreprise.

Epilogue
Cette présentation sommaire de l’Accord National Interprofessionnel actuellement transposé en texte de loi et prochainement discuté au Sénat s’est voulue pédagogique en évitant le plus possible les écueils techniques et juridiques qui ont la fâcheuse tendance à rendre indigeste le droit social. L’impartialité dans l’explication d’un tel texte n’est possible que si on l’aborde dans son application pratique. Tout en prenant délibérément appui sur une présentation de l’accord qu’en avait fait une revue spécialisée éditée par un cabinet d’avocats qui de leurs côtés avaient un parti pris bien différent, cette enquête s’est attachée à conserver l’état d’esprit fondateur du code du travail, à savoir la protection du plus faible qui reste encore à ce jour, le salarié.